Error message

The file could not be created.

A Lyon, la 10e édition de Sens Dessus Dessous

La Maison de la Danse dit au revoir à Dominique Hervieu avec un festival qui interroge les liens entre danse et narration, corps et frontières. 

Petite sœur de la Biennale de la Danse, le festival Sens Dessus Dessous est une manifestation chorégraphique annuelle créée par Dominique Hervieu. L’édition 2022 est la dixième et la dernière, au moins sous la direction artistique da la directrice de la Maison de la Danse (et de la Biennale de la Danse) qui se consacre désormais à une nouvelle mission, olympique [lire notre article]. Hervieu invite cette fois huit compagnies et leurs créations, dans l’idée de parler « de l’humain, du lien entre les êtres, quelques fois grâce à une forme de narration très inventive ». Cela n’empêche en rien de revenir à une forme de danse-théâtre, genre pas vraiment populaire chez les chorégraphes français. 

Logiquement, les artistes qui défendent l’approche sont étrangers. Dont Alan Lucien Øyen, en effet l’un des représentants actuels les plus passionnants. Le Norvégien a logiquement déjà été invité à créer pour le Tanztheater Wuppertal, mais aussi pour le Ballet de l’Opéra de Paris. Dans les pièces pour sa compagnie Winter Guests – on a pu en voir notamment à Chaillot-Théâtre national de la danse - il multiplie les strates et outils narratifs et défend une vraie fusion entre danse et théâtre. Sa nouvelle création thématise explicitement notre attachement à la narration, pour la croiser avec la représentation de soi que chacun invente, dans la vie ou sur les réseaux sociaux. Story, story, die  est une pièce pour sept danseurs qui deviennent les narrateurs d’eux-mêmes. Et chez Øyen, les danseurs prennent la parole ! 

Chez Kaori Ito et Yoshi Oïda le théâtre est même le point de départ, avec l’adaptation du nô moderne Le Tambour de soie, à son tour adapté par Jean-Claude Carrière. Une rencontre entre un homme âgé et une jeune femme qui tient du fantasme, du mythe, du fantôme nô et d’une sensibilité japonaise qui vient de loin, mais est pourtant résolument contemporaine [lire notre critique]. Aussi Ito et Oïda naviguent entre écriture contemporaine et danse, flûtes et tambours traditionnels japonais. Cette rencontre entre l’une des chorégraphes les plus prolifiques du moment et le grand acteur de feu Peter Brook met en lumières à quel point le récit et la fiction sont des manières de se reconnecter avec l’essence de l’humain et donc aussi une voie à exploiter par la danse, pour rester en lien avec son public. 

Aussi cette édition de Sens Dessus Dessous porte un regard sur les relations humaines telles qu’elles peuvent animer la danse. Si dans Le Tambour de soie, cette relation se noue encore entre une personne vivante et un revenant, elles basculent ailleurs dans une écriture et une réalité physique, et donc charnellement métaphorique. Youness Aboulakoul, Jan Martens et Adi Boutrous situent en effet le corps, dans sa quête de fusion avec d’autres corps, entre douceur et violence. Aussi écrivent-ils des récits au-delà de la situation du plateau, définissant complicités et territoires.

Youness Aboulakoul passe du solo (Today is a beautiful day, lire notre critique] à un quintette, en navigant, avec Mille miles, entre violences physiques et sociétales, résistances et solidarités, le visible et l’invisible, le tangible et l’insaisissable. Mille miles  renvoie bien sûr à la distance à franchir avant d’arriver à une frontière, objet de fantasmes et de franchissement de limites. Frontières politiques, mentales mais aussi physiques, entre deux corps. Ces dernières sont aussi le thème dans Sweat Baby Sweat de Jan Martens, partition corporelle pour un couple entre sensualité, lenteur, méditation et tensions, voire affrontements. Car on sait que le (toujours) jeune créateur flamand n’y va pas par quatre chemins et sait lier – ici en partant du couple – l’ironie au réalisme cru, l’effort physique réel à la réflexion sur nos états d’esprit. 

L’Israélien Adi Boutrous propose, de son côté, une révision de nos idées au sujet de la masculinité. Dans One more thing, quatre hommes, dont le chorégraphe, expérimentent une masculinité moelleuse, débarrassée de ses tensions. Le quartette créé des états de fluidité et de douceur sans perdre en tonicité, en partageant une même énergie cinétique et mentale. Les interprètes amènent dans leur cocon certaines traces et souvenirs de la violence qui règne à l’extérieur, mais ces blessures et douleurs ne sont plus que des souvenirs. Ils inventent des tissages de corps et des portés paradoxaux qui témoignent de solidarité au lieu de mettre l’accent sur la prouesse physique, pourtant réelle. Il suffirait de peu, de quelques ajustements en termes d’accents et d’adresse au public, et One more thing  serait un spectacle de cirque contemporain. Mais ce qui intéresse Boutrous est ici de proposer un nouveau modèle de la relation humaine sur le territoire de la masculinité, modèle par ailleurs très attendu par la gente féminine, comme Boutrous a pu s’en rendre compte en discutant avec le public, très largement féminin, à Tel Aviv. 

A remarquer qu’ici la cohérence de la programmation et les questions et réponses que les démarches des différents chorégraphes peuvent se renvoyer mutuellement l’emportent ici sur l’obligation de présenter toujours les dernières créations. Aussi les correspondances seront passionnantes à observer, notamment entre One more thing et Sweat Baby Sweat, bien que la pièce de Jan Martens date de 2011 ! Les états de corps, les rapport à l’autre, à la douceur et à la violence dans le couple de Sweat Baby Sweat  vont entrer en résonance avec l’organisme à quatre parts de Boutrous, où parfois se forment deux couples masculins. Ces spectacles se complètent et interrogent ensemble certaines figures classiques du couple dans la danse. Observations passionnantes en perspective, tel un dernier salut de la directrice, en train de prendre ses nouvelles fonctions pour lier arts et Jeux Olympiques, d’ici 2024.  

Thomas Hahn

Festival Sens Dessus Dessous
Maison de la danse de Lyon
Du 1er au 12 mars 2022 

Attention : Changement de programme – Jan Martens - Mardi 8 mars à 20h30

En raison d’une blessure de l’un des interprètes, le duo Sweat Baby Sweat de Jan Martens, présenté dans le cadre du festival Sens Dessus Dessous à la Maison de la Danse, est remplacé par le solo  Elisabeth Gets her way, interprété et chorégraphié par le chorégraphe lui-même.

Ce solo, créé en 2021, est un portrait dansé de la polonaise Elisabeth Chojnacka, virtuose du clavecin contemporain. Jan Martens rend un hommage vibrant à cette femme remarquable,  muse des plus grands compositeurs modernes. 

Durée : 60 minutes

 

Image de preview : Kaori Ito et Yoshi Oïda © Christophe Raynaud de Lage

Catégories: 

Add new comment