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Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris et Gala des écoles de danse du XXIe siècle

Comme tous les ans, l’École de danse de l’Opéra de Paris donnait son spectacle annuel. Un programme très étudié qui permettait d’apprécier le talent de ces jeunes danseurs et qui marque les vingt ans de présence d’Elisabeth Platel à la tête de cette vénérable institution. Il était suivi d’un Gala des écoles de danse du XXIe siècle dont c’est la troisième édition depuis 2013. Un programme exceptionnel qui donne un aperçu des plus grandes écoles de danse, nationale et internationales.

Le spectacle annuel de l’École de danse de l’Opéra de Paris marquait, cette année, les vingt ans de la direction d’Elisabeth Platel à la tête de cette institution. Et pour l’occasion, celle-ci a conçu un programme audacieux, qui à la fois s’ancre dans l’École française de danse avec Suite en blanc (1943) de Serge Lifar, l’histoire et le prolongement de cette même « École » quand Roland Petit s’émancipe de l’Opéra de Paris avec Les Forains (1945), et l’évolution contemporaine de la danse classique, comme de l’École de danse de l’Opéra de Paris, puisque Un Ballo de Jiří Kylián a été créé en 2018 par ses élèves.

Disons-le d’emblée, les trois ballets sont un défi pour de jeunes danseurs, mais pas pour les mêmes raisons.

Ainsi, Les Forains ne présente pas de difficultés techniques insurmontables. En revanche, il demande une finesse d’interprétation assez rare de la part de très jeunes danseurs et danseuses. Son argument : « Hâves et déguenillés » de pauvres forains font halte à un carrefour et font leurs numéros devant quelques curieux. Brillants dans leurs costumes, ils semblent conquérir ce public qui s’esquive pourtant au moment de la quête. Ils repartent « exténués et faméliques » vers d’autres horizons. L’entrée où les interprètes doivent porter une nostalgie un peu désabusée, conjuguée à un espoir chevillé au corps ; la présentation de numéros un peu maigres qui demandent du brio et une puissance d’incarnation insoupçonnés ; La fin où ils repartent, dans l’espérance de jours meilleurs ; imposent une sensibilité, une verve poétique en demi-teinte, que chacun assume avec talent. Les différents numéros qui comprennent un clown dynamique et drôle (Carlo Zarcone), une petite fille acrobate (Lalie Joseph-Singamalum), un prestidigitateur affûté et émouvant (Martin Paul), une évocation de Loïe Fuller, des sœurs siamoises, un acrobate d’une énergie folle (Marcos Silva Sousa), une femme-tronc, une belle endormie (Albane de Chanterac) et un machiniste sont exécutés avec un aplomb que leur envieraient même les danseurs du Ballet. Leur expressivité est parfaitement maîtrisée : elle est juste, notamment dans les scènes où la danse se fait discrète et sait doser ses effets, ni trop, ni trop peu. Saluons au passage la performance de Lalie Joseph-Singamalum, encore en 6e division (et sans doute la plus jeune de l’École de danse puisqu’elle ouvre Le Défilé des écoles du Gala des écoles de danse du XXIe siècle), qui s’impose sur le plateau avec une assurance inouïe.

Un Ballo de Jiří Kylián est d’une complexité chorégraphique impressionnante, revendiquée par le chorégraphe lui-même qui avoue avoir voulu « que la pièce soit difficile, parce que je souhaitais que les jeunes danseurs apprennent quelque chose à travers elle ». C’est là un de ses défis. L’autre provient de ces mouvements suggestifs, entre Éros et Thanatos, qui demandent une grande maturité des couples qui le dansent. Trois couples, puis un pas de deux totalement à l’unisson pour cinq couples habitent littéralement le Menuet du Tombeau de Couperin, puis la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel. Les danseurs sont remarquables, notamment le couple Natalie Henry et Ilyane Bel-Lahsen d’une célérité ahurissante. Mais les autres ne déméritent pas, s’engageant dans les passages au sol périlleux, s’envolant dans des portés audacieux, se cabrant et se courbant au gré des volutes d’une chorégraphie placée dans un écrin de cierges et de fumée magnifique et des costumes légers et noirs, qui évoquent tout autant l’église que le boudoir.

Un Ballo de Jiří Kylián © Svetlana Loboff

Enfin, Suite en Blanc, fleuron de l’École française revue par Serge Lifar, est une véritable démonstration de l’excellence de l’École de danse de l’Opéra de Paris. Ce « ballet sans argument » s’inscrit dans le droit fil des deuxièmes actes dits « ballets blancs [1]» des grandes œuvres de tradition classique du 19e siècle, où le livret s’effaçait au profit de la seule chorégraphie, mais aussi dans l’héritage des ballets du début du 20e siècle où plusieurs chorégraphes (dont Lifar, et avant lui Fokine[2] Ivan Clustine[3], Leo Staats[4] ,et après lui Harald Lander[5]) avaient déjà en tête d’affirmer « que le mouvement est expressif au-delà de toute intention[6] ». Ce qui était très novateur. Depuis, ils sont devenus une sorte de signature de l’Opéra de Paris, car ils permettent de dérouler toute la précision et l’extrême virtuosité de l’ensemble de ce Corps de ballet d’exception à travers exercices et variations chorégraphiés.

C’est pourquoi il est saisissant de voir l’École de danse le danser sans la moindre anicroche par des « élèves ». Avec ses variations truffées d’écueils, comme Sérénade (remarquable Jasmine Atrous), La Cigarette (brillante Natalie Henry), La Flûte (éblouissante Eve Belguet), la Mazurka (élégant Corentin Dournes), et ses pas de deux, de trois (notamment une Sieste superbe et musicale d’Anaïs Morin-Choukroun) , agrémentés de quatuor, quintettes ou mouvements d’ensemble millimétrés, le ballet met en valeur cette écriture si caractéristique de Serge Lifar, à la fois moderniste avec ses décalés et sa 7e position en dedans, et infiniment nostalgique avec ses airs « grand siècle ».

Suite en Blanc © Svetlana Loboff/OnP

Avec un tel programme, le niveau de l’École de l’Opéra n’est plus à démontrer. Il était suivi, le 17 avril, par le Gala des écoles de danse du XXIe siècle qui réunissait les plus grandes académies nationales actuelles. Pour autant, il serait difficile de comparer la première avec les secondes, car pour des raisons évidentes, elles sont venues de loin avec des pièces courtes et des effectifs réduits. Néanmoins, chaque école a son identité et c’est un vrai plaisir de les découvrir rassemblées dans un même programme. On ne peut que saluer au passage la finesse des choix d’Elisabeth Platel et son opiniâtreté à maintenir cette rencontre internationale. Ce Gala permet aussi de décliner toutes les évolutions et les interprétations du vocabulaire classique, une sorte d’état des lieux de la danse académique selon l’histoire et la géographie pourrait-on dire.

Ainsi, la San Francisco Ballet School proposait un quatuor de Dana Genshaft sur Danse sacrée et Danse profane de Claude Debussy composée en 1904 pour la harpe chromatique. La chorégraphie, fluide, aérienne, entre ciel et terre, créée à l’automne 2023 pour les stagiaires de l’école, demande d’eux une parfaite musicalité. Avec leurs corps très travaillés, leur maturité qui leur donne une certaine autorité dans le mouvement tout en préservant une désinvolture tout en souplesse très américaine, les quatre interprètes rendent ce ballet extrêmement séduisant.

A leur suite, un pas de deux de La Kermesse à Bruges de Bournonville représentait cette école incontournable de la danse danoise, ici portée par deux élèves de la Royal Danish Ballet School (Copenhague). Tout aussi formatrice que notre école française, elle préserve la tradition des ballets de Bournonville avec ses entrechats légers, et ses brisés impeccables. Rhapsody de Frederick Ashton sur Sergueï Rachmaninov, a créé l’événement.

Dès qu’on voit Emile Gooding on sait que le ballet a dû être créé pour Baryshnikov dont il a le charisme et le talent. Avec ses étirements étonnants, sa rapidité, son explosivité et sa qualité de bas de jambe, il enthousiasme immédiatement le public. Mais le reste de la distribution est à la hauteur, Rebecca Stewart et Ravi Cannonier-Watson repoussent leurs limites en termes de virtuosité avec beaucoup d’esprit et de charme. Et l’écriture de Frederick Ashton est d’une plasticité remarquable.

La Dutch National Ballet Academy avec Cinq Tangos (extraits) d’Hans van Manen sur la musique d’Astor Piazzolla réunissait cinq interprètes très investis, remplaçant les talons par les pointes, dans un quintette très enlevé. Tandis que Lay Dances de James Kudelka sur la musique de Michael Torke pour voix et ensemble de chambre, de la Canada National Ballet School Toronto, propose un ballet abstrait, très bien dansé qui mélange plusieurs styles pour une chorégraphie rythmique avec de beaux solo et duo. Pas de deux langoureux, emporté et fiévreux, Winter pour la Scuola di Ballo dell’accademia teatro alla Scala, sur l’Hiver des Quatre Saisons de Vivaldi créé par Demis Volpi, mettait particulièrement en valeur le couple formé par Chiara Ferraioli et Bruno Garibaldi.

Entretemps, Yondering de John Neumeier était dansé à la fois par des élèves de son école du Hamburg Ballet, renforcé par quelques éléments de l’École de l’Opéra de Paris qui connaissait cette œuvre déjà inscrite à son répertoire. Ce très beau ballet sur l’adolescence, emprunte à des formes populaires savamment stylisées pour en tirer la quintessence, soit l’énergie de la jeunesse et la nostalgie d’une enfance qui s’estompe déjà.

Notons que l’Ecole de danse de l’Opéra qui apparaissait avec des extraits de Suite en blanc, et Un Ballo a eu un énorme succès tout comme l’ensemble de ce Gala des écoles du XXIe siècle qui s’achevait par un Défilé tout à fait dans l’esprit de la Maison !

Agnès Izrine

Les 13 et 17 avril 2024, Opéra Garnier.


[1] Parce que les danseuses, habillées de blanc, représentent le plus souvent des spectres… ou des cygnes !
[2] « Les Sylphides », 1909
[3] « Suite de danses, 1913 puis version Aveline 1931
[4] « Soir de Fête », 1925
[5] « Études » ,1948
[6] Merce Cunningham

 

 

 

 

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