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« Sol Invictus » d’Hervé Koubi

Un bel antidote aux tendances d’isolement : dix-sept individualités exacerbées se soudent en une communauté universelle. A ne pas rater au Monaco Dance Forum les 15 et 16 décembre prochains.   

En matière de pépites festivalières, Vaison Danses a quelques innovations à proposer à ses pairs. Avant chaque spectacle, le maire – Jean-François Périlhou – prend le micro, se félicite de la très bonne fréquentation et présente quelques anonymes et leurs services rendus au festival et au public, dans l’ombre des vedettes. Ce soir-là il constate au passage que le festival « prend une forme d’envol. » Et il promet de « le monter de plus en plus haut ». Il est vrai qu’en se plaçant en bas, face au public qui papote et gazouille dans les gradins du théâtre romain qui montent en direction du ciel, l’idée d’envol s’impose d’elle-même. 

Pierre-François Heuclin, le directeur artistique du festival, espère aujourd’hui que de tels mots d’édile ne s’envoleront pas. Lui aussi prendra le micro, mais ce sera après la représentation de Sol Invictus d’Hervé Koubi, pour lancer un autre spectacle, inédit sous cette forme, avec un « bord de régie ». Autrement dit : un bain de foule à la manière d’un meeting électoral, mais cette fois avec Hervé Koubi et les dix-sept interprètes, au beau milieu de plus de mille personnes – un public debout et qui ne partait pas – assaillant les artistes de leurs questions. 

Ce fut une vraie fête populaire, après cette « avant-première mondiale ». Ce néologisme est une autre invention d’Heuclin. Si une première peut être « mondiale » par rapport aux tournées qui peuvent suivre autour du globe (on l‘espère vivement pour cette création de Koubi), une avant-première n’est « avant » que par rapport à une seule première qui est forcément liée à un seul lieu. Sauf si elle doit avoir lieu en ligne, en raison d’une pandémie. Mais ces temps sont, pour le moment, derrière nous. Et une notion saute-frontières comme celle d’une « avant-première mondiale » résonne parfaitement avec les improbables exploits des danseurs dans Sol invictus.

Résistance solaire

Le soleil invaincu : Koubi veut faire passer, avec cette création, un message d’espérance, de rassemblement mondial, d’ouverture et d’amour. Pour la première fois il mélange ici hommes (toujours majoritaires, certes) et femmes. Mais sous ce soleil doré et parfois nocturne, il n’y a pas de rôles définis selon le genre ou la culture d’origine. Cette assemblée est juste incroyablement bigarrée, avec force tatouages, cheveux hirsutes ou absents, barbes de bucherons ou jambe manquante. Car oui, l’un d’entre eux danse sur un seul pied, mais a tant de force dans le reste du corps qu’on ne voit que ses incroyables rebondissements à la manière d’une balle en caoutchouc montée sur ressorts. 

Les dix-sept individualités de ce ballet très agité – qui sait aussi se calmer pour laisser parler d’autres harmonies – accomplissent autant de prodiges physiques que métaphoriques. C’est le paradoxe du voyageur qui part vers l’est et arrive à l’ouest : En exacerbant les individualités, Koubi forge une communauté soudée par ses différences. Et si on a souvent été époustouflé par la virtuosité des danseurs hip hop, les prouesses acrobatiques des uns et des autres dans Sol Invictus appartiennent à d’autres sphères. Derrière chacun et chacune, on devine ici une trajectoire de vie, une originalité profonde, une histoire faite de racines et d’aventures.

Galerie photo © Laurent Philippe

Communauté improbable

Certains viennent de quelques improbables contrées amazoniennes. D’autres de villages de la Russie profonde. Une Taïwanaise tisse des liens de sororité avec une Italienne et un Marocain arbore des boucles d’une telle ampleur que tout le monde le prend pour un Brésilien… Ensemble, ils s’emparent du plateau à la manière de créatures sorties d’une mythologie nordique ou d’un conte celte en plein rite guerrier, sorcier, solaire… Cette tribu décline le cercle comme forme de rassemblement, transformant les corps en arcs et la musique en battements de cœur. 

Chacun, chacune décline un vocabulaire personnel et inimitable entre terre et ciel, dans une puissance surhumaine telle qu’on la connaît, sous une forme très différente, au ballet classique ou au cirque. Et en effet, Sol Invictus n’est pas sans renvoyer, dans ses saltos, ses portés, ses façons de jeter et attraper quelques camarades, aux acrobates-danseurs de la compagnie XY qui, dans cette même édition du festival, avait fait escale à Vaison avec Möbius, la pièce sur mesure, créée pour eux par Rachid Ouramdane. 

Acrobatie et spiritualité

La comparaison entre une troupe de cirque et les danseurs de Sol Invictus  tient aussi à leurs allures qui témoignent, chez une belle partie d’entre eux, d’un mode de vie libre, peut-être même en marge de la société. Ces corps, ces visages clament leur différence, leur irréductibilité. Chez certains, l’apparence est en soi un manifeste. Voir 2.500 personnes se lever, les ovationner et puis leur faire la fête encore, lors du « bord de régie » a de quoi redonner confiance en quelques lumières chez l’humain. Et c’est bien le but d’Hervé Koubi : faire appel au meilleur en chacun. 

Une dimension spirituelle est indéniable, et elle s’affirme progressivement, au cours du spectacle. Koubi assume : « Il y en a toujours eu dans mes spectacles, je ne sais pas faire autrement. Et j’ai une obsession de la rotation, c’est de l’ordre du sacré », comme ici dans cette manière de se regrouper près du sol, dans un coin, pour partir dans une longue marche partagée, se soutenant les uns les autres. L’appel des cieux est amplifié par les costumes et les lumières qui suggèrent, dans leur fusion, d’abord une peuplade plutôt forestière et plus tard des ambiances dignes de la peinture de Renaissance mais aussi de l’époque romaine. A moins qu’on se soit laissé influencer par les vestiges entourant le Théâtre antique… On pourrait ensuite longuement évoquer ce tissu doré qui de déploie sur le plateau ou se retire et rappelle les couvertures de survie, mais devient ici plutôt un sol solaire, voire une mer scintillante. 

Galerie photo © Laurent Philippe 

La danse break en mode caché

Il faut y regarder par deux fois pour se rendre compte à quel point les sauts et révolutions dans Sol Invictus  font partie du registre de la danse urbaine, tellement Koubi réussit à créer une fusion totale entre l’interprète, son personnage et sa danse dans une ambiance plutôt rurale. On prend donc, spectateur qu’on est, tout mouvement comme l’expression d’une personnalité au lieu d’y voir un exploit technique. Ce qui, à ce niveau des prouesses, relève de l’extravagance ! Effet paradoxal repris en miroir par le chorégraphe après le spectacle, quand il déclare avoir lui-même oublié « la particularité » de Samuel da Silveira Lima, qui danse comme un petit diable et pourtant se meut sur une seule jambe. A la fin du spectacle, on tombe des nues quand on le voit revenir sur ses béquilles. La même chose s’est produite pour Koubi : « Ce n’est qu’en réglant les saluts que j’ai repris conscience de la condition de Samuel », dit-il. 

Tout cela est d’autant plus remarquable qu’un certain nombre de ces B-Boys s’étaient jusque-là consacrés exclusivement aux battles et n’avaient jamais pratiqué la danse au service d’une construction artistique. Aussi il s’agissait pour eux d’une première absolue, sans le moindre « avant- ». Et Koubi d’évoquer la « Tour de Babel » des répétitions, où il fallait passer du portugais au russe, à l’anglais, au français etc., sans qu’aucune langue ne soit partagée par tous. « Parfois on s’agaçait », avoua Koubi au micro, au milieu de la foule. Heureusement pour les interprètes, il dit se sentir « plus jardinier que chorégraphe ». Lui qui faisait des études à Marseille pour être docteur en pharmacie cultive sur le plateau, avec l’aide du soleil invaincu (celui de son cœur), son jardin médicinal dansant, principe actif permettant de « célébrer les liens qui nous unissent, ceux de la vie enchevêtrés au cycle des saisons ». Sol Invictus  a tout d’un printemps enchanteur. 

Thomas Hahn

28festival Vaison Danses, Théâtre antique, le 22 juillet 2023

Tournée

9 septembre 2023 : Festival Oriente Occidente – Rovereto (I)
15 septembre 2023 : festival Arabesques – Domaine d’O - Montpellier
19 septembre 2023 : festival Cadences Arcachon
23 septembre 2023 : L’Octogone – Pully
26 septembre 2023 : L’Esplanade – Divonne les bains
28 septembre 2023 : Centre Culturel Louis Aragon – Oyonnax
29 septembre 2023 : Espace Culturel Albert Camus – Bron
5 octobre 2023 : Quai 9 – Lanester
11 octobre 2023 : Théâtre Ducourneau – Agen
13 octobre 2023 : Le GRRRANIT – Scène Nationale de Belfort
19 octobre 2023 : Carré Bellefeuille – Boulogne Billancourt
21 octobre 2023 : Théâtre – Annonay
15 novembre 2023 : Théâtre de Neuss – Allemagne
24 novembre 2023 : Espace Juliobona – Lillebonne
26 novembre 2023 : Palais des congrès de Loudéac
2 décembre 2023 : La Barcarolle – Scène conventionnée de Saint Omer
15 et 16 décembre 2023 : Monaco Dance Forum

Chorégraphe : Hervé KOUBI
Assistant : Fayçal HAMLAT

Danseurs : Ilnur BASHIROV, Francesca BAZZUCCHI, Badr BENR GUIBI, Joy Isabella BROWN, Denis CHERNYKH , Samuel DA SILVEIRA LIMA, Youssef EL KANFOUDI, Mauricio FARIAS DA SILVA, Abdelghani FERRADJI, Elder Matheus FREITAS FERNANDES OLIVEIRA, Hsuan-Hung HSU, Pavel KRUPA, Ismail OUBBAJADDI, Ediomar PINHEIRO DE QUEIROZ, Allan SOBRAL DOS SANTOS, Karn STEINER, Anderson VITOR SANTOS.

Musique : Mikael KARLSSON / Maxime BODSON / Steve REICH / Ludwig Van BEETHOVEN
Arrangements : Guillaume GABRIEL
Création lumière : Lionel Buzonie
Costumes : Guillaume Gabriel
Conseillère artistique : Bérengère ALFORT
Regard extérieur : Odile COUGOULE

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