Plein Phare : Les « Attitudes habillées » de Balkis Moutashar

Les « Attitudes habillées » et gigots à la fraise de Balkis Moutashar. 

Le 26 novembre au MuMa du Havre, dans le cadre du festival Plein Phare, la chorégraphe chercheuse en mode (et) mouvement, interroge le corps féminin contemporain dans sa relation au costume et à l’histoire. 

Attitudes, fraises et gigots, faux-culs et tailles de guêpe : Avec Habitudes habillées – Le quatuor, Balkis Moutashar a mijoté un défilé de mode non seulement historique mais des plus cocasses et savoureux. Sous son regard de plasticienne, de femme et de danseuse, une coiffe normande ou une chopine vénitienne vont permettre aux corps d’aujourd’hui d’éprouver – au sens scientifique du terme – l’impact de vêtements conçus pour les femmes d’époques différentes, du XVIe siècle à la culture pop et fashion de nos jours. 

En puisant dans l’histoire de la peinture, elle récupère ici certains éléments vestimentaires conçus comme symboles de puissance sociale ou bien de soumission : d’une part les énormes manches du XVIe siècle (les « gigots ») et les fraises blanches couvrant le cou pour donner un coup de projecteur sur le visage, d’autre part le corset du XIXe siècle qui contraint la femme à épouser attitudes et mouvements qui n’ont rien de naturel – exactement comme chez la ballerine ! 

Si Balkis Moutashar pose un regard des plus précis sur cet attirail et ses effets, elle peut aussi, sans aller jusqu’à la mimésis, animaliser furtivement son quatuor pour amener un autre genre de formatage des corps et du geste, un autre décalage et une autre forme d’ironie. Car en plus de ses emprunts à la peinture, elle a aussi étudié la cinétique de différentes espèces animales.

Aussi ce quatuor nous amuse, alors que le fond ne manque pas de sérieux. Il s’agit en effet d’épingler certaines images de corps induites par la mode qui laissent bien peu de liberté au corps féminin, à chaque fois avec les méthodes de son époque. Certaines poses, certains gestes paraissent alors comme découpés de quelque tableau d’époque, les corps étant privés de leurs points de référence. Ces bras, ces mains, que veulent-ils donc tenir ou atteindre ? Sans doute une forme d’abstraction, à son tour tout à fait amusante. 

Au début d’Attitudes habillées – Le quatuor  seuls les petits pas et trajets linéaires annoncent déjà la couleur de la contrainte, mais peuvent encore passer pour un jeu auquel on se prête volontiers, dans une illusion de liberté offerte par de larges chemises de nuit blanches. Arrivent le corset (une camisole !) et les chopines vénitiennes, sans doute un pendant des talons aiguilles de nos jours dans le sens où elles forcent le corps à adapter sa démarche. Mais tout se retourne et change de sens. Car les coiffes folkloriques sont ici si énormes qu’elles affirment le pouvoir de ses porteuses alors qu’elles étaient destinées à les inscrire dans un rôle genré très défini. Quant à la taille de guêpe, elle semble se transformer en armure et annoncer une forme de puissance jusque-là insoupçonnée. 

Aussi Balkis Moutashar détourne subtilement les poses et mouvements convenus, si dépersonnalisés et mécaniques soient-ils. D’une part puisque l’attirail blanc cède à une rébellion carnavalesque voire à un tableau final en mode contemporain(e) comme pour une chaude soirée clubbing, et d’autre part puisque l’une des personnes de ce groupe d’automates féminins est un homme ! Truffées de clins d’œil, les Attitudes habillées en quatuor montrent que sous les vêtements se cachent non seulement une histoire culturelle des relations entre les genres, mais aussi moult possibilités de subversion. Car Moutashar, chercheuse très documentée au regard subtil, est aussi une chorégraphe à l’esprit facétieux et ludique. 

Thomas Hahn

Vu aux Hivernales d’Avignon, La Chartreuse, le 17 février 2023

Dimanche 26 novembre 2023  : Attitudes Habillées au MuMa du Havre dans la cadre du festival Plein Phare. 
MuMa du Havre

Chorégraphie : Balkis Moutashar
interprétation : Clémence Galliard (ou Emma Gustafsson ou Lisa Robert), Balkis Moutashar, Vincent Delétang et Violette Wanty (ou Marie Barthélémy)
Assistante à la chorégraphie : Emilie Cornillot
Dramaturgie : Youness Anzane
Costumes historiques : Natacha Béacet, Jasmine Comte, Christian Burle
Vêtements contemporains : Jennifer Chambaret, Shatamou
Création sonore : Géraldine Foucault et Pierre-Damien Crosson
Scénographie : Claudine Bertomeu
Création lumières : Samuel Dosière