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« Pièce d’ensemble & Les Noces » d’Alma Söderberg et Salva Sanchis

À l’occasion de sa 17édition, le festival June Events a rendu hommage à la Manufacture, prestigieuse école d’arts de la scène créée à Lausanne en 2003 qui dispense un cursus de danse contemporaine en étroite liaison avec P.A.R.T.S., l’institution bruxelloise fondée huit ans plus tôt par Anne Teresa De Keersmaeker. La section danse de la Manufacture, aujourd’hui « placée sous la responsabilité artistique » de Thomas Hauert, a présenté deux œuvres, dans un ordre différent de celui annoncé : Pièce d’ensemble & Les Noces.

Une même onzaine d’interprètes, la disparité penchant vers le sexe féminin, s’est donnée corps et âme dans les chorégraphies d’Alma Söderberget de Salva Sanchis, prenant à peine une quinzaine de minutes pour la détente, le changement de costume et aussi celui de rôle. Söderberg prend l’adjectif choral au sens le plus large du terme en fondant, sans toutefois confondre, musique et danse. Elle renoue par là même, comme nous l’a fait remarquer le photographe Laurent Philippe, avec une formule explorée dans les années 70 notamment par Meredith Monk. Et, plus près de nous, par Daniel Linehan qui signe toujours et vocalise en solo ou avec ses danseurs la B.O. de ses pièces. La structure minimaliste ou répétitive donne du grain à moudre au collectif comme à l’individualité. Les interprètes font grappe, groupe, sinon masse au tout début, côté cour, dans le silence et l’obscurité. Peu à peu, ils se dispersent sur l’aire du jeu, le plateau étant en l’occurrence au ras des pâquerettes. 

En même temps, ils et elles marquent le pas, produisent leurs rythmes, leurs rengaines, leurs antiennes, avec le renfort de percussions corporelles, d’onomatopées, de mots et phrases pour la plupart en français, un monologue en anglais pour faire « in », un autre en espagnol pour se la jouer multiculti – à la manière bauschienne. Rien de chaotique ici, malgré les apparences, l’impromptu faisant partie de l’écriture du ballet. La dépense énergétique est totale, les mouvements sont gracieux et variés. Le contrepoint sonore est aussi celui de la partition dansée, à base de vagues gestuelles synchronisées, d’échappées (de) belles, de houles, d’ondulations, de flux mais aussi de ruptures. La qualité sonore est remarquable, les micros HF dont sont équipés les interprètes permettent d’accorder au mieux leur chant, d’obtenir des effets diphoniques et, bien entendu – si l’on peut dire – polyphoniques. Les enfants de troupe trouvent à s’exprimer théâtralement. On sent que la Manufacture les y a formés. Une des danseuses les plus menues, Emma Perez, s’avère extrêmement douée pour le théâtre musical. Une autre, Timea Lador, pratique avec fougue harangue et pointing, allant jusqu’à menacer les spectateurs du premier rang.

Galerie photo © Laurent Philippe 

Salva Sanchis prend les mêmes et recommence après un entracte mérité. Si la bande-son est bien celle des Noces(1923) de Stravinsky, la chorégraphie n’a plus rien à voir avec l’originelle, de Bronislava Nijinska (autrice non citée par le dossier de presse, ainsi que nous l’a fait remarquer Claude Sorin) ni même avec celle qui avait propulsé Angelin Preljocaj sur le devant de la scène en 1989, avec le renfort des Percussions de Strasbourg et du Chœur contemporain d’Aix-en-Provence (que l’on pourra revoir à Montpellier Danse les 20 et 21 juin). La sono de l’Aquarium a cru bon de passer la musique enregistrée à fond la caisse, ce qui nous a semblé contreproductif. D’abord parce que le disque utilisé, la version de 2013 éditée par Harmonia Mundi en 2015, avec le RIAS Kammerchor (la soprano Carolyn Sampson et le ténorJan Kobow) sous la direction de Daniel Reuss/MusikFabrik (avec pianola, deux cymbalums, un harmonium et des percussions), est suffisamment ample, claire et nette diffusée droit, sans vitesse ni précipitation, sans décibels superflus. Ensuite, parce que le volume porte tort à la danse, la faisant passer au second plan.

Galerie photo © Laurent Philippe

Strictement vêtus de noir, tels des musiciens apprêtés pour une soirée de gala, les danseurs s’en sont encore donné à cœur joie. Ils méritent tous d’être nommés : Jessica Allemann, Alina Arshi, Jamila Baioia, Meggie Blankschyn, Mel Damianaki, Giulia Fabbri, Timéa Lador, Emma Perez, Tristan Richon, Robinson Starck, Natasha Vuletic. Ils respectent le « canevas chorégraphique » de Salva Sanchis, nous gratifient d’une entrée valorisant le port de bras, suivie d’un unisson visuel avec suffisamment de contrepoints pour permettre à chacun de montrer son expressivité, d’un final en fondus au noir et au silence. La danse-théâtre est moins marquée ici. Le mélange des genres opère, qui va du néoclassique au contemporain, sans nul besoin de performance physique. La fluidité prime qui, comme le souhaite le chorégraphe, permet aux danseurs « d’être ensemble seuls [et d’] être seuls ensemble. »
Nicolas Villodre
Vu le 10 juin 2023 au théâtre de l’Aquarium dans le cadre de June Events.

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