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« On the Nature of Rabbits » de Pontus Lidberg

Création mondiale à la Biennale Danza de Venise, autour des années sida et autres désillusions de la sortie de l’enfance. 

« Les années où j’étudiais la médecine à Stockholm comptent parmi les plus intéressantes de ma vie en termes de créativité parce que j’apprenais, j’absorbais etc., mais je créais aussi des pièces de danse », dit Pontus Lidberg dans le catalogue de la Biennale Danza de Venise. Et il explique que ses deux parents exerçaient comme médecin et psychologue. Cette année, le chorégraphe a offert à la Biennale la première mondiale d’une pièce qui s’est révélée être une sorte d’ovni de la danse-théâtre : On the Nature of Rabbits. Et lors du bord de plateau, il étonna tout le monde en expliquant que cette pièce devait quelque chose aux années sida, époque où il fallait vivre avec ce piège mortel alors que les traitements arrivaient si lentement…

Aborder la pièce sous cet angle signifie en quelque sorte rétrécir la lecture qu’on pouvait faire des lapins qui surgissent dans la pièce et se jouent des humains. Le pays des merveilles en prend un coup, les ballons de baudruche bleus de Mme Lapin ont l’air moins joyeux et pourraient rappeler l’hôpital. Tout au long des tableaux qui s’enchaînent sans que le ciment prenne pour de vrai, l’animal manipule les humains, les embrigade en leur tenant des masques ou bien une ombre-miroir à deux oreilles alors que le personnage n’en a pas. Ce lapin – féminin à la base et potentiellement une figure maternelle – est contagieux et perturbe, mais voudrait aussi offrir de la tendresse ou inciter les hommes – au nombre de cinq – à rejoindre le monde des adultes.

« Nos corps et nos systèmes nerveux sont fait pour une vie avec les autres », dit Lidberg à partir de ses connaissances scientifiques sur l’être humain. Le lapin, lui,  est perturbé de trouver des humains sans vie ou de voir, dans un très beau duo, un homme soutenir un autre qui s’effondre. Que comprend un lapin au VIH ? Et le public ? On aurait plutôt vu une histoire plus générale sur notre rapport au désir et à la réalité.

Côté politique, Lidberg évoque aussi – après le spectacle – le temps de la chute du mur et cette illusion des frontières qui s’effaceraient pour tous Ies humains, en référence à l’un des tableaux de cette construction assez kaléidoscopique, pièce où les histoires s’enchaînent sans forcément se lier. Il s’agit d’un moment où un t-shirt passe d’un corps à l’autre alors que les danseurs se font face à travers une échelle. « Peut-être s’agit-il d’une rencontre secrète, peut-être d’une barrière », expliqua le chorégraphe.

Pour Lidberg, les frontières se sont ouvertes un peu partout. « Je ne me sens pas particulièrement scandinave », dit-il par ailleurs. Il a présenté Les Sept Péchés Capitaux  en 2022 à Montpellier Danse, créé en 2019 avec le Ballet de l’Opéra de Paris [lire notre critique] et le Ballet Biarritz [lire notre critique], non sans passer par les Ballets de Monte Carlo [lire notre critique] et au Ballet du Grand Théâtre de Genève [lire notre critique]. Sans parler de sa création prévue avec le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, en octobre. Et ses lapins métaphoriques feront escale au Joyce Theater de New York en 2024.

On peut imaginer cette pièce se recomposer soir par soir, en changeant l’ordre de passage des tableaux dans un processus cunninghamien. Mais tel n’est pas le propos de cette pièce onirique et parfois ludique qui met en scène une quête d’amour et de tendresse fortement perturbée. Alors, le caractère décousu de l’ensemble serait-il le résultat logique de cette impossibilité de vivre son rêve ? Une pièce brisée comme le désir, où ce dernier se transforme en un retour à l’enfance et aux peluches quand les portes et les frontières se referment…

En tant qu’adulte on cherche selon Lidberg « un certain sentiment de familiarité et de sécurité », et donc un rapport comme avec ses peluches dans l’enfance. Il omet là de mentionner que personne ou presque réussit à admettre que cette quête est vouée à l’échec. Beaucoup d’errances mentales peuvent s’expliquer ainsi, et sans doute également celle de cette pièce. Car le traité de Lidberg sur la nature des lapins – symbole de la fertilité s’il en est – ne trouve que rarement une vraie pertinence visuelle et chorégraphique, même avec le chorégraphe au milieu des danseurs, ce qui n’était manifestement pas prévu car non mentionné dans les documents de la Biennale. Mais tant mieux, car le Suédois a bien du charisme sur le plateau. C’est en tant qu’auteur-chorégraphe qu’il nous a quasiment posé un lapin.

Thomas Hahn

Biennale Danza de Venise, Teatro alle Tese, 26 juillet 2023

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