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« Los Bailes Robados » de David Coria

Le 30 janvier David Coria ouvrait les festivités de cette 6édition de la Biennale d’Art Flamenco, un événement bien ancré désormais à Chaillot. Merveilleux danseur, engagé et créatif dans sa recherche artistique, nourri d’influences diverses, ce dernier se situe donc parmi les artistes flamenco les plus intéressants du moment. 

La pièce puise paraît-il son inspiration dans l’épisode d’épidémie de danse de Strasbourg en 1518, thème qui semble devenu incontournable ces dernières années vu le nombre de chorégraphes qui s’en emparent (par manque d’imagination ?). Mais pas seulement. Le même Théâtre de Chaillot présentait en juin dernier une installation immersive (Julie Desmet Weaver / Eugénie Andrin / Claire Allante) inspirée du livre de Jean Teulé Entrez dans la danse, toujours sur ce même thème, que le chorégraphe sévillan souhaite explorer d’un point de vue social et politique, dénonçant l’asservissement et s’attachant à la pulsion puissante de la danse comme moyen de liberté.

Dès la première image, Coria campe un tableau (de maître, au sens propre) en clair-obscur mettant en relief un groupe de danseurs et danseuses. Un même corps soudé et organique, évoluant avec lenteur, par de douces arabesques, tresses et entrelacs, torsions, frôlements et cambrés que viendront peu à peu briser quelques zapateados impérieux. À jardin la chanteuse et musicienne Isidora O’Ryan les accompagne apportant par son attitude, les inclinations de son torse et la gestuelle de ses bras et de ses mains une dimension théâtrale et narrative. Malheureusement, l’amplification exagérée de sa voix semble faire surgir son chant de partout, sauf de sa bouche, et lui donne une présence désincarnée.

On découvre, à l’arrière-plan, le grand cantaor David Lagos, Juan Jimenez Alba au saxophone, prenant plaisir à se balader entre free jazz et mélodies plus traditionnelles, Isidora O’Ryan alternant quant à elle voix et violoncelle. A cet univers musical varié, s'ajoutent des incursions de cloches, de cromorne, de tambours. Les scènes s’enchaînent entre solos et unissons aux allures parfois martiales, toujours dansés avec fougue. Le geste est fort, précis, véloce, extraverti. Les zapateados percutants. 

Dommage que le son nous casse les oreilles... Pourquoi une telle amplification ? Et pourquoi ajouter de la réverbération ? Ça place le spectateur à distance, filtre l’émotion, et donne lieu à une surenchère de puissance sonore entre les danseurs et musiciens. A la fin, le spectateur est littéralement sonné !

À mi-parcours, enfin, la violoncelliste rejoint David Coria pour une séquence plus intimiste mais toutefois d’une très grande virtuosité, fort applaudie et ponctuée d’un Olé par les afficionados présents, comme tous les solos du bailaor par la suite. Les quatre autres interprètes, Ivan Orellana, Florencia Oz, Aitana Rousseau, et Marta Galvez, parfois, hélas, un peu relégués en corps de ballet, sont tout aussi fabuleux, qu’ils dansent en solo ou en groupe. 

David Coria pousse le flamenco en dehors de ses frontières traditionnelles, par l’inclination politique qu’il donne à son sujet, ses explorations musicales et scénographiques, parfois très théâtrales, comme cette forêt de tiges souples descendue des cintres symbolisant une cage, des textes autour de l’interdit et des tabous, ou un duo masculin empreint d’érotisme. Une richesse de propositions, certes, mais qui entraîne une certaine confusion. 

On mettra toutefois facilement ces réserves de côté pour se laisser emporter par le chant, la musique, la danse puissante et tripale. Le tout finit en apothéose joyeuse avec un fandango, pieds nus, à la fois ancré, terrien et bondissant, tout à fait jouissif. 

Marjolaine Zurfluh

Chaillot-Théâtre national de la Danse  le 30 janvier 2024 

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