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« Les Saisons » de Thierry Malandain en création mondiale

Au Festival de Danse de Cannes, un hommage à la nature qui brille par le génie humain. Un paradoxe ? 

De baroque en baroque, chez Thierry Malandain, les Saisons – d’Antonio Vivaldi comme de Giovanni Antonio Guido – se suivent et ne ressemblent pas. Et petit à petit l’hiver se glisse partout. Il rentre dans les brèches entre le printemps et l’été, se renforce à l’arrivée de l’automne. Et finalement, il prend le pouvoir. Un hiver tel un mauvais présage, nucléaire peut-être. Cet hiver-là, ce sont des humains en costumes blancs, les bras prolongés par des ailes en forme d’énormes feuilles noires. L’humanité s’est brulé les ailes, elle chute à l’instar d’Icare. Et l’hiver tombe, peut-être à jamais. 

Sur les murs, les mêmes feuilles, mais traversées par des couleurs plus animées. Une nature morte, un souvenir de temps plus heureux ? Thierry Malandain crée sur les hommages à la nature de deux maîtres baroques, mais il dit ne pas vouloir faire une pièce « écologiste », car : « D’autres font ça mieux que moi. » Pas si sûr. Au lieu d’asséner un message didactique, mieux vaut parfois, comme le fait ici le directeur-fondateur du Malandain Ballet Biarritz, laisser parler subtilité et complexité, beauté et harmonie, en accord avec les partitions baroques dédiées au cycle des saisons. Et pourtant ce maître de ballet moderne déclare : « La nature est peut-être en deuil de voir l’humanité tomber aussi bas. » La musique baroque, elle, crée de la hauteur. 

Deux Saisons baroques

Dans Les Saisons, deux compositeurs croisent leurs archers. Violonistes tous les deux, l’un apprit la musique à Venise, l’autre à Naples. Le premier, célèbre, travailla à Vienne. Le second, peu connu, s’installa en France où il fut le Maître de Musique de Philippe d’Orléans. Malandain réunit ici Le Quattro Stagioni de Vivaldi et les Scherzi armonici sopra le quattro stagioni dell'anno  de Giovanni Antonio Guido (1675-1729), contemporain du Vénitien (1678-1741). Deux approches, l’une envolée, l’autre plus cérémoniale, avançant pas par pas, comme écrite pour un bal. Leur rencontre – tardive bien qu’ils aient été contemporains – correspond bien à l’esprit découvreur de Malandain qui n’est pas seulement un passionné de l’histoire de la danse, mais aime autant dénicher des trésors cachés de l’histoire musicale. Cette fois cependant, il n’est pas seul dans le rôle de l’éclaireur.

Vivaldi agaçant ? 

En 2021, Château de Versailles Spectacles sort un enregistrement qui réunit les deux œuvres et son directeur Laurent Brunner demande à Thierry Malandain de réfléchir à une approche chorégraphique Vivaldi-Guido. Malandain accepte le défi, car c’est justement ce qui l’intéresse ici. Vivaldi seul aurait été moins savoureux : « Il est vrai que Les Quatre Saisons du musicien vénitien ont tellement été entendues, tant exploitées jusqu’au malentendu, qu’en réaction, devenues de véritables rengaines, elles peuvent agacer, susciter la plus totale indifférence, ou bien dans notre cas envahir de pensées mélancoliques. » Mais ce n’est pas, pour lui, une raison de s’y refuser, d’autant plus que Malandain a déjà porté sa touche chorégraphique à cette rengaine omniprésente qu’est le Boléro de Ravel et que, selon lui, Les Quatre Saisons de l’année de Giovanni Antonio Guido« devraient apporter un air frais, un renouveau ».

Galerie photo © Olivier Houeix

Deux climats chorégraphiques

Et il n’a pas tort, le contraste entre les deux univers baroques lui permet d’articuler sa chorégraphie en deux ambiances. Sur les fastes de Vivaldi, plus proches du registre symphonique viennois, la chorégraphie déploie la puissance de la compagnie dans toute la richesse de son inépuisable inventivité. Des chaînes, des formes improbables, des structures libres et comme produites par les forces de la nature émergent sans crier gare, pour se fondre dans la suivante. Utilise-t-il un logiciel, comme en son temps Merce Cunningham, pour pousser toujours plus loin les limites de l’imagination ? « Dans le studio de danse, je monte sur une chaise et puis les idées viennent. La difficulté est ensuite de les caler sur la musique », répond-il. 

Sur les orchestrations plus aérées, mais moins fluides de Guido, Malandain réinvente des danses de cour à travers des réminiscences traditionnelles. Les costumes sont dorés, les motifs chorégraphiques plus simples. On y rencontre des visions libres des pas basques, revus dans un esprit contemporain. Et les danseurs se rencontrent, jouant avec le souvenir de la contredanse et du quadrille. 

La nature furieuse ?

Derrière les figures humaines des Saisons se dessinent des oiseaux, une forêt, des insectes, des baleines, une chenille, le Faune et peut-être un pingouin si ce ne sont les Beach Birds de Cunningham... Et en chaque saison, la nature fait preuve d’une belle vitalité, même en hiver. C’est le côté optimiste de Malandain. Mais la partition de Vivaldi est aussi plus propice aux accents dramatiques et peut ici évoquer une fureur certaine de la nature. 

Au fur et à mesure, l’ordre climatique se dérègle, même si la suite des saisons aurait pu prendre un cours plus rocambolesque. Mais du début à la fin, les extraits des deux œuvres musicales dialoguent selon le rythme de la rotation terrestre, suivant le principe ABAB, ici à lire comme VGVG : Printemps Vivaldi, printemps Guido, été Vivaldi, été Guido… Par contre, le jeu des couleurs de fond qui traversent le feuillage mural – le scénographe Jorge Gallardo en tapisse les murs de façon bien proprette – semble connaître quelque désordre. Les ambiances chorégraphiques aussi commencent à se dérégler, comme pour suggérer le bon vieux dicton d‘« y’a plus d’saisons », déjà bien connu à l’époque de Vivaldi. 

Galerie photo © Stephane Bellocq

Points cardinaux

En somme, Thierry Malandain démontre avec Les Saisons  qu’il est non seulement indémodable, mais que son écriture s’affine avec l’âge, telle la texture d’un bon Irouléguy ou autre grand vin du Pays Basque. Non seulement elle s’affine, mais elle s’enrichit, se complexifie et se fait toujours plus détaillée, plus vivace. Si Malandain fait ici attention à ne froisser personne, il faut bien garder en vue qu’il s’agit d’une commande de Château de Versailles Spectacles et que la musique de Guido, hymne à la gloire des puissants et à la beauté de la vie, est parfaitement versaillaise – ce qui reste vrai même si ce messager de la musique italienne en France fréquenta d’autres châteaux de France. 

Quant à la tournée des Saisons, elle résonne parfaitement avec son histoire musicale. En janvier 2024, le ballet sera donné à Venise, et l’orchestre sera placé sous la direction de Stefan Plewniak, autre égérie du projet chorégraphique Vivaldi-Guido-Malandain. Aucun doute que dans la ville de naissance de Vivaldi ce pas de deux musical au fil des saisons résonnera particulièrement, comme aussi au Château de Versailles, et bien sûr à la Gare du Midi de Biarritz, château à deux tours de la danse en Pays Basque. Il n’en fallait pas plus pour démontrer à quel point Thierry Malandain conduit une mission saute-frontières, entre pays voisins autant qu’entre les époques et cultures chorégraphiques : baroque, classique, contemporain et tradition basque...  Aussi Les Saisons relit et relie, avec brio et fanfares, quatre points cardinaux (si ce n’est : quatre saisons) du patrimoine chorégraphique. 

Thomas Hahn

Vu le 25 novembre 2023, en création mondiale au Festival de Danse de Cannes

En tournée 

Première avec l’Orchestre Royal de Versailles dirigé par Stefan Plewniak

2023

14, 15, 16, 17 décembre - Opéra Royal de Versailles
27 au 30 décembre - Biarritz - Théâtre de la Gare du Midi

2024

10 au 14 janvier - Venise (Italie) avec l’Orchestre du théâtre de la Fenice dirigé par Stefan Plewniak
19 et 20 janvier - Bilbao (Pays basque) - Teatro Arriaga
4 février - St Quentin Dans L’aisne - Théâtre Jean Vilar
18 et 19 février - La Roche-Sur-Yon - Vendespace avec l’Orchestre Royal de Versailles dirigé par Stefan Plewniak
22 février - Schaffenhausen (Allemagne)
8 et 9 mars - Pampelune (Pays basque) - Baluarte - avec l’Orchestre symphonique de Navarre
12 mars - Neuilly-Sur-Seine - Théâtre des Sablons
15 au 17 mars - Reims - Opéra
29 mars - St Etienne - Opéra
3 et 4 avril - La Rochelle - Scène nationale La Coursive
7 et 8 mai - Bonn (Allemagne) - Théâtre de Bonn
22 au 26 mai - Donostia San Sebastian (Pays basque) - Victoria Eugenia Antzokia
29 au 31 mai - Bordeaux - Opéra
12 juillet - Orange - Chorégies

Les Saisons

Creation 2023 sur une proposition de l’Opéra Royal de Versailles
Ballet pour 22 interprètes
Chorégraphie : Thierry Malandain
Musique : Antonio Vivaldi, Giovanni Antonio Guido
Décors et Costumes : Jorge Gallardo
Lumières : François Menou
Réalisation costumes : Véronique Murat, Charlotte Margnoux
Réalisation décor : Frédéric Vadé
Réalisation accessoires : Annie Onchalo
Assistants décor et accessoires : Nicolas Rochais, Gorka Arpajou, Félix Vermandé, Raphaël Jeanneret, Christof t’Siolle, Txomin Laborde- Peyre, Maruschka Miramon, Karine Prins, Sandrine Mestas Gleizes, Fanny Sudres et Fantine Goulot
Maîtres de ballet : Richard Coudray, Giuseppe Chiavaro, Frederik Deberdt

Interprètes : Noé Ballot, Giuditta Banchetti, Julie Bruneau, Raphaël Canet, Clémence Chevillotte, Mickaël Conte, Loan Frantz, Irma Hoffren, Hugo Layer, Guillaume Lillo, Claire Lonchampt, Timothée Mahut, Alessia Peschiulli, Julen Rodríguez Flores, Alejandro Sánchez Bretones, Ismael Turel Yagüe, Yui Uwaha, Chelsey Van Belle, Patricia Velazquez, Allegra Vianello, Laurine Viel, Léo Wanner  

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