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Les 40 ans de Beau geste !

Normal qu’un soir de match de foot, la soirée de gala organisée par Dominique Boivin pour fêter les quarante ans de la compagnie Beau geste ait eu lieu dans un stade, en l’occurrence, celui du Val-de-Reuil, qui a pour nom Jesse Owens.

Le programme s’est heureusement déroulé au chaud, dans le gymnase, la température extérieure, réelle ou ressentie, étant inclémente dans les parages. Il a duré trois heures que nul n’a senti passer, espacées par un entracte permettant de se sustenter bio pour pas cher. Dominique Boivin a donné de sa personne, jouant le maître de cérémonie, annonçant les œuvres dans leur ordre chronologique, participant à certains solos et duos emblématiques de son répertoire. Les morceaux choisis ont été interprétés par des figures historiques de la troupe ainsi que par des apprentis danseurs dont parents et amis ont permis d’emplir la salle transformée en cabaret, meublée de tables rondes autour desquelles ils pouvaient faire groupe. Les élèves provenaient du lycée Les Fontenelles de Louviers, du conservatoire à rayonnement intercommunal de Val-de-Reuil, Léry et Poses, de l’école intercommunale de musique et de danse Érik Satie de Pont-de-l’Arche, du conservatoire à rayonnement départemental d’Évreux, du groupe de danseurs amateurs Désir 22 dirigé par Philippe Priasso, auxquels se sont joints Léa Caillou et Noah Le Carre.

Devant un rideau en lamé sur lequel étaient projetées des images et des vidéos d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, à commencer par celles du Boléro de Ravel et les diapos dessinées par Alwin Nikolaïs pour servir de décor à son « Water Study », extrait de Sanctum (1964), dansé live, rappelant le passage de Boivin au CNDC à l’ère Nikolaïs, de 1978 à 1981. Ont été évoqués : les débuts de la troupe en 1981, l’époque « Bambi », à l’école du Pont-de-l’Arche ; celle des « performances » qui datent de son installation au Moulin du Robec de Catherine Atlani à Darnétal, avec Les Trois chipies ; son déménagement, en 1983, au Centre d’art et d’essais de Mont Saint-Aignan, à l’invitation de son directeur, Jérôme Alexandre, avec un extrait de Vénus et les toutous, de tendance punk ; le premier festival d’Été en Normandie, avec la pièce Désir désir, en 1983 ; la commande, par la Maison de la danse tout juste créée à Lyon, de Strada Fox ; le thème de La Horde, une des improvisations d’alors ; l’union des collectifs Beau Geste et Lolita pour la production, en 1986, du grand spectacle Zoopsie Comedi ;  la création de Carmen en 1992 à la Biennale de la danse de Lyon et à La Batie-Festival ; trois numéros inspirés du Cabaret pataphysique imaginé en 1993 ; un exemple tiré de La Danse, une histoire de à ma façon (1994) ; un autre, pris dans 96 petites histoires au-dessus du ciel (1996) qui fut représenté au théâtre Bel image de Valence. 

Galerie photo © Olivier Bonnet

Avec Conte sur moi (2000), le chorégraphe marque le changement de siècle ; Miniatures (2003) est une commande de Philippe Cassard pour le festival les Nuits romantiques du Lac du Bourget ; Temps d’images et La Ferme du Buisson produisent la pièce À quoi tu penses ? sur un texte de Marie Nimier ; suit une reconstitution de l’ambiance des Six bals donnés entre 2005 et 2010 par Christine Erbé et Beau Geste ; nombre d’événements (au sens cunninghamien du terme) et d’invitations de danseurs extérieurs caractérisent ce temps-là ;  en 2015, en forme d’un clin d’œil, Boivin imagine Val Street Story ; suit Sacré Sacre, en 2016, une pièce de Philippe Priasso pour 200 amateurs. En conclusion ou presque, nous avons droit à de brèves citations de Bonté divine et Ni d’Ève ni d’Adam (2003-2007), deux duos avec Pascale Houbin ; une vidéo de Transports exceptionnels (2005) qui donne une idée du pas de deux lyrique entre l’homme et la machine, pour partie matérialisé sur scène par Philippe Priasso ; la reprise de Zoopsie à Suresnes en 2009 intégrant du hip hop ; le finale de toute beauté avec un défilé digne des Folies Bergère, avec les costumes de Christian Lacroix – assisté par Sylvie Skinazi –, portés une dernière fois par toute la troupe avant leur dépôt au Centre national du costume de scène de Moulins.

Galerie photo © Nicolas Villodre

Nous avons particulièrement apprécié les interventions d’Éléonore Guipouy et de Philippe Priasso performant Les Trois chipies ; Christine Graz dans Strada Fox ; Dominique Rebaud avec Boivin dans le tableau flamenco de Zoopsie Comedi ; la tribu colorée (pour ne pas dire Benetton) de Christine Graz et Laurent-Marie Joubert ; Gisèle Gréau dans Carmen ; un tout jeune danseur amateur s’étant lui-même chorégraphié sur la chanson-titre de Cabaret, une pièce évoquée aussi par les artistes « singuliers » Pierre, Véronique et Christine (aka Renée) ; Lucas Viallefond dans un pastiche bauschien ; Christine Corday dans 96 petites histoires ; Baptiste Delande transformé en Tressa Dollag sur le tube d’Amy Winehouse Back to Black ; Aurélien Le Glaunec dans Miniatures ; un duo piquant d’Ilham Aniss et Lhacen Ben Bella ; un autre de Bérengère Fournier et Samuel Faccioli (= La Vouivre) sur la chanson Le Coup de soleil de Richard Cocciante ; le merveilleux duo Dominique Boivin-Pascale Houbin sur Mon amie la rose de Françoise Hardy ; la version minimale (sans la pelleteuse sur scène) de Philippe Priasso de Transports exceptionnels ; et, au finale, le salut de toute la troupe parée de costumes Lacroix.

Ces jalons permettent de se faire une idée plus précise du style chorégraphique développé par Boivin et ses partenaires de jeu, des années 80 à nos jours. La danse de Beau geste compose finement avec des éléments contraires au premier abord : l’élégance du port de bras hérité du ballet classique (avant de prendre l’alternative et de devenir chorégraphe, Boivin fut interprète chez Roland Petit), l’abstraction magique nikolaïenne, le sens de l’improvisation, les effets d’ornementation, le travail collectif mettant de côté les problèmes d’ego, la défiguration et l’indifférenciation sexuelle, la rigueur mathématique empruntée à Cunningham, l’engouement pour les danses de salon et la musique pop, l’amour de la poésie et du verbe, la mélange des genres, le travail artisanal. Le bon esprit, la plupart du temps. L’humour, toujours.

Nicolas Villodre

Vu le 10 décembre 2022 à Val-de Reuil.

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