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Faits d’Hiver avec Tabea Martin : Danser avec la mort

Ouverture du festival avec Forever, comme pour implorer et fêter la vie éternelle. Un jeu d’enfant ?  

En danse classique, la mort est une affaire de conventions, de cygnes trompeurs, de romantisme et de grandiloquence théâtrale. La danse contemporaine choisit plutôt concepts, détours et abstraction pour l’aborder. Les conventions, Tabea Martin s’en amuse à sa façon. Et de la mort aussi, plaçant Forever dans une idée d’éternité inversée, qui n’est pas celle d’une existence post-mortem, mais plutôt une idée d’ infini d’avant toute idée de trépas, dans l’angle mort des petits spectateurs qui sont la première cible (mais pas l’unique) de Forever

« Nous sommes ici pour toujours », disent-ils en s’adressant à la salle, alors que tout le monde sait qu’une heure plus tard, ils auront quitté le plateau. Pour toujours ici, sur le plateau, sur terre et pas en-dessous... Les adultes savent que l’affirmation relève de l’innocence enfantine. Les enfants ne se posent même pas la question. La mort n’existe pas et ici, c’est partout. Avec ce quintette tout de blanc vêtu et vite douché de rouge, chaque danse macabre, chaque Halloween, et toute idée de gore se transforment en exultation, en boum, en surprise-party où l’on jette du sang et des larmes aux corps et aux visages de ses amis pour s’esclaffer de rire. 

Mourir, mais comment ?

« Je m’appelle Tamara et je vais mourir comme ça… » Et elle le danse. Imaginez : La mort du cygne, reproduite par quelques Marx Sisters… La mort comme apothéose festive, sans le moindre détour par le Mexique ou invitation de la Catrina, comme apothéose de la fête. Et les glissades jouissives dans un lac de sang et de larmes (après avoir vidé les bidons aux inscriptions correspondantes) qui moquent les grands jetés. 

Des pancartes suggèrent une panoplie de solutions, de « mordu par serpent » à « tomber d’une falaise » ou encore, dans un rapprochement avec le mauvais goût, « mort de faim ». Ce degré d’inconscience, c’est aussi dire que la mort n’existe pas, c’est jouer avec l’idée même, et l’innocence qui s’en dégage appartient à la jeunesse. On n’est donc pas tout à fait étonné de lire que Forever  a été conçu et créé en direction d’un public jeune, de huit à douze ans. Et quel enfant ne croit pas que demain n’existe pas puisque l’instant qu’il est en train de vivre semble éternel ? 

Galerie photo © Nelly Rodriguez

Forever et le point mort

En tant qu’adulte, on constate que certains gags ne sont même pas mort-nés, mais carrément morts avant même de naître sur le plateau. Ce qui relève de la méchanceté de l’expérience dont les enfants, principalement visés par le spectacle, sont – pour l’instant – préservés. Il faut avoir pris conscience de la mort pour réussir à s’ennuyer sur le fond, alors que la forme de Forever, avec ses gags – un danseur enfermé dans une bulle, un rite funéraire burlesque et autres danses grotesques – a tout pour divertir, à condition d’aborder le monde en mode tik tok. Ce qui veut dire qu’au moment où pour le public jeune la pièce s’anime vraiment, elle arrive, pour la génération des parents, à son point mort. Et se mord la queue, joyeusement.

« J’aimerais comprendre la manière dont les petits envisagent la mort », dit la chorégraphe. En effet, on aimerait savoir. Après tout, le monde des adultes fait son possible pour refouler la mort alors que les enfants s’en amusent sans se douter qu’ils auront un jour, eux aussi, à faire comme eux. Et si les enfants se saisissent du monde et de la vie par le jeu, il est vrai que la mort, insaisissable, leur refuse cet accès. Car s’il est possible de s’approcher du monde et de la vie par le jeu pour en comprendre le fonctionnement et l’essence, la mort ne s’atteint que par la mort. Ni par le rire, ni par la danse. Ce qui fait que pour nous parler d’elle, Tabea Martin se voit obligée de ruser en déguisant sa burlesque danse macabre en une rencontre avec la vie éternelle. Dès lors, comment éviter de tourner autour du pot en faisant toujours plus de bruit, sans réussir à mettre la main dessus ? Forever  est une image puissante de notre impuissance face à la mort. 

Thomas Hahn

Festival Faits d’Hiver, le 15 janvier 2024

Paris, Théâtre de la Cité internationale

Forever
chorégraphie Tabea Martin
interprétation Tamara Gvozdenovic, Benjamin Lindh Medin, Emeric Rabot, Daniel Staaf, Miguel do Vale
scénographie Veronika Mutalova
costumes Mirjam Egli
lumière Simon Lichtenberger
dramaturgie Irina Müller, Moos van den Broek

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