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Entretien avec Tiago Guedes

Quelques jours avant son ouverture le 9 septembre 2023, le nouveau directeur de la Biennale de la Danse de Lyon a accepté de répondre à nos questions.

Quels sont les artistes que vous avez choisis pour cette Biennale et pourquoi ?

Quand je suis arrivé en septembre 2022, il y avait des décisions à prendre. Soit garder l’ensemble des spectacles, tel que c’était prévu, et programmer ma première Biennale pour 2025, soit commencer à montrer ma ligne artistique qui faisait partie de mon projet tel qu’il a été retenu, en repérant si certaines de ces pièces pouvaient être défendues en saison. Cela permettait d’ouvrir un peu les portes, et notamment de rééquilibrer la programmation avec plus de femmes chorégraphes. Je voulais que la Biennale soit exemplaire en matière de parité. Ce qui reste une question en France, que l’on parle de la direction des CCN ou des programmations. Donc j’ai invité surtout des femmes avec lesquelles j’avais déjà une relation à Porto : Lia Rodrigues, Catherine Gaudet, Marlene Montero Freitas, Phia Ménard… j’ai pris aussi quelques hommes pour rééquilibrer, comme François Chaignaud, Marco Da Silva Ferreira. Ce sont des femmes avec des discours très forts, très politiques. Et selon moi, quand j’ai analysé la programmation, il manquait des pièces un peu plus engagées socialement et politiquement. Par exemple Lia Rodrigues me semblait obligatoire, elle est l’une des plus grandes chorégraphes actuelles. Et j’ai choisi aussi de montrer comment certains artistes regardent le monde à travers le corps, et Lia, est emblématique à cet endroit. Ne serait-ce qu’avec sa compagnie déjà très particulière, tous ces jeunes qu’elle forme à Maré. On perçoit un peu du Monde condensé dans ces corps et ça me plaît beaucoup.

Plus globalement pour vous la danse est-elle un art engagé ?

C’est un art engagé, un art qui doit parler du monde d’aujourd’hui, les corps et la danse sont un langage universel. Il y a de plus en plus d’artistes engagés socialement et politiquement, et je trouve que nous en avons besoin aujourd’hui, notre monde étant tellement complexe à tous les niveaux. Les programmateurs doivent l’être aussi, avec les projets qu’ils organisent et les contextes qu’ils développent pour que les choses puissent dépasser ce qui a été imaginé. Nous créons un terrain de jeu et ensuite nous espérons que les artistes s’en saisissent.

Quelle vision de la danse défendez-vous ?

J’aime la danse de façon très éclectique, j’aime énormément de choses très diverses. Des grands ballets aux pièces très proches des arts visuels en passant par des récits plus politiques. Et je souhaitais, dans cette Biennale, amener cet aspect du récit. Les centres se déplacent, je pense que c’est le moment d’en parler. Certes, la Biennale est déjà au centre de la France et de l’Europe, elle aura toujours dans sa programmation 50% d’artistes européens et c’est normal. Mais il faut être attentifs à d’autres artistes qui n’ont pas les mêmes moyens de production, la même visibilité. Au Portugal, de par notre situation géographique nous sommes toujours très connectés avec l’Afrique et l’Amérique du Sud. Et ce sont ceux-là que je voudrais présenter. Et je voudrais qu’en 2025, la Biennale soit plus équilibrée quant aux zones extra-européennes qu’elle propose.

Avez-vous déjà des pistes pour cette future programmation ?

Un programme intitulé FORUM va être lancé au cours de cette Biennale. J’ai invité cinq programmateurs non européens, venus du Mozambique, du Brésil, d’Amérique, de Taiwan, et d’Australie. Pendant deux ans nous allons avoir des rencontres régulières pour nous projeter sur la Biennale 25 avec des artistes de leurs pays, afin que les processus de repérage et de choix soient beaucoup plus partagés. Car en fait, bien sûr je peux aller en Australie, mais ma collègue qui est là depuis vingt ans, a bien plus d’expérience du terrain et des artistes australiens et aborigènes, et une meilleure appréhension de la région. Donc nous avons imaginé ce projet de coopération artistique et éthique, pour qu’au moins cinq spectacles non européens soient choisis. Ils vont venir une seule fois physiquement à la Biennale pour nous rencontrer, nous choisirons les artistes début 2024 et ensuite la Biennale sera partenaire de ces artistes qui vont développer leur projet là où ils sont.

Pour cette Biennale vous avez également développé les rendez-vous, intitulés Immersion Fagor, aux anciennes usines Fagor avec une grande diversité de propositions, et un souci de convivialité. En quoi est-ce important pour vous ?

J’ai composé une programmation entre les spectacles et les autres strates, avec tous les événements autour qui sont d’autres portes d’entrée, et que je défends comme telles. Car je pense qu’il faut que la Biennale ait d’autres moyens d’accès que les seuls spectacles. Voilà pourquoi j’ai imaginé le programme de Fagor.

Il se trouve que c’est la dernière année que nous pouvons investir les Usines Fagor. Ensuite nous déménageons. Donc il était symbolique de monter une séquence plus conséquente à Fagor, et qu’elle soit un essai pour ce que je veux développer en 2025. Il y aura des créations, des grandes pièces in situ, et toute une partie convivialité, un club, des soirées... Pour moi un festival est une fête et un endroit de rencontres, au-delà des spectacles. Dans toutes mes réalisations, cet aspect a toujours été très présent. Fagor est donc un lieu fédérateur où l’on peut boire, manger, danser – nous sommes dans un festival de danse, donc tout le monde doit pouvoir danser. C’est ma façon de démocratiser la danse et c’est très important à mes yeux. Tout le monde sait qu’après les spectacles, on peut y rencontrer ses collègues, des artistes, le public, celui qui est venu au spectacle ou ceux qui viennent juste pour boire un verre ou écouter un DJ, et ça m’intéresse d’avoir un espace accueillant pour toutes et tous. On y trouve également des « plateaux ouverts », c’est-à-dire un plancher de danse où les artistes peuvent répéter, être en résidence, et où le public peut regarder. Donc l’Immersion Fagor, c’est un condensé de tout ça.

Avec deux projets phare. Immersion dans la culture Hip Hop que l’on a travaillé avec le Collectif FAIR-E. De 11h à 2h du matin il sera possible de voyager avec eux à travers des conférences, des films, de la pratique, des battles, des barbecues, une radio qu’on entend tout le temps. On plonge totalement dans la culture hip hop, et idem pour la culture Ballroom que l’on met au point avec la Gaîté Lyrique, et avec Vinii Revlon sur le même modèle : conférences, ateliers, grand bal… Et ça me tient à cœur de donner à découvrir certaines communautés d’un point vue artistique, politique et social, ce sont des projets participatifs où le public peut circuler, il peut aussi bien rester deux ou quinze heures.

Comment faire venir d’autres publics à Fagor ?

Ça c’est tout le travail des équipes qui sont excellentes et ont une grande connaissance du terrain. Après il faut travailler avec d’autres partenaires qui connaissent déjà certains milieux. Par exemple, la programmation musicale de notre Club est faite en collaboration avec des associations qui organisent déjà des soirées. Donc nous nous appuyons sur leur expertise et ça créée des croisements de publics entre ceux de la Biennale et ceux de ces associations. Donc il faut penser la programmation en complicité avec d’autres structures qui ont aussi leur public. Ça enrichit les projets.

Le Défilé a été déplacé en tête du festival. Pourquoi ?

Le Défilé était déjà en place quand je suis arrivé, les douze chorégraphes étaient choisis. A moi de penser à l’ouverture et à la fin. Mais je trouvais qu’il y avait presque deux entités : le Défilé et la Biennale provoquant une certaine confusion. On entend dire « j’ai participé à la Biennale » des gens qui participent au Défilé. Et ce que j’ai compris avec les Relations Publiques c’est que les gens qui participaient au défilé n’étaient pas du tout ceux qui allaient voir les spectacles. D’une part, parce que le Défilé avait lieu au milieu de la Biennale, donc les participants étaient concentrés sur leur prestation à venir ainsi d’ailleurs qu’une partie de l’équipe.

Désormais, ils ouvrent la Biennale et ont un programme pour les participants qui peuvent prolonger l’expérience du Défilé dans la Biennale. Et mine de rien, c’est un gros changement. D’autre part, la Biennale offre un spectacle gratuit au choix à chaque participant mais seulement 30% d’entre eux en profite. Donc il faut faire autrement. Les rencontrer, les inviter, chaque chorégraphe de chaque groupe sera médiateur, et prolongera les rencontres qu’ils font depuis un an, mais autour de la programmation de la Biennale. Je suis très heureux de vivre pour la première fois ce Défilé. Parce qu’en fait, la force de ce projet sont ses ingrédients. Le travail fait en amont, entre la danse, les chars, les costumes, les gens qui adorent faire de la danse de façon ludique et sont fiers de participer, après on peut penser à différents formats. Et c’est très excitant de penser à ça.

La Biennale c’est aussi le lancement du projet « À Toi ! »

C’est un projet que j’ai écrit en pensant à moi. Car à 15, 16 ans j’ai profité d’avoir l’opportunité de pratiquer et de voir des spectacles, ma mère m’y incitait et je prenais le bus pour aller à Lisbonne. Et cette expérience a été fondatrice. Donc dans mon projet j’ai proposé plus de porosité entre la Maison de la Danse et la Biennale. « À Toi ! » s’étale sur deux ans avec des jeunes, qui passeront de l’adolescence à l’âge adulte avec nous. Ce sont des voyages avec des ateliers pratiques, autour de la critique, et avec les métiers de la culture. Ce sont des rendez-vous chaque mois entre la pratique et la théorie, avec un spectacle, un atelier, un projet participatif. Ils vont intégrer certains projets ouverts au public, et tout cela aboutit à la Biennale 25, les derniers ateliers métier de la culture auront lieu avec moi et l’équipe pour parler ensemble de programmation. Comment on monte un programme, comment on le choisit. Il y aura un spectacle qu’ils vont choisir avec nous. Et ils passeront le flambeau à la prochaine promotion.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Biennale de la Danse de Lyon du 9 au 30 septembre 2023

 

 

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