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Entretien avec Didier Deschamps

Le nouveau directeur du festival de Danse Cannes Côte d’Azur France s’attache à la richesse de la création chorégraphique avec une attention particulière à l’ouverture et aux croisements. Il a détaillé pour nous les secrets de sa programmation.

Danser Canal Historique : Qu’est-ce qui vous a incité a accepter la direction du Festival de Danse de Cannes Côte d’Azur France ?

Didier Deschamps : C’est un festival que je connais et que je suis depuis sa création et ses directions successives. J’y suis allé à différents titres, comme spectateur, avec Yorgos Loukos, et c’était un grand bonheur, comme délégué à la Danse au ministère de la Culture, et ensuite, en tant que directeur de Chaillot Théâtre national de la Danse, j’ai continué de venir car nous avions des coproductions ensemble. Quand j’ai quitté Chaillot, Brigitte Lefèvre étant en partance a suggéré mon nom. Quand ils m’ont appelé, je n’ai pas hésité un seul instant, car j’ai trouvé que c’était une très belle manière de poursuivre mon action dans le domaine de la danse et j’avais l’impression d’être à la hauteur de ce festival d’une belle notoriété.

DCH : Quel est votre axe de programmation ?

Didier Deschamps : Je suis fidèle et simple par rapport aux convictions que j’ai développées partout où je suis allé. Tout d’abord, j’aime donner à voir la diversité des spectacles de danse, que ce soit au cours d’une saison, ou dans un festival. Ça permet de rendre compte de l’actualité de la danse sous toutes ses formes, que ce soit à travers un répertoire ou des créations, ou par une grande diversité de styles, de formats, de provenances géographiques. Pour moi c’est une chose essentielle, surtout quand je vois l’état du monde. Que je puisse à travers l’art, le spectacle et la danse en particulier, avoir la chance de connaître et de m’enrichir de ce qui se passe ailleurs est une chance, le mettre en confrontation avec ce qui se diffuse localement, en est une autre.

DCH : Vous dites vouloir mettre l’accent sur la jeunesse. En quoi est-ce important pour vous ?

Didier Deschamps : J’ai souhaité mettre l’accent sur la jeunesse, car à Cannes demeure l’école de Rosella Hightower, un pôle formidable de formation grâce à la direction géniale de Paola Cantalupo, avec laquelle nous avons bâti cette semaine d’invitation des autres pôles nationaux supérieurs de danse français. Donc une semaine juste avant le festival ils vont échanger leurs pratiques, leurs répertoires. Nous organisons un colloque sur la formation, les enjeux de la formation professionnelle et l’insertion des danseurs. Le premier jour du festival, ils présentent leurs propres spectacles, plus une performance avec 70 jeunes danseurs sous la conduite d’Annabelle Bonnery. C’est un point important parce qu’il me semble que mélanger les générations reste un enjeu de taille pour les théâtres. Donc il faut se préoccuper de la jeunesse, avoir la chance de réunir ces écoles permet d’innerver tout le festival de ces préoccupations-là.

Il y a aussi un nouveau temps fort consacré au film de danse, Mov’In Cannes…

Didier Deschamps : J’ai réuni ces deux moments forts que sont respectivement les festivals du cinéma et de la danse.  J’ai donc créé un nouvel événement innovant au sein du festival intitulé Mov’In Cannes, soit une compétition de courts métrages sur la danse. J’ai demandé à Eric Oberdorff, installé à Nice, et qui porte déjà la plateforme Studiotrade de venir accompagner cette opération. Les échanges, les liens, depuis que le cinéma existe, entre ces deux arts sont constants. Que l’on pense à Loïe Fuller ou aux Comédies musicales ou à notre époque où l’image fait totalement partie du langage des chorégraphes qui l’utilisent souvent sur le plateau. Le 30 novembre, un jury va délivrer différents prix et ce sera surtout l’occasion de présenter de nombreux films qui se sont portés candidats. 

DCH : Le cinéma sera-t-il aussi présent dans certains spectacles ?

Didier Deschamps : Des créations, y compris dans l’espace public, je pense, par exemple, à la Cie Lézards bleus, dirigée par Antoine Le Ménestrel, cet inclassable dont on se rappelle son ascension du Palais des Papes lors de L’Enfer mis en scène par Romeo Castellucci. Il est venu me proposer cette création à l’occasion du centenaire du film Safety to last d’Harold Lloyd que nous allons diffuser intégralement pour l’occasion. Il a invité beaucoup d’artistes de la région autour de ce projet, et lui-même va réaliser l’ascension et la descension de la façade du Cineum, qui est la maison du cinéma à Cannes. Donc c’est un événement qui fait écho à Mov’In Cannes qui se déroulera simultanément. Le cinéma sera très présent aussi pendant tout le festival car de nombreux chorégraphes réalisent des films et présentent le fruit de leur travail en parallèle aux spectacles programmés. À Grasse, les spectateurs pourront découvrir un spectacle de danse-cinéma absolument fascinant de Michèle Noiret sur la disparition des insectes. Elle est une magicienne de l’image, et, au bout d’un moment il est impossible de distinguer les danseurs des insectes, c’est vraiment très beau.

Le reste est dans la continuité avec les éditions précédentes.

DCH : Justement, quelles sont les créations que vous avez sélectionnées pour cette édition ?

Didier Deschamps : Amala Dianor, qui bénéficie d’une résidence sur la scène du théâtre Debussy, s’est inspiré des lieux underground partout sur la planète qui sont la pépinière des créations de demain. C’est donc une nouvelle pièce très ancrée sur la dimension corporelle musicale et chorégraphique. Il a réuni des artistes de tous les continents. Mais il y a aussi des Premières françaises, je pense en particulier à Kor’sia qui viennent de créer il y a quelques jours à Madrid une pièce absolument formidable. Ces jeunes artistes ont incroyablement progressé, et ce spectacle s’intitule Mont Ventoux, en référence à L’Ascension du Mont Ventoux de Pétrarque, donc une vision très humaniste du monde et du besoin que nous avons de repenser les liens entre les peuples, comme la question de l’écologie. La chorégraphie est très dansée, la musique est superbe, et l’ensemble formidable.

J’ai également programmé du flamenco. Mon attachement à cette forme d’art que j’estime riche et forte, est connu. David Coria présente Los Bailes robados sa dernière pièce de 2023, et Paula Comitre nous offre sa Première mondiale qui aura lieu non pas à Cannes, mais à Fréjus, puisque je poursuis l’initiative remarquable mise en place par Brigitte Lefèvre, qui permet d’associer sept villes de la Côte d’Azur à ce festival. 

Autres créations attendues, celle de Noé Soulier pour la compagnie de Trisha Brown, à Antibes, ainsi que celle de Thierry Malandain sur Les saisons de Vivaldi et de Guido, qui va être un très beau moment. 

DCH : Vous donnez comme thème à votre premier festival « Danses sans frontières ! » qui comprend 27 spectacles différents dont la moitié viennent de l’étranger. En quoi est-ce important pour vous ?

Didier Deschamps : C’est extrêmement important pour moi, et surtout au vu de l’état du monde actuel de s’ouvrir sur les autres, d’inviter les cultures différentes, de fréquenter l’ailleurs. C’est pourquoi j’ai sollicité la venue de la Compagnie nationale de danse contemporaine Carte Blanche de Bergen en Norvège, avec un spectacle qui ressemble peut-être davantage à une installation dansée qu’à de la danse au sens traditionnel, et pose un regard très fort d’une chorégraphe sami qui parle de la réalité de ces populations autochtones très malmenées. 

Nous présentons aussi Into the Hairy de Sharon Eyal qui n’est jamais venue à Cannes, la compagnie hongroise Recirquel qui vient de Budapest, dont le chorégraphe fait travailler des circassiens, notamment des voltigeurs, et arrive à créer une écriture de toute beauté, qui nous fait rêver, et je suis heureux de montrer cet aspect de la création chorégraphique. Cirque aussi avec la compagnie Alexander Vantournhout avec deux danseurs l’un très grand, l’autre tout petit qui essaient de s’emboîter et créent des situations désopilantes qui nous embarquent dans un onirisme très joli.
 Enfin, j’ai choisi deux compagnies Taiwanaises : B.Dance avec Alice (lire notre critique),  présentée à Draguignan, qui a la maestria du hip-hop asiatique et propose un spectacle réjouissant avec des costumes hallucinants, comme pour un vrai défilé de mode. Et puis l’immense compagnie Cloud Gate, avecThirteen Tongues une pièce magnifique de Cheng Tsung-lung, que je considère comme l’un des maîtres de la danse asiatique. Hasard du calendrier, la compagnie fêtera son 50anniversaire et la 100représentation de cette pièce à Cannes. Je trouve ça très joli que, dans un festival de créations, on puisse montrer des pages de répertoire quand elles sont vraiment importantes. 

DCH : Quels sont vos choix, disons plus hexagonaux ou francophones ?

Didier Deschamps : Je suis très heureux d’inviter Michel Kelemenis qui réalise un travail formidable au service de la danse à Marseille et finit par faire oublier qu’il est lui-même un chorégraphe et un créateur d’envergure, et c’est une belle occasion de le rappeler avec ce Magnifiques, une éphémère éternité, un fabuleux hommage à la danse, qui viendra tout juste d’être créée à KLAP. Thomas Lebrun Sous les fleurs (lire notre critique)une pièce qui nous fait entrer dans l’univers des Muxes ces derniers garçons élevés comme des filles pour s’occuper des parents vieillissants, et qui est pour lui l’occasion de parler du genre, de la féminité et de l’assignation également. 

Sinon des choses plus délicates avec Lara Barsacq qui présente le solo qu’elle a fait autour d’Ida Rubinstein, une vraie page d’histoire, mais avec tout son humour et sa délicatesse et Philippe Saire que j’aime beaucoup et a imaginé récemment Salle des fêtes (lire notre critique),  un spectacle profondément joyeux qui s’adresse aux enfants comme au tout public et que l’on présente à la Scène 55 à Mougins. Mouvimento compagnie régionale tout à fait intéressante de Wendy Cornu invite à une expérience avec Volutes. Et c’est un plaisir d’accueillir le Ballet du Grand Théâtre de Genève avec une création très réussie de Fouad Boussouf, Vïa et SKID de Damien Jalet, pièce subjuguante avec sa pente à 34° que je suis ravi d’offrir au public cannois.

DCH : Vous avez également prévu des spectacles gratuits dans l’espace public…

Didier Deschamps : Dans l’espace public Jann Gallois présente son spectacle dans un marché et dans les halls des théâtres. Et j’ai demandé à Itay Axelroad, chorégraphe très singulier d’origine roumaine mais de nationalité israélienne, qui a été danseur à la Batsheva Dance Company et chez Sharon Eyal, de modifier son solo de 60 minutes pour en faire un feuilleton dont il présente chaque séquence de 5 à 7 minutes tous les soirs, afin d’inviter les gens à porter un autre regard sur la danse en demandant au public de le suivre de lieu en lieu et de soirée en soirée, c’est de la danse très fine, extrêmement ciselée, pas spectaculaire mais au contraire demande du public un vrai attention, une vraie concentration. Et je suis sûr qu’il va relever le défi avec brio.

DCH : Le festival propose toujours beaucoup d’actions autour du festival. Est-ce encore le cas cette année ?

Didier Deschamps : Oui, il y a beaucoup de propositions, parce qu’un festival pour moi, c’est aussi l’occasion de partager des réflexions, des interrogations, de faire le point sur un certain nombre de sujets. Ce territoire est riche d’universités de grandes écoles qui ont noué de nombreux liens avec le festival de danse, et le Palais des festivals qui les accueille. Il y a donc un séminaire autour de la transmission d’un processus de création chorégraphique, et un Atelier de la danse qui se penche sur « Rencontrer une œuvre de danse » avec beaucoup de spécialistes mais qui s’adresse aussi au grand public, et aborde la question de qu’est-ce qu’être un spectateur de danse ? Quels sont les enjeux ? Doit-on être formé ou regarder un spectacle en toute innocence ? Il y a aussi des master class, et une gaga class menée par Itay Axelroad, et bien entendu tous les films qui seront suivi d’un débat. Je vais continuer dans la grande tradition de Brigitte Lefèvre les bords de plateau avec le public à l’issue de toutes les représentations.

DCH : C’est un très large panorama…

Didier Deschamps :C’est un grand foisonnement et je suis extrêmement chanceux de travailler avec les équipes du Palais des festivals et notamment ceux qui se consacrent au festival de danse et qui sont formidables, de compétence et de disponibilité.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Festival de Danse de Cannes – Côte d’Azur France du 24 novembre au 10 décembre 2023.

 

 

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