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« Dance Reflections » de Van Cleef & Arpels

Il nous a été donné d’assister à Londres à la première édition du festival Dance Reflections fondé par Van Cleef & Arpels, présenté au Sadler’s Wells, à la Royal Opera House et à la Tate Modern.

Dans l’esprit de Nicolas Bos, le président de VCA, il ne s’agit pas d’un festival de plus mais d’une initiative visant à répondre « aux valeurs de création, de transmission et d’éducation chères à la Maison ».  L’entreprise de haute joaillerie a, en effet, depuis toujours ou presque, tissé des liens avec l’art de Terpsichore, ce que prouve le ballet Joyaux de George Balanchine ou, plus récemment, son soutien au L.A. Dance Project de Benjamin Millepied ainsi qu’au spectacle de Bob Wilson, bach 6 Solo, qui a marqué le dernier festival d’Automne. 

La richesse du programme proposé par Serge Laurent était d’exception, qui allait de Lucinda Childs (Dance) à Anne Teresa De Keersmaeker (Fase), en passant par Brigel Gjoka & Rauf Yasit (Neighbours), Ola Maciejewska (Bombyx Mori), Katerina Andreou (BSTRD), Christian Rizzo (Une maison), Ruth Childs (Calico Mingling, Rondo, Katema, Reclining Rondo, Particular Reel), Boris Charmatz (SomnoleInfini), Gisèle Vienne (This is how yo will disappear), Alessandro Sciarroni (The Collection, Save the last dance for me), Serafine1369 (When we speak I feel myself, Opening) et la Candoco Dance Conpany (Set and Reset/Reset).

Pédagogie

La pièce d’Ola Maciejewska Bombyx Mori donnée dans le magnifique théâtre Linbury de Covent Garden – précédée de la touchante diffusion de l’hymne ukrainien –, se réfère à la danse serpentine, une stylisation de la skirt dancepopularisée par la danseuse Loïe Fuller en 1892 aux Folies Bergère. Fuller, comme on sait, innova en matière d’éclairage, recourant à la lumière électrique, mêlant effets colorés et mouvements purs, décoratifs, abstraits. Le parti pris de Maciejewska semble être le contraire. Ainsi, l’identité visuelle de la manifestation Dance Reflections, un calice doré flouté par le bougé de l’interprète en baskets est bien plus radieux que la tonalité générale de l’opus, pas vraiment porté à la rigolade. Comme s’il fallait, pour être moderne, faire sérieux. La danse de Maciejewska, on ne sait trop pourquoi, est de fait dé-théâtralisée, déjouée, changée en « installation » arty.

Après un assez long préambule détournant la serpentine de son sens initial dont les splendides affiches de Chéret, Pal, Meunier, Feure, Tournon et les films colorés au pochoir d’Edison, Lumière, Nadar, Segundo de Chomon, avec leur kyrielle d’imitatrices (Crissie Sheridan, Ameta, Annabelle, etc.) gardent traces, Ola Maciejewska déconstruit, met à plat, littéralement, la défroque endeuillée de la pionnière américaine, à savoir le voile en tissu léger mais noir comme les tenues de pénitents de semaine sainte, qui donne le titre de la pièce, Bombyx Mori (le lépidoptère du mûrier) étant la base de la culture de la soie. Heureusement, le finale, avec trois danseurs (Amaranta Velarde Gonzalez, Maciej Sado et Ola Maciejewska) ne regardant pas à la dépense énergétique et s’en donnant à cœur joie, restitue fidèlement les danses florales fullériennes, emportent par là-même l’adhésion du public.

Créativité

Au lieu d’un trio, un duo. Celui, en l’occurrence, formé par Brigel Gjoka et Rauf « Rubberlegz » Yasit, deux ex-danseurs de William Forsythe venus, le premier, du classique, le deuxième, de la breakdance. Osant l’improvisation et, du coup, produisant une œuvre en constant progrès, d’après le témoignage d’une spectatrice digne de foi ayant assisté aux deux représentations, au studio Lilian Baylis de Sadler’s Wells. Si la structure manque encore un peu de surprises, de péripéties ou d’approfondissement, les deux styles se complètent parfaitement, Rauf obtenant des positions impensables, inédites et quasiment intenables, à la limite du démembrement des parties de son corps de malabar non ramenard, Brigel tournant sans cesse autour du pot.

L’un conçoit et s’impose des figures acrobatiques périlleuses, difficultueuses mais, curieusement, jamais malaisées. L’autre joue le lutin, le Scapin, le feu follet, la flammerole. La tension chez Rauf ; le relâchement chez Brigel. La désarticulation de la danse debout du hip-hop rejoint la décomposition du geste de Forsythe. La fluidité absolue de la pantomime est aussi celle de la commedia dell’arte, avec son ornement, son anecdote, sa vivacité. En deuxième partie de soirée, après une belle séquence silencieuse, la musique vivante du talentueux joueur de saz (luth à manche long) Rusan Filiztek vient indiquer, si besoin était, le sens général du projet. Il va sans dire que la danse prend alors la direction de l’orient.   

Répertoire

La transmission semblait impossible. Lucinda Childs l’a imaginée. Et l’a faite. Volontiers. De son vivant. On veut parler de son chef d’œuvre, Dance (1979), sur une composition inoubliable de Philip Glass rappelant par moments la B.O. du film Vertigo. Le ballet fut mis à jour une première fois en 2010, grâce au Ballet du Rhin dirigé alors par le regretté Bertrand d’At, et une deuxième, en 2016, par le Ballet de l’Opéra national de Lyon, où la chorégraphe a décidé de s’effacer de l’image du film 35 mm de Sol Lewitt reflétant le ballet, en synchronie avec la danse et la musique, faisant par ailleurs office scénographique. Il faut dire que le remake du film, signé de Marie-Hélène Rebois, est une réussite. 

Le numérique et les conditions techniques du théâtre ont permis une diffusion idéale aussi bien de l’image que du son, une qualité technique de haute définition, et de réelle ampleur. Le Ballet lyonnais était représenté à Londres par sa nouvelle directrice, Julie Guibert, laquelle avait été d’ailleurs programmée par Serge Laurent au Centre Pompidou en 2016 dans la pièce de Christian Rizzo, Ad noctum, aux côtés de Kerem Gelbek, nous épatant comme danseuse. Il faut reconnaître que les dix-sept membres de la troupe ont été magnifiques, d’un bout à l’autre, une heure durant. Et le solo central de la pièce a été royalement interprété par Noëllie Conjeaud. Le public du théâtre Sadler’s Wells a montré son enthousiasme à la compagnie. L’intensité, le nombre et la durée des rappels méritent d’être soulignés.

Nicolas Villodre

Vu du 9 au 11 mars 2022, à Londres.

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