Etrange Cargo : Raimund Hoghe, homme révolté
Face au drame des migrants, Raimund Hoghe crée un nouveau solo, à partir de Lettere amorose, l’un de ses premiers succès en France.
Depuis qu’on le connaît comme interprète de ses propres pièces, Raimund Hoghe, ancien Dramaturg de Pina Bausch, oppose sa douceur aux brutalités du monde. Il va de soi qu’en ce moment, le sort de ceux qui fuient les bombardements en Syrie le préoccupe profondément. Les émotions éprouvés ont sauté aux yeux de son public quand Hoghe a ouvert sa création précédente, La Valse (lire notre critique), en restant longtemps couché au sol, au fond du plateau, à droite, dans la position du petit Eylan, garçon syrien noyé pendant la traversée et trouvé mort sur une plage de l’Europe tant désirée. .
C’est dans une position similaire qu’on le découvre au début de Lettere amorose, 1999-2017, enroulé dans une couverture grise. Hoghe rebondit sur sa création de 1999, dans laquelle il lisait des lettres d’amour et de souffrance, comme celle des deux adolescents africains, trouvés morts dans le train d’atterrissage d’un avion à son arrivée à Bruxelles. A l’époque, leur lettre adressée à l’Europe avait ému autant qu’en 2016 la photo d’Eylan. Mais leur sort, tristement célèbre, n’a pas plus changé le cours du monde que Lettere amorose.
En dix-huit ans...
Et aujourd’hui donc une nouvelle création, Lettere amorose, 1999-2017. Hoghe sait bien qu’elle n’impressionnera pas plus les responsables politiques. Mais il tient à exprimer sa révolte face au constat qu’en presque vingt ans, l’Europe n’a pas pris d’engagement pour que des humains ne soient plus obligés de risquer la mort pour pouvoir vivre. Pour le souligner, il lit de nouveau la lettre de 1999 et certaines autres, comme celle de la poétesse juive-allemande Else Lasker-Schüler (1869-1945) qui rêve, en 1919 déjà, d’un visa pour la Suisse: « Si seulement j’étais une mouette… ».
Pourquoi redire les choses ? Par exemple parce que ceux qui sont nés au moment de la création de Lettere amorose ont aujourd’hui le droit de voter, pour la première fois. Pour eux aussi, Hoghe ressent la nécessité de (re)dire les choses. A sa tendresse naturelle se joint ici un sentiment plus agité, selon l’injonction de Stéphane Hessel. Hoghe s’indigne et intègre Le déserteur de Boris Vian, dans sa version virulente (« prévenez vos gendarmes que j’aurai une arme et que je sais tirer »). Une lettre moins amoureuse mais plus combattive.
De 1999 à 2017, ce qui reste et ce qui change
Certaines des actions chorégraphiques, mais ni Mozart ni Monteverdi ni les cinq hommes qui étaient présents au début et à la fin. Une heure, au lieu de deux heures et quart. Beaucoup de motifs chorégraphiques et d’accessoires de la version originelle. Et d’autres, vus dans telle ou telle pièce de Hoghe. Les sandales japonaises de Pas de deux, son duo avec Takashi Ueno. La couverture du début et de la fin, comme dans 36, avenue Georges Mandel. Certaines choses ne font plus partie de l’écriture amoureuse de cette pièce, comme le dos dénudé et marqué d’un trait rouge. Le nouveau solo tisse des liens à travers dix-huit ans de créations de Hoghe.
On retrouve de Lettere amorose les chansons de Jacques Brel et tant d’autres, les pas de sirtaki très mesurés, les fleurs blanches qui rappellent la fragilité de la vie, et surtout le drap doré étalé tel un tapis rouge, mais dans la couleur d’une couverture de survie. Histoire de rappeler que ce qui devrait être se heurte à une réalité.
Retour aux débuts
Les cinq auteurs ou migrants ne sont plus personnifiés. Hoghe les incarne tous et porte seul leur croix. La charge est pesante, et cette pièce l’est aussi, bien plus que ses créations récentes, souvent emplies d’humour et de légèreté. Sur le fond, ce solo vise juste, d’autant plus qu’il fut créé au lendemain des attaques au gaz à Alep le jour des frappes militaires de Trump contre Assad, avec toutes les incertitudes quant à leurs conséquences sur la paix mondiale.
Lettere amorose 1999-2017 se lit telle une prière pour la paix et les victimes de la guerre, performée par le pasteur Hoghe, dans une veste noire aussi rigide que son geste. Mais sur la forme, ce retour aux débuts enferme cette danse d’auteur dans un discours trop prévisible et schématique, d’autant plus qu’il lui sera difficile de prêcher ailleurs que devant son public déjà acquis.
Thomas Hahn
Festival Etrange Cargo, Paris, Ménagerie de Verre, du 7 au 9 avril 2017
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