Error message

The file could not be created.

« À propos de Neighbours » entretien avec Brigel Gjoka et Rauf Yasit

Sous les auspices de William Forsythe, ses ex-danseurs Brigel Gjoka et Rauf Yasit ont chorégraphié un duo étonnant, Neighbours (lire notre critique), d’abord en silence puis soutenus par le chanteur et joueur de saz Rusan Filiztek. Ils nous ont accordé un entretien à l’occasion de leur participation au festival Dance Reflections. 

DCH : Avez-vous pratiqué la breakdance à vos débuts ?

Rauf « Rubberlegz »Yasit Oui. J’ai commencé en 1998. J’ai développé mes propres mouvements sous forme abstraite, expérimentale, avant de faire connaissance avec la danse contemporaine. En 2005, ma rencontre avec Malou [Airaudo], danseuse emblématique de la compagnie Pina Bausch, a été déterminante. En travaillant avec Malou, j’ai exploré d’autres types de danses. Je suis alors passé de la culture du hip-hop au monde du théâtre. J’ai continué à approfondir mes solos de style abstrait jusqu’à l’âge de trente ans. Je suis revenu au hip-hop par la suite.

DCH : Étiez-vous déjà soliste ou faisiez-vous partie d’un groupe ?

Rauf « Rubberlegz »Yasit Je travaillais dans un crewde douze danseurs. Des danseurs incroyables dont deux seulement ont poursuivi leur activité. 

DCH : Votre façon de danser a-telle changé sous l’influence Pina Bausch ?

Rauf « Rubberlegz »Yasit Ma danse reste la même bien que les pas soient différents. 

DCH : Il faut convenir que vous êtes unique !

Rauf « Rubberlegz »Yasit :On apprend naturellement de petites choses qui infléchissent le style. Et qui apportent de nouvelles couleurs au mouvement.

DCH : Brigel Gjoka vous avez rencontré Rauf chez Forsythe. Comment avez-vous négocié le passage du ballet au contemporain ?

Brigel Gjoka :J’ai effectivement commencé ma carrière dans le classique, en France, en Allemagne et en Hollande, avant de travailler pendant onze ans chez William Forsythe. C’est là que nous nous sommes rencontrés lors de la création de A Quiet Evening of Dance (2019). Jeune danseur, je faisais partie du Ballet national du Rhin. Comme nous avions eu une pièce de Forsythe au répertoire, une de ses assistantes était venue la monter en France. Je suis alors complètement tombé amoureux du style et de la manière dont le corps était maîtrisé. De la façon qu’avait Forsythe de décortiquer le corps. Je me suis dit : ça, c’est ma voie ! Durant des années, j’avais interprété des pièces avec différents chorégraphes avant d’en arriver là.

DCH : Le surnom de « Rubberlegs » pourrait aussi s’appliquer à vous. Vous êtes d’une souplesse remarquable. Loin du break, dans la fluidité constante…

Brigel Gjoka : J’ai toujours été inspiré par divers genres de danse. L’aboutissement, les recherches au cours des ans, la liberté que nous avons obtenue de Bill (Forsythe ndlr) nous ont ouvert l’esprit sur différentes discipines, que ce soit le hip-hop, le ballet, la danse folklorique ou la danse traditionnelle. Ces fondations se sont ancrées en nous avec le temps.

DCH : Chez vous, il n’y a pas que la danse. Il y a également la pantomime. Et la commedia dell’arte. La manière de Rauf et la vôtre paraissent d’ailleurs complètement différentes. Comment caractériseriez-vous celle de votre collègue ?

Brigel Gjoka : Je suis danseur et, en général, je ne catégorise pas !

Rauf « Rubberlegz »YasitNous ne catégorisons pas ! Nous essayons de décrire le mouvement à travers des dessins et des sentiments. Nous ne dirons rien l’un sur l’autre.

Brigel Gjoka : Chacun a son histoire. Et celle-ci évolue en permanence.

DCH : Parlons un peu des techniques utilisées dans votre duo.

Brigel Gjoka : Rauf, qui vient du break, est habituellement au sol. Là, dans cette expérience partagée, il se retrouve debout.

DCH : Lequel fait les choses les plus dangereuses ? Ce que vous faites, Rauf, semble, par moments vraiment risqué.

Rauf « Rubberlegz »Yasit J’effectuais des mouvements dangereux lorsque j’avais vingt ans. L’esprit m’y pousserait encore mais le corps me dit non. C’est une chose de danser une minute, une autre de tenir une heure durant. Vous devez faire très attention dans ce cas-là.

Brigel Gjoka : Les moments impressionnants n’impliquent pas qu’ils ne durent que quelques secondes. La difficulté est de toucher le spectateur toute une pièce. La qualité et la précision de la danse sont d’ailleurs aussi appréciables que sa dangerosité.

DCH : Vous avez utilisé tout à l’heure l’expression « décortiquer le corps ». Forsythe est proche du hip-hop lorsqu’il désarticule le geste… 

Rauf « Rubberlegz »Yasit : En effet, c’est similaire. Mais il y a aussi la latitude offerte au danseur de dépasser ses limites. Nous avons ces principes en commun. 

DCH : Le chorégraphe est mentionné dans le programme. Quel a été son rôle par rapport à votre pièce ?

Brigel Gjoka : Il l’a initiée. Et il a été curieux de voir comment nous allions la créer. Neighbourstrouve son origine dans un duo que nous avons exécuté dans une de ses dernières pièces.
 

DCH : Vous êtes toujours côte à côte, sans jamais d’affrontement… dans un bon voisinage.

Rauf « Rubberlegz »Yasit Oui. Pour nous, la question est : comment devenir meilleur. Le duo est échange. Nous partageons des choses que nous avons en commun, des choses que nous savons l’un de l’autre. Nous tentons aussi des choses inconnues. Nous incluons quelques solos au cours du spectacle. L’un devient ainsi le spectateur de l’autre.

Propos recueillis par Nicolas Villodre à Londres le 10 mars 2022.

Catégories: 

Add new comment