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(La)Horde de passage à Passy

Le festival Ciné corps, programmé par Virginie Combet pour la première fois à Paris, au cinéma Majestic, s’est conclu sur un hommage au collectif (La)Horde dont on a pu découvrir quatre courts métrages particulièrement étonnants.

La séance a débuté par Novacieries (2015), un opus réalisé à quatre mains par Marine Brutti, Céline Signoret, Arthur Harel et Jonathan Debrouwer, diffusé en 16/9es haute définition, de facture classique, usant du champ-contrechamp et d’effets de suspense, avec une B.O. hardcore saturée de basses et des personnages évoluant en huis clos, encagoulés comme les membres d’un gang préparant un braquage – comme les protagoniste énigmatiques de la scène de dancing de Daïnah la métisse (1932) de Grémillon. On a la nette impression que la production a bénéficié de moyens importants en termes d’éclairage et de prise de vue pelliculaire, de location de matériel, d’équipe technique professionnelle, de temps de tournage et/ou de mise à disposition d’espace – en l’occurrence, dans un site industriel désaffecté de Creusot-Loire, à Saint-Chamond.

La bande a permis de fixer pour la postérité le jumpstyle, une manière chorégraphique relevant du minimalisme gestuel et d’une dépense maximale d’énergie, qui avait fait l’objet du spectacle scénique Avant les gens mouraient, vu à la MPAA de Saint-Germain-des-Prés en 2015. Depuis cette époque, le quatuor est devenu trio, suite au départ de Céline Signoret. Avec deux ans d’avance sur Michael Haneke (cf. Happy End, 2017), (La)Horde met en abyme l’image basse déf, en portrait 9/16es, enregistrée par smartphone et diffusée à l’échelle planétaire sur le web. En outre, le film présente nombre de trouvailles, des costumes seyants et colorés en tissu synthétique designés par Lily Sato rappelant ceux des Teddy Boys anglais, des Sharks et des Jets, des masques en bas nylon percés en leur sommet pour laissant dépasser une coquette crête, un ballet mécanique composé d’un pas de deux de Fenwicks qui peut faire songer à celui de la pelleteuse de Transports exceptionnels (2005) de Dominique Boivin.

Le très bref Cloud Chasers (2016) fait appel à trois membres d’un club de haschichins tchèques, Jakub Moravek, Jakub Sonnek et Michal Zdražil, invités à enfumer leur monde, qui ont élevé la pratique du vapotage au rang des beaux-arts, et qui ont été filmés dans le chantier en cours de la fondation des Galeries Lafayette. Ces sculpteurs d’éphémère, chorégraphes abstraits, artistes cabaretiers ou forains proches de ceux qui maîtrisent les bulles de savon, le gonflage et l’assemblage de baudruches, se mêlent aux peintres de bâtiment et font une démo spectaculaire ne laissant de trace que sur le support filmique ou bien sur les cellules de leurs poumons – la polémique sur la nocivité de la cigarette électronique ayant récemment rebondi.

Le trio de cigarettiers s’inscrit dans ce qui est  une certaine tradition de l’art moderne, entre l’analyse des mouvements de l’air par Etienne-Jules Marey au moyen de machines à fumée équipées de dizaines canaux produisant des abstractions destinées à être fixées par la chronophotographie, les mouvements aléatoires des mobiles et les vaguelettes de la fontaine de mercure d’un Calder ou, plus près de nous, les sculptures de brume de Fujiko Nakaya (cf. This is how you will disappear, 2011, de Gisèle Vienne). Nos jeunes addicts à l’herbe à Nicot sont équipés des derniers modèles de vapoteuses chinoises, toutes d’impressionnant calibre, plus proches des cigares électroniques que des e-cigarettes, qui leur permettraient, le cas échéant, de communiquer à distance par signaux de fumée façon Amérindiens ou de vivre leur vie dans d’artificiels paradis.

Larger Than Life (2016) est le film le plus expérimental de la série, œuvre d’art plastique en même temps que de danse pure, sans la béquille obligée de la captation, réflexe pavlovien à tout travail de commande – puisque, effectivement, dans le cas qui nous occupe, commande il y a eu, de la part de la maison de haute couture Julian Zigerli –, sans le pipeau de la fiction. Avec un effet énervant au début, pas plus plaisant que ça à contempler, qui consiste à sucrer quantité d’images intermédiaires d’un plan pour en briser la fluidité et fondre des blocs de pixels discontinus, une forte présence corporelle grâce à l’usage systématique du plan rapproché, le tout pris en panoramique latéral, de droite à gauche, mimant le défilé de mode, le ciné-corps étant dématérialisé par un trucage visuel tout simple d’apparence.

Le spectateur de cinéma prend la place du prince, celle du front row, et se pique au jeu et aux éclats de formes et de couleur rythmés par une B.O. d’essence techno. Si les mannequins, figurants ou danseurs n’ont nul besoin de s’agiter sur la catwalk et d’obéir à un(e) chorégraphe, ils font plaisir à voir, dans leurs mouvements alanguis, changés en signes, émiettés par l’effet, pulvérisés par l’électronique. Qu’ils s’approchent de l’objectif, comme des extras zombiesques, et ils finissent par dégouliner en 2D comme des taches d’encre colorées. On a la sensation de voir s’animer les chimigrammes d’un Pierre Cordier. On perçoit à peine les raccords ou coutures ou boutures du montage.

Bondy (2017) alterne des prises de vue effectuées par les membres d’associations d’habitants de tous âges de la cité du neuf-trois et des raccords en HD tournés par les trentenaires de (La)Horde en résidence artistique dans le département. Rien de démagogique dans la démarche, comme cela s’est vu, il n’y a guère, avec un fameux photographe tendant aux locaux un miroir aux alouettes les grossissant, en noir et blanc, le temps d’un quart d’heure de gloriole. Si la photo de groupe n’a pu se faire pour des questions de planning, au grand regret du collectif, les portraits individuels, juxtaposés en finesse, finissent par produire le portrait de la population, ici synonyme de peuple.

Sans commentaire aucun, le film a déjà valeur de documentaire. C’est aussi un film de danse ou en tout cas sur le mouvement, dans la mesure où chaque groupe s’y adonne sous une forme ou sous une autre – sportive, para-sportive ou, tout simplement, festive. Les générations cohabitent sans façon ni problème. Rien de spectaculaire, ici : le quotidien et ses moments de joie partagée. Le puzzle d’une ville de banlieue reconstitué à la bonne distance et à un moment donné.

Nicolas Villodre

4 février 2018

 

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