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Noëlla Pontois, trois générations de danse à l’Opéra de Paris

De plus en plus de danseurs de l’Opéra de Paris envoient leurs enfants à l’Ècole de danse de la vénérable institution, celle-là même qui les a forgés. La première était Noëlla Pantois, promue danseuse étoile en 1968. Elle est la maman de Miteki Kudo, devenue elle-même une interprète hors pair, qui voit aujourd’hui sa propre fille prendre le même chemin. Faut-il croire au hasard ? Si Noëlla Pontois se défend de toute intention en ce sens, elle ne renie pas son bonheur de voir sa petite fille lui emboiter le pas. Et nous allons ici découvrir à quel point cette voie de transmission familiale, initiée par Noëlla Pontois, a le vent en poupe au cœur de Paris, alors qu’elle renvoie en même temps à une tradition familiale qui garde son importance en Asie, en particulier dans les arts. Et il se trouve que l’Asie a joué un rôle tout à fait déterminant dans la vie de Noëlla Pontois, qui n’a pas épousé un Japonais par hasard. Encore merci à elle pour son accueil chaleureux ! 

Noëlla Pontois, parlez-nous de votre rapport au Japon !
J’ai découvert le pays avec la première grande tournée du Ballet de l’Opéra, quand j’étais quadrille. C’était l’ancien Japon, et j’ai eu un coup de cœur pour cette culture et la délicatesse des gens. Avec peu d’argent nous arrivions à nous offrir des choses qu’on n’imaginerait plus aujourd’hui. Et la nourriture n’avait rien à voir avec celle qu’on y trouve maintenant. Par ailleurs, j’ai toujours été attirée par l’Asie, depuis toute petite. Et les Japonais m’ont facilement adoptée à leur tour. Mais la dernière fois que j’y suis allée, c’était en 1993, quand j’avais achevé ma carrière.

Vous vous êtes mariée avec Daïni Kudo, danseur et Japonais. L’avez-vous rencontré au Japon?
Non, c’était à Paris ! Il m’avait vue danser à l’Opéra et m’a demandé si je voulais participer à un spectacle, une création pour un gala. Il avait quitté le Japon pour devenir danseur en Europe car il n'existait que de très rares possibilités au Japon. Il a donc quitté sa famille à l’âge de dix-sept ans et est venu tout seul en France.

Parlez-vous le japonais?
Je l’ai un peu appris sur place, plus que de mon mari qui n’était pas trop pédagogue dans ce domaine.

Auriez-vous pu imaginer de vivre avec quelqu’un qui n’est pas danseur?
Ce sont les hasards de la vie. Mais d’autre part, on passe tellement d’heures dans les studios de danse… même si Daïni n’était pas de l’Opéra mais travaillait dans d’autres circuits, avec Roland Petit et Béjart.

Aujourd’hui, votre petite fille est à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, après que votre fille, Miteki Kudo a également fait une grande carrière dans la compagnie. Elle a, comme vous, épousé un danseur, Gil Isoart. Cette transmission du virus de la danse rappelle les traditions familiales, également très présentes en Asie où elles ont perduré plus longtemps qu’en Europe.
Ces choses sont totalement imprévisibles. J’ai commencé sans qu’il y ait eu un rapport à la danse dans ma famille. Ensuite, ma fille a commencé la danse parce que mon mari avait créé une petite école de danse, à Louveciennes, à l’ouest de Paris. Nous avons agrandi la maison et construit un studio, parce que mon mari n’avait pas toujours du travail comme danseur, ou bien il aurait dû trop voyager. Notre fille voyait donc les autres enfants arriver et nous ne pouvions pas lui dire, non ce n’est pas pour toi ! C’est comme ça qu’elle a commencé. Après, elle a voulu devenir danseuse pour de vrai. Ça nous est un peu tombé sur la tête ! Vraiment, ce n’est pas ce que nous aurions choisi pour elle au départ. Plus tard, je me suis séparée d’avec mon mari. Quant à ma petite fille, nous lui avons toujours dit que surtout, elle n’était pas obligée de suivre notre exemple, qu’il n’y avait pas de demande de notre part. Mais elle a décidé qu’elle voulait essayer, l’année même où Miteki a fait  ses adieux à l’Opéra.  Aujourd’hui nous la voyons année après année, en tremblant un peu, continuer. Si c’est son destin, il faut qu’elle aille au bout. Je crois au destin.

Dans une famille où tout le monde pratique la danse, celle-ci est sans doute au centre de toutes les conversations pendant les repas?
Au contraire, nous ne parlions presque jamais de danse! Mon mari faisait un blocage par rapport à l’Opéra de Paris, et il était donc presque tabou de parler de danse à la maison.

Quel rôle a pu jouer la rivalité entre l’étoile que vous étiez et votre fille?
Il n’y en avait pas ! Nous n’avons jamais essayé de nous tuer l’une l’autre. Au contraire, s’il n’y a pas eu de conflit de générations entre nous, c’est peut-être grâce à la danse. Je me faisais la plus discrète possible, ce qui correspond à ma nature au départ. Mais surtout, je voulais éviter de devenir encombrante pour elle malgré moi. Avec un an d’écart, ma fin de carrière a suivi l’arrivée de Miteki au statut de sujet. En quelque sorte, j’étais contente de lui laisser la place. Elle a fait une carrière magnifique et s’est pleinement épanouie, sans devenir étoile. Elle avait un besoin artistique, plus que de carrière. En plus, il n’y a aucun sens à vouloir faire des comparaisons. Ni entre quelqu’un de plus accompli et quelqu’un qui commence, ni entre les modes d’expression de deux personnes aux morphologies très différentes.

Le parcours de Miteki s’est donc déroulé sans encombre?
Pour elle, le problème se situait ailleurs. C’était la première fois qu’une danseuse étoile envoyait sa fille à l’École de danse de l’Opéra ! Aujourd’hui c’est courant, surtout pour les filles.
En effet, Mathieu Ganio est le fils de deux grands danseurs, Dominique Khalfouni et Denys Ganio.
Une des filles de Laurent Hilaire est coryphée alors que l’autre a fait l’école, mais n’a pas été admise dans le corps de ballet. La fille d’Elisabeth Maurin est à l’École de danse, tout comme la fille de Carole Arbo qui pourrait bientôt être engagée dans la compagnie. Et il y en a bien d’autres…
Miteki Kudo et Eric Vu An

Cette manière de perpétuer la danse au sein d’une famille est aussi l’expression d’une meilleure reconnaissance du métier.
Heureusement ! Mon père a commencé à accepter que sa fille soit danseuse seulement à partir de ma nomination comme étoile. Être danseuse était encore mal vu à l’époque et si je n’avais pas été envoyée en cours de danse par un médecin, mon père n’aurait jamais accepté. Nous étions une famille modeste et l’Opéra, le seul  endroit où les cours étaient gratuits. Le reste, c’est le destin !

Et si on a quelqu’un dans la famille qui montre le chemin, l’accès est facilité. Sans parler de la transmission génétique de l’aptitude.
En effet. J’ai  également un neveu, danseur et époux d’une danseuse. Il a commencé tard, à quinze ans et a également bien réussi. Il a même été le partenaire de Carla Fracci. Involontairement, discrètement, la danse a fait son chemin dans la famille.

Il y a aussi le cas contraire, où les enfants refusent de faire la même chose que leurs parents.
Nous avons cela aussi dans la famille. Mon petit fils ne montre aucune attirance pour la danse, alors qu’instinctivement, naturellement, il sait parfaitement imiter tous les mouvements qu’il découvre. En même temps il serait peut-être un peu petit de taille pour le ballet. Mais au départ, nous ne pensions pas non plus que sa sœur allait se découvrir une passion.

Tout de même, ne faut-il pas voir dans cette transmission sur trois générations, une influence asiatique?
Non, il n’y avait aucune intention en ce sens. Les ambitions des parents font souvent du mal. Pour un enfant qui réussit, combien de psychismes perturbés ! Les enfants qui pratiquent une discipline artistique ou sportive doivent le faire à partir d’un choix délibéré. La danse est un mode d’expression personnelle. Chacun y déploie ce qu’il a à dire, ce qu’il ressent, mais on garde aussi des choses pour soi. Quant au Japon, Miteki s’y rendait régulièrement pendant son enfance. Elle a appris à parler un peu de japonais et elle reste très attachée à la branche paternelle de sa famille au Japon.

Vous avez officiellement quitté le Ballet de l’Opéra en 1983, après quoi vous avez mené une carrière de danseuse invitée jusqu’en 1993, parfois à l’Opéra de Paris, mais surtout ailleurs. Êtes-vous toujours en contact avec le milieu de l’Opéra ?
Oui, un peu. Mes adieux étaient progressifs. J’ai arrêté de donner mes cours en 2007. Aujourd’hui je ne m’y rends plus régulièrement, mais je continue de voir certaines personnes. Je me suis éloignée de la danse. Il y a tout de même autre chose dans la vie, et ça fait du bien de prendre de la distance ! Mais aujourd’hui, je renoue un peu, puisque ma petite fille qui a douze ans s’y met, alors que Miteki, après avoir pris une année pour se former en pédagogie Montessori, travaille aujourd’hui comme éducatrice pour enfants entre trois et six ans dans une école dédiée à cette voie.

Propos recueillis par Thomas Hahn

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