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Compagnie Grenade/Josette Baïz : «Welcome»

Willkommen, ...bienvenue, ...Welcome ! Le nouveau programme de la Compagnie Grenade permet de voir en une soirée des extraits de pièces de Dominique Hervieu, Blanca Li, Germaine Acogny et autres, offrant au passage un aperçu de l’évolution de la danse contemporaine au cours de ces dix dernières années.

Plus précisément, Welcome est constitué d’une création et sept extraits, liés par plusieurs solos créés pour l’occasion (interprétation: Axel Loubette). Chorégraphiés par Clint Lutes et la vedette coréenne Eun-Me Ahn, désormais bien connue des Parisiens grâce au festival Paris Quartier d’été, ces intermèdes ajoutent une part de mystère à une soirée portée par une énergie contagieuse. La diversité des univers est un défi joyeusement relevé par cette compagnie dont on sait à quel point elle fait passer le plaisir de danser.

Une approche nouvelle pour la danse contemporaine

Il n’y aurait pas de Welcome si le programme mixte pour les vingt ans de Grenade, n'avait pas rencontré un tel succès auprès du public et des professionnels.
Ce premier programme mixte créé en 2012 était composé d’extraits de Maillot, Kelemenis, Lagraa, Bel et autres, pour aller jusqu’au Théâtre de la Ville et à la Maison de la Danse de Lyon.

Actuellement, un nouveau programme interprété par les jeunes du Groupe Grenade est en préparation pour être créé en novembre, avec des extraits de Dominique Bagouet, Lucinda Childs, Emanuel Gat, Rui Horta, Wayne McGregor et Hofesh Shechter. Il s’appellera Guests, en toute logique, depuis la dernière création de Josette Baïz, Grand Hôtel.

Le programme mixte, une nouvelle ère pour le projet Grenade, une nouvelle identité ? C’est aussi un nouveau concept pour montrer la danse contemporaine à la manière d’un gala, en accord avec une époque qui aime la rapidité, les alternances et un rythme soutenu. Ce qui différencie les programmes de Grenade d’avec un programme mixte de ballet est l’absence d’entractes, remplacés par des brèves chorégraphiques.

Welcome montre à quel point la composition d’une soirée mixte en danse contemporaine peut devenir du grand art. Tout en se concentrant sur des femmes chorégraphes, Welcome permet de suivre l’évolution des esthétiques et des ambiances, du rapport au groupe et à l’espace depuis le début des années 2000. Un régal absolu, une fête de la danse, portée par des interprètes qui traversent les univers en état de grâce.

Narration, humour, conflits

La première au KLAP de Marseille s’est ouverte sur Le Corbeau et le Renard de Dominique Hervieu (2003), un duo espiègle, une déclaration d’amour à la danse et à la vie, logiquement suivie de Pochette surprise de Blanca Li, tableau festif, burlesque et haut en couleurs de son spectacle Alarme (2004). Au son du mirliton, se pavanant tel des oiseaux, hommes et femmes jouent sur leurs sentiments de vanité, d’orgueil, de blessure ou d’envie de séduction.

Mais la fin de la récréation arrive bien vite. Entre la caste du business international, en costumes de ville, attaché-case à la main, pour siffler autrement, interprétant un tableau de Waxtaan de Germaine et Patrick Acogny (2007). Mais les temps changent et la moitié des managers sont ici des femmes, ce qui permet de nouer un lien direct avec des éléments de la dernière création de la compagnie Jant-Bi, Afro-dites, portés par un esprit de rébellion, de fureur.

Mystères, énergies, états de corps

Et puis, changement d’ambiance. Avec Get… Done de Katharina Christl, Welcome bascule. Une corde rouge traverse le plateau tel un symbole de la césure, Lola Cougard et Aurore Indaburu forment un duo aux mouvements de bras mystérieux et tranchants. On les retrouve à la fin de Waves de Sun-A Lee (2010), où Josette Baïz affectionne particulièrement « cette énergie féminine un peu sauvage », et il est vrai que ce solo, ici interprété en crescendo, en révèle une bonne dose. La version Welcome de Waves commence par la saisissante Sinath Ouk, membre de Grenade de la première heure, continue en trio et s’achève en quintet.

La création Plexus 10 de Katharina Christl pour l’ensemble des dix danseurs explore les limites de l’équilibre et de la violence et reflète les doutes et la recherche qui dominent aujourd’hui la création chorégraphique

Il fallait amener le grain de folie d’Eun-Me Ahn pour conclure la soirée dans un esprit de synthèse. Dans l’extrait de Let me change your name (2005), les interprètes arrachent leurs débardeurs aux collègues dans un esprit espiègle. Aussi, Welcome revient aux portées, aux couleurs et à une énergie d’ouverture. La Corée n’a pas suivi la même évolution au même moment que la danse européenne et est aujourd’hui plus libre, plus d’attaque, ce que les deux contributions du pays du matin calme confirment bien.

Perspectives décalées

Que voit-on dans une soirée faite d’extraits transmis par leurs chorégraphes ou leurs interprètes-assistants? Il faut voir les différents tableaux comme des œuvres autonomes, comme des parties d’une pièce nouvelle, comme une mosaïque chorégraphique. Hors contexte, les dix à quinze minutes choisies vont souvent donner lieu à une lecture différente, les éclairages ne peuvent se créer fidèlement, une pièce pour hommes peut être dansée par des femmes ou inversement. Autrement dit, une adaptation peut révéler une œuvre sous un angle nouveau.

Il en va ainsi pour les extraits de Germaine et Patrick Acogny, où l’intrusion des femmes interprétant un extrait de la nouvelle création Afro-dites dans le monde masculin de Waxtaan (sans parler de l’interprétation par des danseurs français de créations pour une compagnie africaine) est parfaitement en accord avec le désir des chorégraphes de créer des pièces à lecture universelle. Dans la version originale d’Afro-dites, les femmes incarnent aussi des hommes et donnent leur vision d’une société dominée par les hommes. Porter ce conflit sur le terrain de Waxtaan est une extension du domaine d’Afro-dites qui re-lie cette pièce créée il y a sept ans à l’actualité brulante de la compagnie Jant-bi.

Variations et déviations

Autre exemple: Waves, qui passe d’un esprit joyeux et centré sur la relation avec la musique dans l’interprétation originale par la chorégraphe, à une dimension supplémentaire, dans le conflit entre synchronie et individualité. Chacune des cinq danseuses s’approprie à sa manière les mouvements dansés en unisson et en révèle des facettes variées. Grâce aux frictions entre ces incarnations déviantes, une énergie sauvage, presque animale envahit le plateau. L’esprit ludique fait place à un déferlement qui suggère un bataillon de guerrières amazones. Transmission et adaptation peuvent donc aussi révéler les dessous de l’œuvre de départ.

Il ne faut donc pas confondre les extraits remontés avec les œuvres originales, mais au contraire leur attribuer un statut propre et autonome, dans le contexte créé par la sélection des extraits et la dramaturgie propre à une soirée comme Welcome. Josette Baïz passe ici de la mosaïque très libre du programme des vingt ans à une dramaturgie précise. Il se peut que la tâche soit plus complexe qu’une création…

Il faut en plus disposer d’un ensemble habitué à souhaiter la bienvenue aux styles les plus diverses, à la manière d’un véritable ballet contemporain. Avec Grenade, Josette Baïz a formé une troupe dans cet esprit-même, ce qui la rend unique dans le paysage français car en ce sens, Grenade est comparable uniquement aux rares compagnies nationales de danse contemporaine, dans certains pays lointains.

Thomas Hahn

« Welcome » : créé le 5 mai 2014 au KLAP, Marseille

Le 27 septembre : Espace de l'Huveaune - La Penne sur Huveaune (13)

Du 2 au 6 juin 2015 : Lyon, Maison de la danse

Première de « Guests » en novembre 2014 au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

www.josette-baiz.com

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