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« Branle », la nouvelle création de Madeleine Fournier

En résidence à l’Atelier de Paris, Madeleine Fournier évoque son approche de la danse traditionnelle. Création les 17 et 18 novembre. 

Danser Canal Historique : Vous êtes actuellement en résidence de création à l’Atelier de Paris pour préparer votre nouvelle création, Branle. Il y est donc question de danse traditionnelle ? 

Madeleine Fournier : La pièce part de la bourrée 2 temps, et donc binaire, du Berry. C’est une danse collective qui se danse de plein de manières différentes. Les premières traces qu’on a du branle datent de la Renaissance. Son nom fait référence au mouvement d’oscillation, d’aller-retour. Mais c’est aussi un terme qui désigne la danse en général. Mais pour moi, le terme évoque aussi un tremblement, un état instable, au bord de la chute. Pour le spectacle j’ai choisi une forme où deux lignes de danseurs se font face. Ces lignes se rapprochent, s’éloignent et se croisent, sans se toucher. Les pas ont l’air assez simples, mais il faut quand même les apprendre ! 

DCH : Etes-vous allée dans les bals pour vous imprégner des musiques et des danses ? 

Madeleine Fournier : Tout à fait, je côtoie la scène des bals folk depuis six ans environ et j’ai créé il y a cinq ans un solo que j’ai appelé Labourer, où j’ai travaillé à partir de la bourrée trois temps. J’ai découvert ce milieu par des amis musiciens, plutôt du côté de l’Auvergne où j’ai participé à des stages et pris beaucoup de cours. 

DCH : Pourquoi cet engouement personnel pour les musiques et danses traditionnelles ? 

Madeleine Fournier : J’aime l’indissociation entre musique et danse. Quand on dit « faire une bourrée », on parle à la fois de la musique et de la danse. J’y retrouve quelque chose de l’origine de mon désir de danse, qui était lié à la musique. Et dans les bals, j’aime la simplicité des pas dans lesquels il y a presque un aspect archétypal de la danse. Mais j’ai aussi pioché dans la danse baroque comme dans la house, et je me suis rendue compte qu’il y a des pas de bourrée dans presque toutes les danses. C’est juste la forme et le rapport à la musique qui change. 

DCH : Il y a bien derrière cette pièce quelques réminiscences du bal, même si on n’est pas dans un bal ? 

Madeleine Fournier : Nos danses viennent des bals, c’est là que je les ai rencontrées. Nous, danseuses  et danseurs contemporains les avons appris auprès de Solange Panis qui travaille dans la transmission des danses traditionnelles. Son père, Pierre Panis, était l’un des premiers collecteurs de chants, musiques et danses traditionnelles, dans les années 1950. Avec Solange nous avons travaillé jusqu’à ce que les danses es’imprègnent en nous et deviennent notre  langage commun et notre base, notre grammaire, pour inventer autre chose à partir de là. 

DCH : Je vous ai en effet vu, en répétitions, dans un ralenti qui semble ouvrir sur un monde intérieur, une respiration, presque une méditation. 

Madeleine Fournier : La pièce a différentes parties, dont une longue bourrée dansée dans un tempo normal, à partir d’un leitmotiv chorégraphique et musical, mais nous pouvons en effet aller dans des choses minimales, amplifiées ou déconstruites. Notre danse et notre musique sont toujours maintenues par ce leitmotiv. Cela nous structure collectivement, et en même temps nous avons, individuellement, la liberté de nous exprimer. Ensemble nous explorons jusqu’où on peut aller, dans le maximalisme comme dans le minimalisme. 

DCH : Contrairement à la vraie situation d’un bal, où on ne danse – a priori – pas pour être vu, il vous faut, dans un spectacle, créer une dramaturgie et un rapport au public. Comment vous y-prenez-vous ici ? 

Madeleine Fournier : C’est vrai, mais en même temps j’ai envie de jouer sur les ressorts du bal et donc sur l’empathie et le rapport au mouvement, pour qu’on puisse donner aux public une envie de danser. L’un des enjeux de l’écriture de la pièce est de suggérer que tout s’invente à l’instant. Mais nous voulons aussi offrir une expérience de la durée et ouvrons également des espaces plus intérieurs, où on peut avoir envie de regarder la danse et d’écouter la musique. Et si nous jouons avec le désir de nous rejoindre dans la danse, les codes sont pourtant clairs : Il ne s’agit pas d’un spectacle participatif. Sauf à se dire, ce qui est vrai aussi, que regarder les gens danser est en soi déjà une manière de danser. C’est grâce à cela qu’il n’y a pas de frustration chez le spectateur, mais un moment partagé, organique et spontané. 

DCH : Dans une situation de bal, l’heure est, généralement, à la joie, mais ce n’est pas forcément suffisant pour construire une dramaturgie de spectacle. Comment s’articule votre écriture dramaturgique ? 

Madeleine Fournier :Avec la musique qui nous fait danser, nous sommes dans une ambiance de joie évidente. Nous sommes, an dansant, complètement dans le moment et dans le présent. En même temps nous faisons remonter des gestes issues d’une histoire humaine au sens large : des gestes relationnels, des gestes de travail et autres, pour interroger ce qu’est un corps humain. On se laisse traverser par l’expérience humaine. 

DCH : Nombre pair ou impair de danseurs ? Voilà une question clé en situation de bal, n’est-ce pas ? 

Madeleine Fournier : Nos six interprètes forment une communauté et nous travaillons l’identité de l’individu au sein d’un groupe. Pour le public cela veut d’ire qu’on ne peut pas toujours suivre tout le monde et qu’on peut parfois oublier l’un ou l’autre et se perdre. Il y a forcément des choses qui nous échappent. En plus le dispositif est circulaire, les angles de vue diffèrent donc ce qu’on voit n’est pas la même chose selon l’endroit où on est placé. 

DCH : Branle est nourri de L’Ethique  de Spinoza. De quelle manière ? 

Madeleine Fournier : Nous nous sommes intéressés aux affects que nous citons au début de la pièce. Nous en avons sélectionné certains, car Spinoza en décrit plus de cinquante. C’est pour moi une façon de poser la pièce sur cette grammaire des émotions, pour se connecter aux joies, peurs, tristesses, désirs etc. Ce sont nos données de départ, mais après on est parfaitement libre dans ce qu’on ressent. 

DCH : Vous avez ici réuni deux musiciens qui jouent en live. Pouvez-vous nous les présenter ? 

Madeleine Fournier : Marion Cousin est musicienne et chanteuse. Elle travaille beaucoup sur les chants traditionnels de la péninsule ibérique et aime mélanger des sources traditionnelles avec le contemporain expérimental. Je l’ai invitée dès le début du processus et nous avons par exemple lu L’Ethique de Spinoza ensemble. Elle a donc participé à nos recherches de départ. Julien Desailly qui joue de la cornemuse a beaucoup joué pour les bals et maîtrise complètement les musiques à danser. Mais il se produit aussi en concert et a une approche expérimentale. Nous nous sommes donc très bien entendus autour de ma démarche artistique. 

DCH : Une chose intrigue, sur le joli parquet de bal que vous avez à l’Atelier de Paris, j’ai aperçu trois œufs. Ont-ils un lien avec le spectacle ? 

Madeleine Fournier : Complètement ! Nous sommes justement en train d’écrire une sorte de dramaturgie de l’œuf. Il y a là quelque chose de trivial, mais en même temps ce rapport à la chair, au corps, à la fête et aux repas, et puis c’est fragile, ça nous parle du cycle de la vie et de la mort qui fait partie de mes obsessions. Et il nous rappelle que nous ne maîtrisons pas tout. Un accident peut se produire, et ça nous renvoie au présent de la situation. 

Propos recueillis par Thomas  Hahn

Branle :  création les vendredi 17 et samedi 18 novembre 2023 à l’Atelier de Paris CDCN.  Avec le Festival d’Automne

Chorégraphie : Madeleine Fournier
Danse : Mathilde Bonicel, Madeleine Fournier, Sonia Garcia, Flora Gaudin, Johann Nöhles, Marie Orts
Musique : Marion Cousin, Julien Desailly
Assistant : Jérôme Andrieu
Espace : Madeleine Fournier, Nicolas Marie
Lumière : Nicolas Marie
Transmission bourrée 2 temps : Solange Panis
Costumes : Valentine Solé

 

Madeleine Fournier à propos de Branle from Atelier de Paris / CDCN on Vimeo.

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