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Myriam Soulanges et Marlène Myrtil à June Events

Myriam Soulanges et Marlène Myrtil présentent leur dernière création Tropique du Képone au festival June Events le 28 mai. Articulée autour de la problématique du Chlordécone, cette pièce engagée est leur deuxième collaboration sur le sujet. Rencontre à deux voix.

DCH : Vous avez créé ensemble Le Principe de précaution sur le chlordécone en 2014. Vous remettez le couvert avec Tropique du Képone. Pourquoi ?
Marlène Myrtil :
Le Principe de Précaution, portait sur la pollution générale avec deux axes. D'un côté, il y avait l'effet plastique, la surabondance du plastique sur les territoires de Martinique et de Guadeloupe. Et de l'autre côté, justement, cette molécule, le chlordécone, qui commençait à être connue et identifiée.

Myriam Soulanges : Je pense que l'enjeu, et l'envie que nous avons eue, avec Marlène, c'est d'affirmer encore davantage notre engagement face à cette pollution environnementale, face aux conséquences humaines, sociales et économiques, qui sont dramatiques sur nos territoires de Guadeloupe et de Martinique. Pour nous, c'est vraiment une façon d'agir. C'est un engagement politique aussi. Et surtout, nous pouvons nous référer à une actualité dans laquelle le déni pèse sur la population. Cela nous semblait vraiment alarmant et il était urgent d'agir. C'est ça l'essence de cette envie. L’actualité résonne fort sur nos territoires, comme le non-lieu qui a été prononcé le 2 janvier dans le scandale du chlordécone. Celui-ci écarte toute responsabilité pénale, alors que la plainte dénonce les responsables de ce drame. Quand nous regardons autour de nous, dans nos familles, chacune d’entre elles est touchée par au moins un malade, en lien avec cette molécule ultra-persistante dans nos sols.

Marlène Myrtil : nous avons eu envie de continuer, perdurer, non pas ressasser, mais chercher une nouvelle piste pour parler de ce sujet, de ce scandale.

DCH : Comment l'abordez-vous, cette fois-ci ?
Marlène Myrtil :
Nous nous en sommes tenues, dans un premier temps, à l'enquête, à l'archive, pour être sûres, justement, d'avoir des bases qui nous éclairent davantage sur la thématique. Nous sommes allées voir le collectif des ouvriers agricoles en Martinique (un collectif qui s'est constitué pour demander réparation. NDLR). Ça nous a permis d'être en connexion directe avec des personnes impliquées, avec des ouvriers, des ouvrières. Nous avons travaillé avec une archiviste qui nous a fourni énormément de documents qui nous ont donnés des pistes de recherche.

DCH : Vous évoquez une fiction chorégraphique. Qu’entendez-vous par là ?
Myriam Soulanges :
Cette idée de fiction a émergé quand nous avons commencé à travailler avec Michael Roch, un auteur afro-futuriste. C’est lui qui nous a plongé dans ce concept de l’afro-futurisme et cela permet d’avoir une myriade d’imaginaires possibles.

Marlène Myrtil : L'idée, c'était d'apporter quelque chose de nouveau, de faire travailler nos imaginaires de chorégraphes, d'imaginer un futur sept cents ans plus tard puisque la molécule est censée rester dans les sols pendant tout ce laps de temps, mais de l'imaginer victorieux, glorieux, positif.

Myriam Soulanges : Des corps qui auraient muté, qui se seraient transformés, des corps cyborgs, un environnement qui serait devenu bleu, en résonance avec la molécule qui aurait contaminé l’eau, la terre, nos corps, nos cellules.

DCH : Au sujet de l'afro-futurisme, pourriez-vous expliquer brièvement de quoi il s’agit ?
Marlène Myrtil :
Au départ, on sait que c'est un mouvement- qui vient des Etats-Unis et qui est lié à des événements politiques là-bas. Des initiatives contre le racisme et le besoin de se défendre, de montrer qu'on est fier, etc. Pour moi il y a une volonté profonde de nous inscrire dans ce mouvement. C'est déjà une façon de se rattacher à un continent qui n'est pas forcément l'Europe. Cela permet d'avoir une vision qui soit plus afro-centrée. Je sais comme il est difficile de mettre en place des esthétiques et des points de vue extérieurs à l’Hexagone. En tant que chorégraphe, c'est pouvoir s'autoriser à parler de quelque chose qui nous appartient et de le développer avec des outils qui nous sont propres.

Myriam Soulanges : oui, développer le concept de l’afro-futurisme mais avec une identité purement caribéenne, comme le fait Michael Roch dans ses fictions. Pour nous c’est un moyen de regarder vers l’avant sans tourner le dos au passé. Dans la pièce, il y a toujours une forme de mémoire, de réminiscence qui vient se tisser avec le présent.

DCH : Comment avez-vous procédé, d’un point de vue chorégraphique, pour vous alimenter de cette matière ?
Marlène Myrtil : c’est maintenant que nous prenons conscience des chemins parcourus au niveau de l’écriture et du processus. À partir de toutes nos sources, nous avons cherché comment nos corps pouvaient partir d’un état de lenteur, quelque chose de très détaché, très posé pour aller dans une puissance, une saccade, quelque chose de très segmenté, nerveux.

Myriam Soulanges :  toute la chorégraphie est liée à ces notions de transformation, de modifications du corps, aussi ce que nous appelons entre nous « l’incolonisable », ce qui ne peut être touché. Faire émerger plusieurs strates, et des bascules par le corps et par les accessoires.

DCH : Dernière question, le scandale du Chlordécone n’est pas très connu en métropole pourriez-vous en dire quelques mots ?
Marlène Myrtil :
c’est une molécule chimique qui a été utilisée aux États-Unis, en Virginie, mais qui a été très vite interdite, suite à des études qui ont prouvé sa nocivité. Mais dans les Antilles, elle a continué d’être utilisée pour combattre le charançon du bananier. Qui détruisait, en fait, toutes les récoltes. En France, des dérogations ont été mises en place au profit des planteurs pour que cette molécule soit écoulée jusqu’au bout. C’est non seulement un scandale phytosanitaire, mais aussi une injustice sociale.

Propos recueillis par Gallia Valette-Pilenko

Mardi 28 mai à 21h dans le cadre de June Events

10 au 14 juillet 2024 à 11h45 à La Chapelle du Verbe Incarné dans le cadre du festival d'Avignon OFF

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