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Soirée Trisha Brown Dance Company / Noé Soulier

La Trisha Brown Dance Company est exceptionnellement en France pour une série de représentations, avec deux pièces de Trisha Brown et pour la première fois, une commandée à un chorégraphe extérieur, en l’occurrence une création mondiale de Noé Soulier pour une soirée exceptionnelle. A voir dès le 24 novembre à La Maison de la Danse de Lyon.

Le CNDC d’Angers accueillait les toutes premières représentations d’une soirée de la Trisha Brown Dance Company qui invitait pour la première fois un autre chorégraphe à entrer en dialogue avec le répertoire de cette grande dame de la danse postmoderne. Mais, en hors-d’œuvre de cette soirée exceptionnelle, les étudiant.es du CNDC aujourd’hui dirigé par Noé Soulier, réinterprétaient Set&Reset une pièce phare créée en 1983, à partir de ses éléments de base transmis par Cecily Campbell de la compagnie Trisha Brown, qu’ils se sont réappropriés dans un vaste processus d’improvisation. C’est pourquoi cette variation de la pièce s’intitule Set&Reset/Reset. Et les sept danseuses et danseurs, sans costumes ni éclairages, ont su redonner vie à ces principes fondamentaux du mouvement brownien que sont « stay simple » (rester simple), « act on instinct » (agis à l’instinct), « Stay on the edge » (reste au bord), « work on the visible and invisible » (travaille avec le visible et l’invisible), « line up » (aligne toi). Et il était tout à fait pertinent de proposer avant le spectacle cette réactivation du travail de Trisha Brown, car la luminosité de la construction, incarnée avec brio et précision par les 3années du CNDC, permettait au public d’entrer de plain pied dans l’univers de la chorégraphe et de remarquer des détails insoupçonnés dans les pièces présentées.

Le programme proprement dit de la Trisha Brown Dance Company s’ouvrait donc avec la création mondiale de Noé Soulier. In the Fall puisque c’est son titre, est une pièce remarquable qui sait rester simple comme le préconisait Trisha Brown, tout en ouvrant un champ des possibles chorégraphiques.

Galerie photo © D. Perrin

Débutant dans une pénombre où seuls les corps semblent prendre la lumière, s’écrit sous nos yeux un duo complémentaire, où une figure complexe se construit à deux. Alors se déploie un mouvement absolument somptueux dans ces corps comme saisis en plein vol dans un espace sidéral dont les repères ont disparu, à la limite de la chute. Les ensembles défient les contraintes gravitaires et partant, dépassent les limites auxquelles leurs corps non célestes les ont assignés, Noé Soulier instaurant de fait, une sorte de dialogue rêvé entre la chorégraphe de la gravité, de la pression, et son propre vocabulaire. Dans In the Fall, le mouvement, porté par des danseurs et danseuses d’exception, va le plus loin possible, comme s’il s’allongeait infiniment, dépassant même leurs extrémités physiques. La chorégraphie, éclatée en duos, trios ou quatuor, joue du répons et du contrepoint et se dissémine alternativement dans les bras ou les jambes. Soudain, les huit interprètes se rassemblant en brefs unissons aussitôt brisés composent une calligraphie de l’espace, avant d’alterner instants élégiaques et accélérations démoniaques, ensembles un peu sportifs et moments plus légers que l’air. Etirements et contrastes, abandons et lignes précises tissent une écriture singulière et plurielle. Car In the Fall avec sa puissance et sa grâce s’inscrit volontairement dans une histoire de la danse.

Working Title est la matrice de Lateral Pass une œuvre majeure de Trisha Brown.C’est une pièce époustouflante, joyeuse avec ses costumes bigarrés un peu seventies, rapide, dynamique, tout en courses, en sauts plein d’allégresse, dont certains sont presque perpendiculaires au sol. Le mouvement y est imprévu. La gestuelle conjugue simplicité et sophistication – certains gestes allant jusqu'à évoquer des gestes quotidiens ; et c'est leur répétition sur un tempo rapide, qui leur accorde la valeur d'une expérience fascinante de l'espace, dénuée d'autre émotion que celle du plaisir dans l'exécution elle-même. La musique de Peter Zummo, comme un air fredonné, qui semble composée avec des instruments jouets, ou qui ont des accents de gamelan indonésien ou de cirque, ajoute à cette impression de légèreté pleine d’entrain.

For MG : The Movie, créé en 1991, a été inspiré par plusieurs conversations que Trisha Brown eut avec Michel Guy, fondateur du Festival.d’Automne. La chorégraphie, deuxième du cycle « back to zero » explore une danse complexe, sans force ni élan, qui évolue dans une sorte de douceur mélancolique et d’abandon mystérieux. Tout commence par la course d’un danseur, qui se suspend parfois d’un saut, tandis qu’un couple reste obstinément debout de dos à cour. Alignements et enchevêtrements, étirements et arrêts sur image se succèdent. La gestuelle oscille d’une fluidité séduisante et sensuelle à la mise en espace de formes massives et quasi-immobiles affinant la perception du mouvement dansé. 

Photos © Stéphanie Berger et Steven Pisano

Ralentis, subtils décalages, atmosphère lumineuse d’un automne qui laisse filtrer ses derniers éclats, ou fumées noires qui envahissent le plateau auréolent la pièce d’une beauté énigmatique. La musique contribue à cette impression commençant par une valse à la Chopin, mais déformée voire défigurée, on entend la vie entrer dans la partition, bruits métalliques ou mécaniques, coup de feu, ou même canette qui roule au sol laissent deviner une forme de narration invisible dans la gestuelle qui se déploie lentement – presque paresseusement – dans un calme qui permet l’émergence de mouvements flottants et parfois invraisemblables. D’une certaine manière tout Trisha Brown est concentré dans cette pièce, on y retrouve quelques éclats des accumulations, ou des alignements de ses premières pièces, mais aussi des suspensions beaucoup plus tardives. Quand le danseur revient, il reprend sa course mais en arrière, comme s’il remontait le temps dans un flash-back chorégraphique, ce qui brusquement fait sens avec le deuxième terme du titre (The Movie) et nous rappelle que de nombreux procédés issus du cinéma sont utilisés dans cette pièce extraordinaire.

Agnès Izrine

Vu le 16 novembre, Le Quai, CNDC, Angers.

En tournée    
La Coursive, La Rochelle 21/11/2023
Maison de la Danse de Lyon 24 et 25/11
Opéra de Massy le 28/11
La Filature Mulhouse le 1er/12
Antipolis Théâtre d’Antibes dans le cadre du Festival de Danse de Cannes le 5/12
Maison des Arts, Créteil du 7 au 9/12
Théâtre de Beauvais le 12/12
Théâtre Jean Arp, Châtillon-Clamart le 16/12.

Distribution

In the Fall (2023)
Chorégraphie, Noé Soulier / Musique, Florian Hecker / Lumière, Victor Burel / Costumes, Kaye Voyce / Interprètes, Christian Allen, Cecily Campbell, Burr Johnson, Lindsey Jones, Catherine Kirk, Patrick Needham, Jennifer Payán, Spencer Weidie
Working Title (1985)
Chorégraphie, Trisha Brown / Musique, Peter Zummo, extraits de Six Songs (Sci-Fi, Slow Heart, Song VI, Song IV) / Interprété par The Peter Zummo Orchestra Mustafa Khaliq Ahmed (percussion), Guy Klucevsek (accordéon), Dave Phillips (basse), Bill Ruyle (marimba et table), Peter Zummo (trombone) / Costumes, Elizabeth Cannon / Lumière, Beverly Emmons
For M.G.: The Movie (1991)
Chorégraphie, Trisha Brown / Musique, Alvin Curran / Costumes et décors, Trisha Brown / Lumière, Spencer Brown with Trisha Brown

Interprètes, Christian Allen, Cecily Campbell, Burr Johnson, Lindsey Jones, Catherine Kirk, Patrick Needham , Jennifer Payán, Spencer Weidie

 
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