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Sarah Bernhardt et le nouveau Théâtre de la Ville

Le Théâtre de la Ville, rebaptisé Théâtre Sarah Bernhardt, sur la place du Châtelet, réouvre après sept ans de travaux et offre une large place aux chorégraphes. 

Le Festival de la Place est lancé, le Théâtre de la Ville s’étend, et il change de nom. La grande salle est refaite et conserve tous ses atouts, le hall est baigné de lumière et devient un lieu de création en soi, faisant le lien entre le théâtre et la ville, même si, en tant que lieu, le Théâtre de la Ville n’existe plus. Si on continue tout de même à parler du Théâtre de la Ville, ce sera en se référant à l’association qui gère donc deux lieux, le Théâtre des Abbesses et le Théâtre Sarah Bernhardt. La maison située sur la place du Châtelet et qui a ouvert ses portes en 1862 en tant que Théâtre Lyrique est devenue le Théâtre Sarah Bernhardt. Redevenue… Car elle récupère une de ses nombreuses appellations historiques. La ville de Paris, qui finance seule le Théâtre de la Ville, a évidemment joué un rôle clé dans cette décision.

Sept ans de travaux

Sept ans suffisent pour renouveler toutes les cellules d’un corps humain pour faire chavirer un mariage… Sept ans de travaux (d’Hercule), c’était évidemment tellement plus que tout ce que les équipes du théâtre avaient imaginé au départ. Ca ne devait durer « que » trois ans… Mais... Un cintre non conforme avait été prévu au départ et il a fallu en créer un nouveau. Puis on trouva de l’amiante et du plomb. Ensuite le chantier croisa les chemins d’une pandémie… La liste n’est pas exhaustive, mais suffit largement pour faire dérailler un chantier, par les arrêts successifs interrompant les travaux. Emmanuel Demarcy-Motta, le directeur du Théâtre de  la ville, parle de quarante interruptions.

Sept ans de travaux, voilà qui a un drôle d’effet. « Des enfants peuvent aujourd’hui avoir sept ans, ou même dix, ils n’ont jamais connu le Théâtre de la Ville », remarque Demarcy-Motta. Pour eux, c’est un tout nouveau théâtre qui ouvre, et ils sont invités à voir gratuitement Chotto Desh d’Akram Khan, qui sera le premier spectacle présenté dans la nouvelle salle (1). Celle-ci conserve l’essentiel du geste artistique et architectural de 1968, œuvre pionnière de Fabre et Perrotet, à savoir une salle en courbe et au gradinage pointu lequel garantit une vue parfaite depuis toutes les places. « Ici un acteur ou un danseur peut se coucher au sol, tout le monde le voit », souligne Demarcy-Motta qui la place dans « une famille de lieux », les architectes de l’époque ayant, dans la foulée de leur geste par la suite conçu d’autres salles, à l’encontre du théâtre à l’italienne, sans cadre de scène et aux perches techniques apparentes.

Sur scène, tous les possibles

Au-delà des améliorations du confort et de l’assise – les nouveaux sièges, optimisés, offrent environ 10 cm de plus aux genoux du spectateur – d’autres améliorations changent fondamentalement la donne. Aujourd‘hui la grande salle offre un équipement sonore à la pointe, permettant la spatialisation  et  autres expérimentations. « Nous l’avons testé avec des réalisateurs de cinéma et la qualité du son correspond à celle d'un très grand cinéma. » Sans parler du fameux rideau de fer. Car il a disparu, et c’est son plus grand mérite. L’engin, a priori conçu pour améliorer la sécurité du public s’était retourné contre celui-ci, car il représentait un risque de chute ! Il était donc impossible d’aborder le plateau en y invitant les spectateurs. Certes, sans rideau de fer il a fallu revêtir les fauteuils d’un tissu non inflammable, mais de tels produits sont monnaie courante. Et puis, grâce à une récupération d’espace astucieuse en fond de plateau, celui-ci – par ailleurs entièrement refait – gagne environ un mètre en profondeur. « Cela n’a pas l’air d’être grand-chose, mais le manque de profondeur a toujours été un facteur limitant les possibilités. Désormais nous pouvons présenter des mises en scène qui ne rentraient pas auparavant, comme Barbe-Bleue de Pina Bausch qu’il a fallu présenter au Châtelet  », se réjouit Demarcy-Motta. Quant à la jauge, elle baisse légèrement, de 1000 à 950 places, pour pouvoir installer plus de fauteuils roulants. Et pour la première fois, il y en a non seulement en bas de la salle, mais aussi en hauteur, ce qui permet aux personnes à mobilité réduite de choisir leur angle de vue.

Galerie photo © Thomas Hahn et Sun-A Lee

Deux, voire trois nouvelles salles !

La Coupole, voilà le nom de la nouvelle salle modulable, située sous la charpente d’origine. « C’était l’espace de répétitions voulu en 1968 par les architectes. Ici, Pina Bausch, Anne Teresa De Keersmaeker, Patrice Chéreau et tant d’autres ont répété leurs créations. » L’espace peut accueillir 130 personnes dans un rapport de proximité avec les artistes. Il est rectangulaire et modulable, permettant de choisir entre le frontal et le bifrontal. « En trois heures, on peut changer la direction des perches et donc la disposition de la salle, grâce au cintre qui peut descendre. »

Au rez-de chaussée, le Café des œillets peut accueillir 80 personnes pour des conférences, lectures et  rencontres. Mais la grande fierté est le Hall 21, une salle qui n’en est pas une mais semble pouvoir devenir un lieu de création. On y entre dès qu’on franchit la porte d’entrée. Ce hall d’accueil est baigné de lumière mais excellemment isolé du bruit de la circulation foisonnante de l’autre côté du mur et des vitres. Des projecteurs pilotables, des connexions internet et même des arrivées d’eau ont été installés partout, au rez-de-chaussée comme sur les deux mezzanines. Et tout peut être installé n'importe où, car tout s’articule en petits modules sur roues : l’accueil, la librairie et même le bar (les arrivées d’eau servent à ça).

Un hall connecté

Aussi le hall peut devenir un espace pour la recherche artistique, en duplex avec d’autres artistes sur d’autres continents, « avec la BAM de New York, l’université de Los Angeles, Taïwan, Tokyo ou le Cameroun ». Certaines de ces coopérations ont vu le jour pendant le confinement et le Théâtre de la Ville a développé un projet dédié à la création numérique. L’espace est donc à  la disposition d’artistes, et non des moindres : Anne Teresa De Keersmaeker, Romeo Castellucci… « Nous réfléchissons avec les artistes sur l’utilisation du Hall 21 », dit Demarcy-Motta. Et ce hall pourra aussi accueillir des expositions, en coopération avec de grands galeristes internationaux.

Bien sûr, ce n’était pas la raison première de la restructuration du foyer. On se souvient des deux grands escaliers menant au premier étage avec les portes d’entrée du bas. « Ces escaliers étaient à nos yeux le point faible du projet de 1968 », dit Demarcy-Motta. La réflexion sur leur suppression – ils se trouvent aujourd‘hui au fond du hall – s’est faite en intégrant les architectes de l’époque. Ceux d’aujourd’hui, Blond & Roux, ont conçu un projet qui offre à ce foyer des mezzanines de nouveau accordées aux hauteurs des fenêtres, ouvrant la vue vers le Théâtre du Châtelet, la Seine, la Monnaie… Et le dessous des gradins construits en 1968 domine la vue de son impressionnante structure. A certains jeunes qui sont entrés ici pour une visite, la structure aurait rappelé un stade, et on les comprend parfaitement.

L’écologie par la Seine

Quand on parle aujourd’hui de construction, rénovation ou restructuration d’un théâtre, les aspects environnementaux jouent un rôle essentiel. C’est le domaine où les changements depuis 1968 sont les plus notables. Le Théâtre de la Ville annonce 37% de gain en chauffage grâce aux travaux d’optimisation et une réduction de 70% de sa consommation en électricité grâce à des mesures diverses. La plus originale est sans doute le branchement sur le réseau de froid de la ville de Paris, un système qui récupère la fraîcheur du fond de la Seine et évite ainsi l’opération d’un système de climatisation conventionnel.

Cette connexion souterraine du théâtre à l’espace urbain connaît une réplique à la surface, et elle se nomme Place des Théâtres. Entre le Théâtre du Châtelet et le Théâtre Sarah Bernhardt se trouve la place du Châtelet avec son entrée du métro, son kiosque et sa fontaine. Dans la vision d’Anne Hidalgo, elle sera piétonnisée – dans un premier temps entre le Théâtre du Châtelet – et régulièrement animée par des artistes, surtout en dansant. Demarcy-Motta dit avoir reçu en mars dernier une lettre de mission pour imaginer « un espace central où l’art peut se pratiquer dans la rue et mettre en place un dialogue entre les deux théâtres et l’espace public ».

Côté square comme côté place

Ce dernier comprend aussi, dans la vision du directeur, le square Saint-Jacques qu’il aimerait voir sans ses grilles bleues qui l’entourent. L’idée est d’y organiser, d’avril à septembre, des lectures et rencontres et de petites formes de spectacles, comme la Balade chorégraphique d’Ambra Senatore, vue lors de l’ouverture du Festival de la Place, le 9 septembre, où la directrice du CCN de Nantes expliqua l’histoire artistique du Théâtre de la Ville et brandit un document très historique : l’affiche du premier spectacle de Pina Bausch donné dans cette salle, où l’on remarque que ce n’est pas le Tanztheater Wuppertal qui vint à Paris mais le Ballet de l’Opéra de Wuppertal !

Des deux côtés de  la  place, deux théâtres portés par deux associations. Et un seul président, Xavier Couture. Ce qui n’est ni anodin, ni un hasard. En tout cas, les deux maisons vont coopérer à l’avenir, comme elles l’ont fait au cours des sept années de travaux, quand certains grands spectacles programmés par le Théâtre de la Ville, et notamment ceux du Tanztheater Wuppertal, furent accueillis au Châtelet. Et quand au cours de la saison à venir, la troupe de Wuppertal reviendra pour la première fois sous la direction de Boris Charmatz, le Sarah Bernhardt  accueillera Sweet Mambo  de Pina Bausch et le Châtelet Liberté Cathédrale de Charmatz. Entre les deux, les danseurs – qui ne sont pas les mêmes pour les deux spectacles – animeront la Place des Théâtres. Voilà donc en gros à quoi pourrait ressembler une conjoncture nouvelle des arts au cœur de Paris, deux théâtres non plus séparés mais réunis par l’espace public.

Sarah Bernhardt en son écrin

Sur la façade en grand et en toutes lettres, s’affiche désormais le nom de Sarah Bernhardt. Et à l’intérieur, une sculpture, nouvellement arrivée, la représente en tragédienne alors que les objets précédemment exposés dans sa « loge » (qui n’en était pas une, tout l’intérieur du bâtiment ayant été refait en 1968) sont en restauration et seront eux aussi placés dans la maison. Emmanuel Demarcy-Motta l’a promis.

Impossible donc d’inaugurer le plateau et la salle rénovés sans rendre hommage à la grande diva du théâtre français qui loua la maison à la municipalité et la fit fonctionner sous son nom pendant un quart de siècle, jusqu’à ce que les occupants nazis, en 1941, confient la direction à Charles Dullin et le lieu le rebaptisent Théâtre de la Cité.

Isabelle Huppert était venue depuis l’Espace Cardin, où elle répète avec Romeo Castellucci pour Bérénice, leur création à venir, en mars 2024. Lisant des textes de Sarah Bernhardt (« également une grande écrivaine »), le portrait de l’actrice projetée en arrière-plan, Huppert confia que c’est au Théâtre de la Ville qu’eut lieu sa « première rencontre avec un directeur de théâtre » : C'était Gérard Violette, « et pour le moins, il ne m’a pas découragée ».

La danse comme moteur artistique

Jean Mercure* avait eu l’audace d’imaginer un lieu pluridisciplinaire au cœur de Paris et d’ordonner aux abonnés de choisir au moins un spectacle de danse.  « Il y avait dès 1968 Béjart, le Nederlands Dans Theater et tant d’autres », fait remarquer Demarcy-Motta. Et la danse continue à être le moteur artistique de la nouvelle ère du lieu car c’est elle qui permet de créer le lien avec le public et fait danser la ville. Le premier weekend du Festival de la Place a su le pratiquer avec Hofesh Shechter, entre autres ou en impliquant des danseurs amateurs dans un spectacle grand format pour l’espace urbain, comme Apaches de Saïdo Lehlouh ou bien en profitant du plancher installé autour de la Fontaine du Palmier, en plein milieu de la place, avec le trio If you could see me now d’Arno Schuitemaker (lire notre critique).

Le prochain weekend, du 15 au 17 septembre, la place du Châtelet et le Jardin de la Tour Saint-Jacques seront de nouveau investis, mais également l’Espace Cardin qui continuera cette saison à accueillir des spectacles, rencontres et animations, essentiellement destinés aux jeunes spectateurs. Et la danse est, là aussi, la force principale, entre autres avec Mer Plastique de Tidiani N’Diaye ou bien Nomadics de Lisbeth Gruwez qui propose une marche collective, une longue marche qui débute à 7h du matin, pour voir le spectacle sur la place, à partir de 11h.

Thomas Hahn

Le Festival de la  Place : LA PLACE DU CHÂTELET SE RÉINVENTE ! – Théâtre de la ville de Paris (theatredelaville-paris.com)

(1)  Pour tout enfant accompagné d’au moins un adulte payant.

* Directeur fondateur du théâtre de la Ville à Paris de 1968 à 1985.

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