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« Goat » de Ben Duke au Théâtre des Abbesses

Invité par le Ballet Rambert, le chorégraphe britannique bouleverse nos habitudes, et bien sûr celles des danseurs.

Dans Goat de Ben Duke, l’humour british frappe en pleine figure : Assis sur sa chaise, l’élu (dans le sens du Sacre du Printemps, pas dans le sens politique) explique face à la caméra: « Je dois danser jusqu’à ce que j’en meure. » Et le faux reporteur de demander: « Ca vous pendra combien de temps ? » Réponse: « Aucune idée, c’est ma première fois. » Goat est une pièce très british car grand public, où l’on rit et où la danse contemporaine s’amuse de sa réputation d’être difficile d’accès. En plein spectacle, le journaliste interroge les danseurs quant à leurs personnages allégoriques ou réalise, sommairement, une audiodescription à voix haute.

Hommage à Nina Simone

Si malgré l’absence d’une forme définissable qui peut déconcerter, le rythme, plutôt en mode adagio, évite de justesse de devenir lassant, la raison est justement que la pièce ne cesse de communiquer directement avec les spectateurs. Sans faire de Goat un spectacle participatif, Ben Duke sort donc le public de son anonymat et lui donne la sensation de jouer un rôle. En revanche, on ne saurait définir ce rôle avec précision. Car nous ne sommes peut-être pas en train de voir un spectacle, mais une répétition. Ou bien le théâtre est-il devenu un studio de télévision ? Dans tous les cas, la scène représente en même temps un club de jazz où une chanteuse et trois musiciens reprennent quelques grands succès de Nina Simone, ce qui permet en même temps de décliner le spectacle en divers tableaux, ambiances et intentions. Avec sa voix, où les timbres et les nuances se superposent tel un millefeuille, la chanteuse Nia Lynn est par ailleurs une découverte extraordinaire. Difficile d’imaginer une reprise plus réussie, sans pour autant imiter l’original.

Au départ, un état de choc

Nina Simone, c’est une voix, c’est de la musique mais aussi le réel, un engagement de l’artiste dans une réflexion critique sur le monde. Il est vrai que Goat est né en plein traumatisme de l’attentat islamiste de Londres, en mars 2017. La création, commencée deux jours après, porte les signes de ce choc, de cette remise en cause fondamentale. Pourquoi danser, comment danser dans un tel monde ? Au micro, on énumère les contradictions et injustices de la société occidentale, on se rappelle du choc de de l’attentat, on danse comme dans un rituel expiatoire, on réinvente satiriquement la prédication et on interroge l’indécence des média visuels qui transforment la mort des victimes d’attentats en spectacle pour le prime time. Mais tout se traite au deuxième degré et malgré le fond dramatique, un côté slapstick peut surgir à tout moment.

Catharsis

Dans ce studio en couleurs sépia les excellents danseurs de la compagnie Rambert dévoilent avant tout un grand talent en tant que comédiens. En revanche, ils dansent ici assez peu. Ben Duke leur offre seulement quelques solos ou duos pour laisser éclater leur énorme technicité. La Rambert étant une compagnie sans chorégraphe directeur, ses interprètes sont pourtant régulièrement confrontés aux styles les plus divers, d’une part en travaillant avec les chorégraphes invités, d’Hofesh Shechter à Marion Motin, d’autre part puisque la compagnie compte en son répertoire un grand nombre de pièces de Merce Cunningham ainsi que des œuvres de Trisha Brown.

La dimension théâtrale de Goat élargit donc sensiblement le répertoire de la Rambert, offrant aux danseurs un ailleurs, un humour et une musique qui pansent les plaies d’un traumatisme collectif. Une catharsis donc, qui ramène au chant du bouc, autrement dit, à la tragédie, et donc au bouc émissaire qui a donné son titre à Goat, spectacle qui inclut justement un appel à s’occuper des vraies causes d’un mal-être, sans se décharger sur les boucs émissaires.

Thomas Hahn

Vu le 20 avril, Paris, Théâtre des Abbesses

Chorégraphie:  Ben Duke

Décors : Tom RogersB

Lumières : Jackie Shemesh

Avec 16 danseurs de Rambert & Nia Lynn (chant)

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