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Les Irlandais du Festival Instances (1)

Ce premier programme réunissait trois chorégraphes repérés par l’équipe de l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône au Dublin Dance Festival, tous quasiment inconnus en France. C’était donc une vraie première qui nous a permis de découvrir les personnalités aussi intéressantes qu’attachantes de Liv O’Donoghue, Philip Connaughton, et Aoife McAtamney.

 Ten  de Liv O’Donoghue

Tout commence dans un espace clair.Ten, sous titré   Étude du mouvement en blanc et gris, Liv O’Donoghue et Maria Nilsson Waller, commencent à essuyer le plateau recouvert d’une fine pellicule blanche, sable ou craie, laissant surgir cette surface grise et libre : un espace pour la danse.

Toute la chorégraphie s’attache à inscrire dans ce vide des mouvements aériens, qui conjuguent à l’anguleux une forme de lâcher prise fluide et circulaire. Sous-tendue par une sorte de chemin qui emprunterait ses torsions et ses revirements à un paysage mental, Liv semble vouloir anéantir toutes les limites qui circonscrivent son corps. Bras, torse, nuque pris dans cette hyperextension qui peu à peu emplit le plateau.

Soudain, l’ombre envahit la pièce. Une lampe, tenue par Maria Nilsson Waller laisse filtrer quelque chose d’un quotidien affairé, d’une difficulté à être, tandis que le mouvement devient chose secrète qui reste à déchiffrer.

On sent, dans ce duo, une fragilité de la présence assumée, qui prend des allures d’une dislocation, d’un déséquilibre qui vient s’entremêler au flux perpétuel de cette gestuelle nuancée. C’est une écriture tenue et ténue que distille Ten, avec ses volutes et ses vrilles délicates qui entrelacent le corps des deux femmes au son de chuchotis et de bruissements. Cette chorégraphie de l’intime, du presque rien, pourtant prenante, nous fait suivre chaque pas, chaque retournement, chaque bras qui s’élève avec une attention accrue. Et, tandis que le chant des oiseaux retentit, leurs mouvements s’alentissent comme pour sortir de la nuit.

 Mortuus est Philippus  de Philip Connaughton 

« Quelles sont les possibilités – quels motifs – de passer de vie à trépas . Telle est la question. Je ne sais ni quand, ni pour quelle raison je passerai inévitablement l’arme à gauche » écrit Philip Connaughton. Et le voilà qui, vêtu d’un caleçon, égrenne devant nous tous les possibles de cet événement à venir. Toutes les maladies y passent, puis les différents accidents ou meurtres putatifs. Mais cet « essai auto-chorégraphique » tient surtout à la plasticité du corps de Philip Connaughton, danseur exceptionnel, rompu à toutes sortes de techniques, passant de la danse contemporaine aux claquettes irlandaises avec un naturel ahurissant. La pièce, avec son humour en demi-teintes, frise sans cesse l’absurde, le dérisoire, l’aberration. D’ailleurs, il doit sans cesse être remis sur le droit chemin, c’est-à-dire au centre du plateau par une assistante – en l’occurrence Cheryl Therrien – par de curieuses manipulations. Il joue d’un curieux mélange d’hésitations gestuelles et de virtuosité du mouvement que ne renierait sans doute pas un Buster Keaton. Du célèbre comique, il a aussi cet air d’être absent à lui-même et indifférent aux péripéties qu’il provoque qui rend la pièce absolument savoureuse. Mais c’est surtout  sa danse très singulière, très personnelle qui fait surgir ce personnage hors du commun, qui laisse poindre une personnalité attachante.

Softer Swells d’Aoife McAtamney

Proposé comme une sorte d’intermède dans le hall de l’Espace des Arts, Aoife le court solo d’Aoife MacAtamney Softer Swells, que l’on pourrait traduire par houles moelleuses, est une pièce aussi sensuelle qu’émouvante. Ancrée dans sa terre d’Irlande, on perçoit tout un bagage culturel qui passe dans la voix et le geste.

Qu’elle chante ou qu’elle danse, elle secrète une sorte de force inébranlable, qui semble immémorielle. Ses gestes lents semblent sculpter le temps. Elle nous entraîne dans une chorégraphie envoûtante, passionnante, avec ses enroulements infinis, ses déséquilibres étonnants, ou ses désarticulations surprenantes, tandis que sa voix ondule et module dans le silence. Un moment précieux et beau qui nous tient en haleine jusqu’à la fin de son solo.

Agnès Izrine

19 novembre 2015, Festival Instances de Chalon-sur-Saône

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