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20e édition du Festival de Marseille

Le 20e Festival de Marseille vient d’ouvrir ses portes avec une programmation éclectique qui, depuis 20 ans a sédimenté un lien indéfectible entre le festival et sa ville. Des créations, des reprises culte comme What the Bodies Does not Remember de Wim Vandekeybus, Mission du KVS ou Rosas danst Rosas d’Anne Teresa de Keersmaeker tissent le portrait de cette édition anniversaire qui laisse une large place à la danse intégrée.  C’est une fête qui ne porte pas trace d’une nostalgie, malgré le départ annoncé de sa directrice, Apolline Quintrand que nous avons rencontrée.

Danser Canal Historique : Cette 20e édition du festival de Marseille est chargée symboliquement car elle représente beaucoup pour vous…

Apolline Quintrand : La 20e édition représente un peu plus que fêter les 20 ans puisque c’est la dernière édition que je signerai. J’ai décidé moi-même du moment de mon départ, donc il n’y a pas de nostalgie, mais cette édition devait poser ce que le festival a apporté à Marseille qui est la deuxième ville de France. Cela permet de mesurer le chemin parcouru et celui que nous avons pu susciter chez les spectateurs.

J’ai invité des chorégraphes qui ont marqué le festival mais aussi des artistes liés au futur afin d’inspirer, par le biais de cette édition, le souffle à venir porté par des démarches singulières. Ainsi on verra Anne Teresa De Keersmaeker (La Nuit transfigurée et Rosas danst Rosas) ou Wim Vandekeybus (What the Bodies does not remember et une création) qui sont pour moi, presque matriciels de ce festival, avec des pièces de leurs débuts revisitées 20 ans après, avec de jeunes danseurs.

 

Mais aussi des compagnies comme celle de Josette Baïz, fondée en 1998 au festival, ou Hofesh Shechter, qui dix ans après la création de sa compagnie transmet son répertoire à une compagnie Junior.

C’est une façon de montrer une nouvelle génération de la danse, en résonnance avec le questionnement de l’avenir du festival. Bien sûr, on sait ce que l’on a construit et on le mesure avec la succession confiée à Jan Goossens qui dirigeait jusque-là le KVS à Bruxelles. Et en même temps, j’ai été très attentive à laisser une ouverture, une disponibilité artistique qui permet à un nouveau directeur de venir s’inscrire à la suite. Donc je ne pourrais pas faire un bilan comptable. Même si nous pouvons nous enorgueillir de 92% de remplissage, d’une adhésion du public aux formes nouvelles et si le pluriel des lieux du festival est aujourd’hui acquis.

DCH : Comment qualifieriez-vous cette édition ?

Apolline Quintrand : C’est une édition de la joie, d’une grande ouverture, avec pour sous titre, une sorte de slogan : We are the city. C’est une parade montée par Willy Dorner, mais c’est surtout une façon de rendre hommage à cette ville qui m’a inspirée, il y a 20 ans, un festival transdisciplinaire, transversal avec des entrelacs. C’est ce que je sentais monter de cette ville. Depuis cinq ans, nous avons développé un large partenariat avec des associations humanitaires et sociales, qui permet de redimensionner un projet commun, avec la société civile ainsi que tout ce qui ressort à la danse intégrée. Nous avons mis en place des actions pionnières et tout un travail sur le handicap. Nous avons reçu des centaines d’enfants et d’adultes, tout au long de l’année et avons obtenu le Trophée de l’accessibilité (Prix spécial accès pour tous à la Culture). La danse intégrée traverse donc le travail du festival et se conjugue parfaitement à l’artistique. Cela nous a inspiré tout un travail éducatif avec les enfants autistes, par exemple. Nous avons travaillé sur la norme, le normatif pendant trois ans, sans faire de bruit, dans la continuité. Car selon moi, la danse à ce niveau, est une arme. C’est un semis qui donne au festival plus qu’une colonne vertébrale, un souffle, cela fait que nous nous inscrivons dans les vraies interrogations de la société, la réalité sociale, et qui irrigue une grande richesse sur le plan humain. Car ces artistes, pas tout à fait comme les autres, nous ont apporté autre chose.

DCH : Quelle a été votre vision du festival à vos débuts ? Et aujourd’hui ?

Apolline Quintrand : J’ai senti dès le départ en 1998 qu’il fallait beaucoup de rigueur pour trouver des liens, faire émerger des cohérences, des correspondances entre les programmations, pour que la ligne du festival ait un sens. Il faut du temps pour en cueillir les fruits.  Le choix de mon successeur donne le tempo de ce que va être la suite au niveau politique. Jan Goossens a su faire tomber les frontières, su mettre le multiculturalisme au sein de son projet. Cela dit le festival ne s’est jamais enfermé. Nous avons mis en place des passerelles, travaillé sur le territoire. Les Cahiers du Sud, Blaise Cendrars, Anna Seghers sont des auteurs qui ont nourri pendant vingt ans la pensée du festival, mais aussi la « pensée complexe » d’Edgar Morin. Pour moi, un festival, une équipe, un projet devaient s’appuyer sur la réflexion de penseurs qui nous ont apporté notre fil à plomb.

Au bout de vingt ans, je suis heureuse d’avoir expliqué qu’il fallait être toujours aussi exigeants et généreux dans la manière d’être à la portée de tous. Ce n’était pas un grand écart mais un fil conducteur.
 

DCH : Avez-vous le sentiment d’avoir pu faire ce que vous aviez imaginé ?

Apolline Quintrand : Je crois que maintenant c’est imprimé dans le parcours des gens. C’est ça le véritable esprit d’un festival dans une ville. Et maintenant il peut poursuivre sa route, y compris avec ceux qui, parfois, s’en étaient écartés.

C’est un beau retour au bout de vingt ans. J’ai pu travailler dans une grande liberté. Je n’ai jamais eu à faire de compromissions car j’ai toujours souhaité avoir une grande clarté avec les politiques. Il faut tenir un rapport entre ce que l’on doit aux collectivités,  c’est la notion même de service public, et n’en faire qu’à sa tête. J’ai toujours bénéficié d’une grande écoute des tutelles ou de mon Conseil d’Administration.

DCH : Avez-vous eu votre mot à dire sur le choix de votre successeur ?

Apolline Quintrand : Oui, bien sûr. Et Jan Goossens était la meilleure candidature pour le C.A., pour l’équipe de collaborateurs en place depuis sept ou dix ans.

J’ai consacré vingt années de ma vie à ce festial, nous sommes allés partout, y compris au cœur de l’activité portuaire, dans une salle de boxe…  J’aurais été malheureuse de le voir tomber dans de mauvaises mains. Nous n’avons pas la même histoire que les villes à vieilles pierres. Marseille est une ville qui pulse, qui a des fractures. Je pense que c’est ce qui a séduit Jan, cette pulsation urbaine, humaine.

DCH : Quel est l’axe de cette édition ?

Apolline Quintrand : Dans cette édition il y a de l’obstination, de la résisance, de l’imagination. Il faut faire confiance aux artistes. Mission revient cette année. S’il y a un cadeau que je me suis fait, c’est celui-là.  Marseille est une porte ouverte sur le monde, sur la méditerrannée.

DCH : Quel est votre plus beau souvenir ?

Apolline Quintrand : Mon plus beau souvenir c’est peut-être la peur et le désarroi qui ont été les miens en 1996 quand j’ai dû créer le festival, et le fait de les avoir vaincus. J’y suis arrivée alors que je ne viens pas du sérail. Il y a vingt ans, tout le monde pensait que ça tiendrait un an, deux au mieux ! Dans un sens, ça me rappelle la phrase de Pierre Boulez : la décision était politique et l’accident, c’était moi. J’avais fait une soirée en 1995 sur mes propres deniers avec Antonio Canales au profit de Christine Janin et de son association  « A chacun son Everest » qui avait rencontré beaucoup d’écho. Du coup, lors du changement de municipalité, j’ai été appelée, c’était au début de  l’été, j’ai donné ma réponse en septembre 95. Et j’ai bâti ce festival de 1996 avec ce que j’avais dans mon imaginaire. On a ouvert avec un Concert Pour un marin à terre de Rafaél Alberti, un très beau poème sur l’exil. C’était le départ. Je n’avais pas d’équipe, pas de réseau. Ça a été une chance extraordinaire car j’étais libre de tout, ou contrainte par rien parce que j’étais hors système.

DCH : Quels ont été vos moments artistiques préférés ?

Apolline Quintrand : La liste de tous les grands artistes qui sont passés au festival est dans le livre que nous venons de publier. Mais c’est le fait de partir qui fait que je ressens quelque chose de complet par rapport à cette histoire. Je suis allée au bout. Et comme le festival va bien, il a suscité de beaux désirs de la part des artistes. Pour moi, le festival restera toujours le bleu de la méditerranée et un cœur très chaud, comme en témoigne le visuel de cette édition. En 1996, j’avais choisi le Plongeur de Paestum car c’est un tableau que j’avais chez moi. Il représentait comme une petite meurtrière dans ce contexte urbain. C’était la symbolique du passage. On me donnait une carte blanche pour faire un festival et je me demandais comment articuler  le passage entre cette ville grecque de 26 000 ans et la modernité. Cet arc du plongeon, me ramenait non pas à un passage vers la mort, mais à un plongeon vers la vie.

DCH : C’est tout un symbole, maintenant que vous passez la main…

Apolline Quintrand : Je reviens à Blaise Cendrars et à son conseil : « Quand tu aimes, il faut partir ». Et partir c’est ouvrir encore des portes. Je crois au Kairos, au moment opportun, et il faut se faire confiance sur ce que dit sa propre histoire, il ne faut pas rater cet instant-là.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Festival de Marseille du 14 juin au 17 juillet 2015

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