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Transdanses : « Age of Content » de (La) Horde

Les danseurs du Ballet National de Marseille se transforment en avatars et cascadeurs. A le 17 novembre à l'Espace des Arts de Chalon-sur-Saône dans le cadre du Festival Transdanses.

Le corps du danseur, c’est du charnel, du concret, du vrai. Mais qu’est-ce qui est vrai, à l’ère de la réalité virtuelle et des plateformes interactives ? Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel interrogent dans Age of Content les états hybrides du corps et de l’âme, en traversant plusieurs univers où les signes l’emportent sur le réel. Pour voir, dans les derniers tableaux, le concret reprendre du poil de la bête en saluant la comédie musicale américaine et la danse post-moderne. Un paradoxe ? 

Quand le spectacle vivant invite le monde virtuel sur le plateau, tout peut s’inverser. Dans Age of Content, le mode gestuel des avatars ou la danse des plateformes comme tik tok rentrent dans les corps réels, et soudain ceux-ci apparaissent drôlement irréels. Le dancefloor est ici collé au plafond et c’est en dansant Lucinda Childs, où les danseurs vont habituellement s’effacer derrière la rythmique et l’épure graphique, qu’ils se réapproprient leurs personnalités. Une chute peut procurer une sensation de douceur et de bonheur, et la voiture devient un fauve qui sert d’agrès acrobatique au lieu d’offrir ses services de locomotion. 

Aussi dans Age of Content, le paradoxe est roi et les artistes si pointus que sont (La) Horde s’emparent de la comédie musicale américaine et appellent « ère du contenu » une époque qui se complaît dans le vide d’une imagerie publicitaire où « les contenus virtuels, aussi abondants et virulents soient-ils, ont désormais un effet tangible sur nos corps » dans la vie réelle, tant qu’on peut encore distinguer le réel de ses ombres dans la sphère virtuelle. A quel point déléguons-nous nos corps et nos émotions aux présences en ligne en mode 5G, alors que vivre « offline » semble s’apparenter à une version appauvrie de la vie « online » ? 

La danse devient alors le territoire où l’incarnation charnelle de nos intentions et désirs affronte des imaginaires nourris par des pseudo-réalités médiatiques. Mais de tels univers factices ne sont pas faciles à faire rentrer dans la corporéité du danseur. Tant qu’il monte sur scène, celui-ci se situe dans le charnel du réel. On peut tenter de le faire disparaître sous des projections ou dans des costumes extravagants, mais on sera toujours en dialogue avec une entité en chair et en os. 

Et surtout, nous le savons bien, les tentatives de sortir du réel ne sont pas nées avec le casque VR. Le ballet romantique avec ses grands jetés exerçait déjà son pouvoir mystificateur. Mais le Ballet National de Marseille est aujourd’hui composé de danseurs contemporains, ce qui veut dire qu’ils sont formés dans un style qui s’est développé dans l’idée de parler du réel. Pour Age of Content, il fallait donc sortir de ce langage entre abstraction et concrétisme et s’approprier l’état corporel des avatars, des icônes publicitaires, des jeunes s’exposant sur tik tok, des sex-machines et des films d’action. 

Des vedettes d’autres disciplines sont venues à Marseille, dont quelques pionniers de l’art du déplacement – le fameux Parkour – comme Malik Diouf des Yamakasi, aujourd’hui coach cascadeur pour le cinéma et désormais aussi pour la danse. Les interprètes du BNM ont donc pratiqué les chutes et les arts martiaux, et quand ils se meuvent dans la mécanique collective des avatars, ils sont autant mimes que mèmes. Passant par le styles et les attitudes gestuelles et vestimentaires excentriques de la comédie chantée et dansée à la Broadway, sur laquelle se griffent les mouvements de la danse postée sur tik tok, la troupe arrive finalement sur le territoire de Lucinda Childs, bien connu par la troupe marseillaise qui a eu le plaisir d’interpréter Concerto sur la partition de Górecki, à partir de 2021, après avoir repris Tempo Vicino, créé en 2009 pour la troupe marseillaise, à l’époque dirigée par Frédéric Flamand. 

Age of Content  joue avec les univers et espaces, dans un non-lieu apparent, peut-être un studio de tournage, peut-être un lieu de passage entre le réel et le virtuel. Pas accueillant, même pas « neutre », exerçant ni charme ni révulsion. Sauf que le plafond s’illumine de temps en temps, comme pour une invitation à y danser. Puisque dans le virtuel tout est imaginable, le scénographe Julien Peissel propose ce retournement pour le moins inattendu. Mais un faux avatar reste un vrai danseur, soumis à la gravité ! Aussi quand la danse s’empare des corps, elle a lieu au sol, exclusivement. On se contente donc des envols imaginaires sur des pulsations empruntées à Lucinda Childs, pour constater que les individus dansants expriment enfin leurs personnalités et leurs émotions, alors que la liberté sur les plateformes virtuelles n’est qu’illusion.

Mais c’est peut-être déjà prêter à (La) Horde des intentions didactiques qui ne leur correspondent pas entièrement. Le trio et les danseurs de la troupe du BNM s’attaquent avec Age of Content à un sujet fondamental de notre époque, où tout est encore en train d’être débattu et compris. Le faire à travers la danse est à la fois courageux et particulièrement pertinent. Aussi on suit les évolutions des corps et des avatars de tableau en tableau, touché à un endroit pas non plus clairement identifiable. Mais le suspense reste entier, du début à la fin, face à cette traversée où pour la première fois (La) Horde composent une pièce en tableaux successifs. Aussi Age of Content  est un essai passionnant sur ce que nous sommes et surtout, ce que seront les générations futures. 

Thomas Hahn

Vu le 19 septembre 2023, Grenoble, MC2  dans le cadre de la 20Biennale de la Danse de Lyon

Vendredi 17 novembre à 21h : Espace des Arts de Chalon-sur-Saône dans le cadre du Festival Transdanses

 

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