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Ouverture de « L’Année commence avec elles » à Pôle-Sud CDCN

Concha, histoires d’écoute par Marcela Santander Corvalán & Hortense Belhôte, suivi d’Une table à soi d’Olga Mesa, où tout part du regard.

La concha est liée à l’oreille, mais peut-elle aussi voir ? La concha est (entre autres) un organe féminin, ici appelé à écouter (et bien sûr à être écouté), par la volonté d’Hortense Belhôte en compagnie de Marcela Santander Corvalán. Et avec Olga Mesa, l’œil prend la forme d’une caméra pour regarder au-delà du champ de vision, alors qu’un grand œil de la providence fut projeté, en pleine séance, sur la concha de Marcela Santander Corvalán ! 

L’Espagnole Olga Mesa et la Chilienne Santander Corvalán partagent non seulement la même langue maternelle, elles se sont en plus retrouvées à Pôle-Sud, à Strasbourg donc, par les bonnes grâces de Joëlle Smadja qui les appela à ouvrir avec leurs spectacles la nouvelle édition du festival L’Année commence avec elles [lire notre article]. Et elles se répondirent avec discernement. En gros, une soirée qui faisait sens, démarrant avec une traversée de l’histoire de l’art sans trop se prendre au sérieux et se terminant en écrivant une histoire de l’œil, tel un passage de la peinture à l’écriture. 

Une « Conque » pour tous

La concha, c’est d‘abord la conque, le coquillage majestueux qui produit son grand bruissement quand on le tient près de son tympan. Mais en espagnol, dans quelques malveillantes tournures machistes du langage quotidien, le mot désigne aussi le vagin. Jouant sur ce double sens, la chorégraphe et Hortense Belhôte – actrice, performeuse et historienne de l’art – revisitent l’histoire de la peinture occidentale en tirant des fils entre les univers et les époques, à partir d’un point de vue féminin. Voix, cloches, prières et citations bibliques nous rappellent les fondements chrétiens d’une tradition picturale et des personnages dans la peinture occidentale, du Triomphe de Galatée (Raphaël) à la Malédiction paternelle de Jean-Baptiste Greuze. 

Galerie photo © Fernanda Tafner

Les deux complices conférencières font valoir leurs propres expériences de vie et d’art, du mouvement civique pour le droit à l’avortement au Chili à Sonia Delaunay et Anna Halprin qui créent à partir de leurs propres corps. Du premier mouvement de cette conférence spectacle (« Le corps écoute ») au cinquième (« Ecoute ta concha ») et son hommage à l’expérience du deep listening selon Pauline Oliveros, le parcours en compagnie des deux performeuses et Gérald Kurdian (à la présence discrète mais souriante et complice à la création sonore), l’expérience est ludique de bout en bout. Jamais didactique, toujours amusante. 

La concha-coquillage peut donc rappeler la vulve, mais aussi l’oreille (démontré en début de spectacle, dessin anatomique à l’appui) et on en déduit que l’appel à écouter avec sa « conque » peut donc s’adresser à tou.t.es, gent masculine incluse. Il suffit d’ouvrir ses sens et à ne pas fermer ses oreilles aux points de vue des femmes. L’humour fin et espiègle de Belhôte et la présence poétique et subtile de Santander Corvalán tissent les fils d’une traversée subjective et enrichissante d’une histoire de l’art, occidentale et donc chrétienne – ce qui veut dire masculine – dans laquelle les femmes revendiquent leur juste place à partir du XXe siècle. Et puis, comment mieux ouvrir L’Année commence avec elles  qu’avec ce tour d’horizon à partir de la concha ?

« Une table à soi »

L’oreille ayant retrouvé son ouverture et sa vocation, il était de bon aloi de poursuivre avec un traité de l’œil et du regard, en accueillant Olga Mesa. La Strasbourgeoise venue d’Espagne n’est pas une inconnue quand il s’agit de mettre le regard au centre d’une investigation scénique. La caméra est son alliée de choix, son porte-regard, son objectif. Dans ce nouveau solo, filmer devient sa façon de s’approprier les choses, l’espace, te temps et elle ne pose quasiment jamais ce troisième œil. 

Mesa se place dans une mise en abîme de ce solo qui documente sa propre éclosion et dit : « J’insiste sur l’acte spontané et militant d’écrire à voix haute, de filmer et de me déplacer avec une caméra à la main. » Et c’est ici la caméra qui fait danser les mains d’une Olga Mesa qui finit par raconter comment, grâce à la webcam, elle faisait danser les mains de sa propre mère, poétesse et écrivaine, pendant le confinement sans pouvoir se rendre chez elle.

Photos © Christoph de Barry / Hans Lucas et Patrick Lambin

Le champ du militantisme étant plus large qu’on ne le pensait, on peut y inclure le fait de se référer à Isadora Duncan, par quelques gestes des bras et des moments d’une nudité sans doute revendicative. Et puis, mesa, c’est bien sûr la table, en espagnol. Mais si ce solo porte le titre Une Table à Soi,la référence va plutôt à Virginia Woolf réclamant Une Chambre à soi(A Room of one’s own), célèbre essai sur la création littéraire par les femmes, où A Room…  peut aussi bien désigner un espace mental ou un espace qu’on se construit, comme Mesa dans Une table à soi, alors que les tables installées sur le plateau sont de dimensions modestes. Ce n’est pas le meuble qui est important, mais l’espace et le titre espagnol, Une mesa propia,autrement dit : Une Olga à soi, grâce à un acte de réappropriation de son existence, de son œuvre et de l’instant vécu face au public. 

D’où le fait qu’on ne voit ni un spectacle en soi, ni un film, mais le making of d’un film expérimental à imaginer. Avec elle. Et on entend son dialogue avec sa mère où s’esquisse leur Danse de mains, sans voir la mère ni la danse, car tout cela a lieu hors champ : Fuera de campo, ce qui est, non par hasard, le nom de la compagnie fondée par Olga Mesa et l’artiste multimédia Francisco Ruiz de Infante. 

Thomas Hahn

Spectacles vus le 11 janvier 2024, Strasbourg, Pôle-Sud CDCN

Une Table à soi (Danse de mains)

Conception, chorégraphie, direction scénique et des tournages, textes et interprétation : Olga Mesa
Régie générale, assistante dispositif scénique, montage et régie vidéo : Marta Blanco Rodriguez
Spatialisation, bruitage et régie son : Frédéric Apffel
Régie lumières plateau : Mathieu Lionello
Conseil dispositif audiovisuel : Francisco Ruiz de Infante
Conseil dramaturgique : Roberto Fratini Serafide
Regard extérieur : Irène Filiberti

Concha, histoires d’écoute

Conception : Hortense Belhôte et Marcela Santander Corvalán
Interprétation : Hortense Belhôte, Gérald Kurdian et Marcela Santander Corvalán
Collaboration artistique et Création sonore : Gérald Kurdian
Création lumière : Antoine Crochemore

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