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« Nos Corps vivants » d 'Arthur Perole

Comme on s'émancipe, comme on s'extirpe d'une gangue, par un lent processus qui suppose obstination et longueur de vue, Arthur Perole s'assume lui-même et ce solo, la pièce la plus singulière de son parcours, vaut autant rappel des épisodes précédents que désignation d'un cap. Nos Corps vivants dit la liberté acquise et encore à conquérir, l'affirmation de soi, jusqu’à sa vérité et même par l'artifice. 

Parfois, en voyant une œuvre, je regrette de ne pouvoir revoir celle qui précédait dans le parcours du chorégraphe tant il me semble que les deux s'éclaireraient… Mais il est déjà rare de voir plusieurs représentations d'une seule pièce, alors une rétrospective ! Ainsi, après Nos Corps vivants, la création 2021 d'Arthur Perole, j'aurais aimer revoir Ballroom (2020) : cette fête décadente et crépusculaire, style YMCA (le tube disco) et carnaval de zoulous urbains, me semblait constituer une manière de contexte général dans lequel le solo Nos Corps Vivants pourrait s’insérer. Ou plus exactement en constituerait une sorte de codicille.

Après la folie de la fête, un espace aurait été laissé libre, avec un petit podium de deux mètres sur deux où on retrouverait Arthur Perole, le vrai, qui viendrait nous parler de nos corps vivant, à commencer par le sien. Parce que ce solo est une naissance, un de ces moment où l'artiste se dépouille du vieil homme pour être lui-même et peu importe qu’il apparaisse comme la Grande Zaza -la vraie, celle de Monsieur Serrault lui-même dans la pièce et non le film, perdue au milieu d'un symposium d’installateur de cuisine.

Longtemps, et pour être honnête, cela m'agaçait au plus haut point et me donnait envie de le secouer jusqu'à ce qu'il se reprenne, Arthur Perole a voulu endosser le costume du meilleur de la classe (le CNSMDP en l'occurrence). Cela sonnait totalement faux, comme le crissement d'un ongle sur un tableau noir (les plus vieux comprendront, pour les autres, n'essayez pas sur une tablette, cela ne fait rien). A vouloir copier les autres en niant son corps, Perole se-nous mentait et cela se voyait.

Ici, tout est faux : la couleur des cheveux, le contexte, le play-back, mais Arthur Perole est parfaitement vrai dans cette dérive rêvée de Dalida chez les zazous. Arthur Perole est vrai dans le faux, comme le Tristan Corbière des Amours Jaunes « Ne fut quelqu'un, ni quelque chose/ Son naturel était la pose. /Pas poseur, - posant pour l'unique ; » (Epitaphe) et ce solo, jeté comme s’il s'improvisait à l'instant, vaut pour une confession en forme de pied de nez. Il est cependant difficile d’imaginer ce que proposerait la pièce dans un contexte normal. Dans la configuration présente, la salle, avec l’ordonnancement précis des quelques chaises éloignées réglementairement pour respecter la distanciation sociale, impose une rigueur que la danse va contester. On se prend à lire le propos d’Arthur Perole comme l’expression d'une rébellion qui ne vient peut-être que de mon propre désir de lire cette révolte. Mais cette disposition, avec un carré surélevé de quelques centimètre au centre, la régie d'un côté, la table où officie en direct le musicien (Marcos Vivaldi) de l'autre, façonne un espace qui tend à abolir la distance entre le danseur et ceux qui le regardent, même si ce n'est pas son intention, comme une manière de protester contre l'ordre, sanitaire, en l'occurrence. D'autant que la structure elle-même, un peu foutraque, s'organise autour d'une longue variation à la gestuelle très fluide, relâchée et généreuse mais contrainte par les dimensions du carré, organisée sur un changement de frontalité qui évolue par quart (et donc très maîtrisée )…

Reste qu'Arthur Perole y assume son corps, sa dérive, son excès. Avant ce passage, des lectures de textes ; après des courses, le play-back de « Message Personnel » où le danseur se joue en Françoise Hardy version Madame Arthur : tout bouscule les cadres, les convenances, le bon goût. Tout assume une liberté certes en toc mais qui transpire la sincérité tant « Etre naturel est aussi une pose, et la plus irritante que je connaisse » tranchait Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray. Figure qui conviendrait bien à cet Arthur Perole qui mériterait que cela soit une critique si ceci avait été un spectacle.

Philippe Verrièle

Vu le 09 février 2021 à la Panopée/Théâtre de Vanves dans le cadre du festival Faits d’Hiver. 

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