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« miramar » de Christian Rizzo

Le nouvel opus du directeur du CCN de Montpellier : Danser la paix en temps de guerre. 

« Ils sont appelés par quelque chose, au-delà de l’horizon », dit Christian Rizzo. « Ils », ce sont les dix personnes, voire onze, qui se retrouvent dans une obscurité éclairée par une lumière blafarde. Une lune imaginaire passe par des nuages imaginaires, au-dessus d’une plage imaginaire. Au départ il s’agissait pour Rizzo d’affirmer son attachement à la contemplation de l’océan et des vagues, avec une ligne d’horizon en fond de scène. L’horizon incarne des promesses d’un monde nouveau, différent, meilleur. Mais il permet aussi la rencontre avec soi-même, par la méditation face à la mer. 

Cette plage symbolique dont il est question, Christian Rizzo l’a voulue comme un « lieu de paix », pour l’ultime épisode d’une trilogie qu’il avait commencée en 2019 avec une maison, un rite contemporain pour une bande d’amis et leur adieu à une personne défunte, donnant lieu à une rencontre dansée avec des fantômes [lire notre critique]. Ensuite, il a été question d’un autre genre de revenant, autrement dit, d’un retour sur les lieux, lieux d’une vie antérieure mais antérieure seulement aux yeux de la personne concernée. Retour à la montagne, lieu de départ d’une existence : le solo En son lieu pour Nicolas Fayol [lire notre critique] a continué cette politique d’apaisement de conflits possibles mais non avérés. 

Désirs d’horizons

Au moment de créer en son lieu, Rizzo écrivit : «J’ai le désir de paysages naturels. La montagne, avec son horizon dessiné par des crêtes. La mer, avec son horizon ouvert, aligné, tiraillé entre l’élément minéral et l’élément aquatique. La forêt, enfin, un environnement presque clos, dont l’horizon s’absente, se dérobe de par la profusion du végétal. » La fonction du rivage est ici de dégager l’horizon et sa ligne courbe qui nous rappelle notre condition humaine en tant qu’habitants surprise de l’univers. 

Aussi une ligne d’horizon permet de voir plus large, de penser plus loin, de méditer plus pur. Mais ce troisième « lieu de paix » voulu par Rizzo n’est plus. Car désormais, derrière l’horizon, c’est la guerre. La première de miramar  eut lieu à l’Opéra de Lille, au 10jour de l’invasion de l’Ukraine par l’armée de Poutine. Et Rizzo de s’expliquer sur ses choix, lors d’une rencontre avec le public : L’horizon étant obscurci, noirci par la guerre, la perspective d’une vie meilleure s’est refermée sur elle-même et s’est transformée en un gouffre noir. Impossible de prévoir quels seront les effets de cette guerre sur les arts et la création chorégraphique, mais il est évident qu’ils seront intenses. miramar  n’est que le début…

Suspensions nocturnes

L’ambiance est donc nocturne, ce qui rend le titre de miramar quelque peu paradoxal. Mais l’obscurité était déjà fondamentale dans une maison. Où un groupe d’amis dansait autour d’un tas de terreau et sous une coupole faite de barres de LED, articulées selon le principe de la triangulation de Delaunay, fusion architecturale entre Rizzo en sa fonction de scénographe (il vient des arts plastiques, entre autres) et sa créatrice lumières, Caty Olive. Les cieux de miramar  sont à leur tour occupés par une structure en suspension qui porte un système d’éclairage mobile, projetant un champ lumineux lunaire qui se déplace sans cesse, telle une scénographie en mouvement. 

Au sol, un groupe de dix danseurs se saisit brusquement de l’espace, croisant les derniers pas d’un solo aérien d’une soliste annonciatrice (Vania Vaneau), légère, frêle et agile, qui fait voler ses bras et ses cheveux telle une toupie, mais fait aussi parler son dos d’une manière particulièrement plastique. Ce qui est vrai aussi pour le groupe. Rizzo accorde ici une attention particulière à cette partie du corps et lui donne un rôle actif dans le lien qui s’établit entre les personnages. Dans l’obscurité de miramar, leurs présences composent une symphonie des corps, portée par les sons de Gerome Nox qui semblent émerger des profondeurs de la mer ou d’au-delà de l’horizon. 

La nuit, la fête ?

On peut au premier abord se questionner au sujet d’une chorégraphie qui, relevant plutôt du côté mathématique et scénographique de Rizzo, semble se répéter sans but et se perdre dans la nuit. Mais l’ensemble persiste et signe, et embarque le spectateur dans son monde intérieur. Plus que jamais Rizzo se montre maître dans l’art de suspendre les présences, les corps et l’espace. Ici, les danseurs sortent et reviennent telles des vagues au ralenti, telles les gouttes d’une houle microscopique, alors que parfois, une lumière furtive éclaire le fond, pouvant plonger dans son contre-jour quatre silhouettes dansant une sorte de sirtaki dont les pas s’étirent dans le temps.  

Si miramar  frotte les limites, voire les envies de disparition, la balade nocturne se termine sur une apparition carnavalesque, arrivant de l’autre côté de l’horizon. Portant un énorme étendard doré, la créature est mystérieuse et festive à la fois, apaisante et scintillante. La promesse incarnée. Et accompagnée d’un message. «Je te vois » lit-on, blanc sur noir, tagué sur le mur, au lointain. Nous autres spectateurs avons vu les danseurs tels des spectres, rarement identifiables à l’œil nu. Et pourtant il y a parmi eux des chorégraphes-interprètes très confirmés comme Pep Guarrigues, Harris Gkekas, Youness Aboulakoul ou justement, Vania Vaneau. Ils nous ont bercés, plus qu’ils ne se sont imposés en point de mire. « J’aime que spectateurs et danseurs regardent dans la même direction », dit Rizzo. Et en ces temps où tout être a le regard tourné vers un horizon qui s’obscurcit, miramar offre un espace de respiration très appréciable. 

Thomas Hahn

Vu à l’Opéra de Lille, le 5 mars 2022

Au Centquatre-Paris, festival Séquence Danse, du 11 au 14 avril 2022

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