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Le Temps d’aimer : « Fuga ! » de Pantxika Telleria

Trois hommes s’amusent en se perdant dans une forêt, sur les pas des mutxiko (sauts basques) qui s’enfuient, eux aussi. 

Le festival Le Temps d’aimer a forgé beaucoup de traditions, dont celle de réunir les festivaliers à la plage, le dimanche matin, autour de la giga-barre. Ça en est une autre de présenter des spectacles qui travaillent à partir de formes traditionnelles, qu’il s’agisse de flamenco, de danse baroque ou de ballet. Et on y trouve aussi, de plus en plus, des créations à partir des danses urbaines. En ce sens, Le Temps d’aimer n’est pas un rendez-vous autour de la danse contemporaine – laquelle se défend pourtant bien à l’intérieur de la programmation – mais une manifestation universaliste autour de l’art chorégraphique.

Et bien sûr, on n’imagine pas ce festival sans la présence des danses basques, parfois dans leur forme pure et traditionnelle, mais le plus souvent revues par des chorégraphes contemporains du Pays Basque. Ceux-là sont légion, mais rarement invités à se produire hors de la région, même si on sent un gain d’intérêt, par exemple pour la troupe de Kukai Dantza qui positionne la danse basque sur le terrain de la recherche contemporaine, troupe dont le fondateur Jon Maya est aujourd’hui artiste associé au Malandain Ballet Biarritz, et présent cette année au festival avec deux spectacles. L’importance croissante du Temps d’aimer dans le paysage chorégraphique peut nourrir quelques espoirs chez les chorégraphes liés aux danses basques de se trouver, progressivement, sous des projecteurs plus éclairants. 

Au Temps d’aimer, on a pu suivre, au fil des ans, une chorégraphe originaire de Saint-Jean-de-Luz et formée au CNSMDP de Paris : Pantxika Telleria, fondatrice de la compagnie EliralE. Dès son enfance, elle a été plongée dans l’univers des danses basques. Mais elle sait s’en éloigner sur toute la ligne, comme si elle créait des ponts entre le Pays Basque et Paris. De cette tradition populaire, elle multiplie les fugues vers la danse contemporaine, sans perdre le fil. Mais elle peut nous inviter à nous perdre à notre tour entre les fils tendus, cordes élastiques qui composent une forêt visuelle sur le plateau. 

Galerie photo © Stéphane Bellocq

Fuga !  est un trio sylvestre à l’image des fugues artistiques de Telleria. Trois hommes croisent leurs pas et leurs bras à l’intérieur de la trame verticale qui transforme l’espace en labyrinthe. Il fait nuit et les trois fugitifs dansent leurs rondes, sautent comme lors d’un bal traditionnel, forment un cercle… Mais les sources et racines basques, avec leur lien à la nature, laissent toute liberté, tout loisir à Cyril Geeroms, Oihan Indart et Yutaka Takei de répondre à la part transculturelle en eux, à ne citer que Takei qui a dansé dans les compagnies de Carolyn Carlson, Raimund Hoghe et Karine Saporta, tout en retrouvant régulièrement les chemins créatifs de Telleria. 

La tradition est un tremplin et les sauts traditionnels basques, les mutxiko, ont tout pour lier les époques et les univers. Ne sont-ils pas des contributeurs historiques à l’avènement du ballet classique ? Bruno Benne, qui présenta au festival sa création Rapides, en réclama autant pour la danse baroque et a bien sûr raison. Mais il ne faudra pas faire l’impasse sur les pas des Basques bondissants, surtout pas en Pays Basque. 

Dans Fuga ! de Pantxika Tellerai, les pas de Basques s’offrent une fugue progressive, pour laisser toute sa place au jeu complice entre les trois explorateurs nocturnes, jeu sans tensions et en grande douceur. On peut s’interroger, par rapport à la tradition, sur la composition masculine de ce trio car les bals, tel qu’ils semblent avoir inspiré Fugue !, sont un plaisir fondé sur la mixité des genres. 

Mais la démarche de Telleria apporte un contraste intéressant, puisque la clémence des gestes, si elle était ici portée par des femmes, argumenterait en faveur des stéréotypes des genres. C’est tout l’intérêt de Fuga ! de voir Telleria contredire ces assignations, et ce de vive allure à partir d’images de corps (de pieds, surtout) ancrées dans la tradition. N’en déplaise au public qui aurait voulu faire l’expérience d’un lien avec la tradition en passant par des ficelles plus visibles, on aime se perdre dans la fugue artistique de Telleria, accompagnée sur scène par Romain Baudoin qui fait sonner avec beaucoup d’élégance sa vielle à roue historique, toute aussi intrigante car affublée d’un cou de guitare électrique. La tradition peut rendre sacrément inventeur !

Thomas Hahn

Le Temps d’aimer la danse  #33, Biarritz, Théâtre du Colisée, le 12 septembre 2023

Fuga !  

Chorégraphie : Pantxika Telleria
Interprètes : Cyril Geeroms, Oihan Indart, Yutaka Takei
Conception musicale et interprétation live :  Romain Baudoin
Costumes : Dorothée Laurent
Scénographie Thomas Tillous
Lumières Javi Ulla

 
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