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La Manufacture CDCN : Une saison très éclectique

Coup de projecteur sur la saison 23/24 à La Manufacture, La Chapelle St-Vincent et ailleurs. 

Dans notre entretien exclusif, les directeurs du CDCN de la région Nouvelle-Aquitaine, Stephan Lauret et Lise Saladin, exposent les principes de la programmation 2023/24. Un parcours riche en retrouvailles, découvertes et sensations, avec Anne Nguyen comme nouvelle artiste associée. 

Danser Canal Historique : Sur quels principes avez-vous construit la programmation de la saison 2023/24 ? 

Lise Saladin : Pour parler de manière globale de notre état d’esprit, La Manufacture CDCN propose une diversité des esthétiques et est attachée à l’égalité femmes-hommes en termes d’accueil comme de production.

Stephan Lauret : Il nous importe d’explorer tout le prisme de ce que l’art chorégraphique propose aujourd’hui. On essaye de toucher un public le plus large possible et on travaille avec beaucoup de partenaires qui sont très différents. Ça va de l’Opéra de Bordeaux à des opérateurs et centres culturels dans de petites villes assez éloignées qui reçoivent peu de spectacles de danse. Aussi nous délocalisons la danse à la recherche de nouveaux publics et nous présentons parfois des spectacles dans des lieux non dédiés, également en extérieur.

Lise Saladin : Mais on ne le fait pas pour suivre la tendance, qui existe actuellement, d’une diffusion atypique de la danse. Il faut que la demande vienne de nos partenaires, dans l’idée d’une démarche partagée et une vraie intention artistique. La démarche doit s’inscrire dans une action partagée, en étant très attentifs aux territoires, puisque que différents publics n’ont pas les mêmes attentes. Nous le savons très bien pour vivre la différence entre la Manufacture à Bordeaux et la Chapelle Saint-Vincent à La Rochelle. Ce ne sont pas les mêmes environnements culturels. 

DCH : Quelles sont donc les différences entre vos programmations à Bordeaux et La Rochelle ? 

Stephan Lauret   : Déjà, une différence dans le rythme qui est plus intense à La Manufacture, puisque que ce lieu privilégie la diffusion. A La Rochelle, où la Chapelle peut accueillir un peu de public mais n’est pas vraiment équipée pour les spectacles, l’accent est mis sur la recherche, les résidences et l’exploration des écritures chorégraphiques. 

Lise Saladin : Nous avons ainsi une circulation des œuvres sur le territoire de la région Nouvelle Aquitaine, puisque les recherches menées à La Rochelle peuvent ensuite être présentées à La Manufacture et chez nos partenaires. Nous avons toujours fait le pari d’avoir une dizaine voire une douzaine de projets en création au cours d’une année, et d’avoir une diffusion soutenue à l’année. Par contre, nous n’organisons pas de festival – mis à part le festival Pouce ! qui s’adresse aux jeunes spectateurs – pour réagir plutôt aux festivals de nos partenaires, dont le FAB – Festival des Arts de Bordeaux. En octobre 2023, nous allons ouvrir notre saison en accueillant deux pièces dans ce cadre : Blast de Ruth Childs (lire notre critique) et Giselle de François Gremaud.

Et en même temps, nous accueillons Näss de Fouad Boussouf (lire notre critique) au Centre Culturel de Langon, l’un de nos partenaires, et plus tard sa pièce Oumà La Manufacture. Vous voyez donc déjà le caractère très éclectique des propositions. Et on continue la programmation dans le cadre de notre partenariat de longue date avec le TNBA, le Théâtre National de Bordeaux Aquitaine, avec Requiem de Béatrice Massin (lire notre critique). Donc déjà, en ouverture, on a une traversée de formats et cultures chorégraphiques très différents. 

DCH : Vous allez intégrer Anne Nguyen comme nouvelle artiste associée. 

Lise Saladin : En effet, à partir de la saison 23/24, Anne Nguyen sera notre nouvelle artiste associée et son arrivée va être un élément structurant de la saison à venir car chez nous l’artiste s’engage de son côté auprès du lieu et de nos publics. On continuera cette première partie de la saison avec Anne Nguyen et sa pièce Matière première, créée dans le cadre de la Biennale du Val de Marne. Elle est dans une phase de sa recherche où elle revisite les danses dites « afro » dans leur rapport aux danses urbaines, dans l’idée – et il y a actuellement un grand débat autour de la question – que les danses du continent africain sont venues se réinscrire dans ce que sont aujourd‘hui les danses urbaines. C’est la question des racines africaines de ces danses nées en Occident. Elle s’en saisit en reconstruisant toujours un geste extrêmement fort et précis. 

Stephan Lauret  : Nous aimons aussi son approche très politique de la musique, très ancrée dans les musiques populaires, ce qui est intéressant aussi pour entrer en contact avec des publics différents. Elle a aussi un projet sur le territoire, pour aller à la rencontre des cultures des uns et des autres et bâtir un projet artistique à partir de ces rencontres. Si ce type d’accueil existe dans tous les CDCN et CCN, nous avons une relation toute particulière avec un collectif d’artistes, La Tierce, qui est en compagnonnage depuis sept ans. Ce qui est original dans cette relation c’est qu’elle a eu un début, mais pas de fin programmée. Par contre, il n’y a pas de financement propre, mais nous sommes au plus proche de la compagnie en ce qui concerne la production, la diffusion et la recherche, quelle que soit la forme de leurs projets. [lire notre interview]

DCH : On peut donc continuer avec la partie 2024 de la nouvelle saison. 

Stephan Lauret : En début d’année nous croiserons les pas du festival Trente Trente et nous allons accueillir deux propositions intimes. D’abord, la Belge Femke Gyselinck avec sa pièce Erato, une « bébé Keersmaeker » d’une certaine manière. Elle revisite un univers musical très funk et réinvente une rythmique corporelle autour de ces musiques. Et un autre solo par Gaston Core qui réinvente les codes des danses urbaines, en collaboration avec Aina Alegre. C’est très épuré. Ensuite, comme nous avons une attention particulière pour les écritures pluridisciplinaires, nous allons accueillir Chloé Moglia et le duo Georges Appaix-Carlotta Sagna avec Post Scriptum.

DCH : Le festival Pouce ! pour le jeune public comme l’unique festival « maison » indique que vous portez une attention particulière au renouvellement de votre public. 

Stephan Lauret  : Notre public a une moyenne d’âge de 35 ans, c’est relativement jeune et on a un joli équilibre générationnel. Et que ce soit la programmation pour les adultes ou celle pour la jeunesse, on met au centre des artistes qui abordent les questions qui reflètent l’état de notre société comme l’écologie et le genre. 

Lise Saladin : Pour la 13édition de Pouce !, formes pour l’enfance et la jeunesse on va accueillir une petite dizaine de pièces. Nous proposons de petites tournées chez nos partenaires ou des séries à La Manufacture. Dans le cadre du festival, nous présentons entre autres : 

P.I.E.D de Bérénice Legrand, un jeu autour de cette partie du corps, Temps de baleines de Jonas Chéreau, qu’on va présenter sur l’ile d’Oléron. La nouvelle création de Marc Lacourt dont nous avons accueilli toutes pièces. Valse avec W… est sa première grande forme, une pièce pour quatre interprètes, où il part du rapport à l’art préhistorique. 

Antony Egéa, avec un duo autour de la question du jeu entre deux grands enfants et La Compagnie Bilaka qui réinvente la danse basque et travaille ici sur les figures mythologies. Enfin, Silent Legacy de Maud Le Pladec (lire notre critique), avec la très jeune krumpeuse québécoise Adeline Kerry Cruz.

DCH : Les danses urbaines restent donc présentes dans la seconde partie de la saison ? 

Stephan Lauret  : Tout à fait. Nous programmons Underdogs d’Anne Nguyen : Ce sont les délaissés. Elle observe nos réactions face à ces personnes laissées-pour-compte. Il y a aussi là un rapport à la musique des années 1960/70, dont le label Motown. C’est assez joyeux et communicatif face à la thématique assez lourde de la pièce. Le résultat est assez direct et ouvert.

Lise Saladin : Après avoir présenté pratiquement toutes les créations précédentes de Leïla Ka, nous coproduisons et accueillons sa nouvelle pièce Maldonne, pour cinq femmes qui parlent de ce vêtement qu’est la robe. Elles partent de gestuelles de l’archétype féminin pour créer une danse très articulée, extrêmement pointue et précise. Et puis, dans le cadre du festival Chahuts, on accueille Portraits fantômes de Michaël Phelippeau où il investit pendant deux jours l’appartement d’une personne qui a bien voulu nous le prêter, pour en dresser le portrait sans le ou la connaître. 

DCH : Les questionnements autour de l’identité sont donc également très présents. 

Lise Saladin : D’autant plus que nous accueillons aussi Soraya Thomas, une chorégraphe installée à l’ile de La Réunion qui est venue deux fois déjà. Et en 2024 elle viendra travailler sur sa pièce Souffle  et sans doute aussi sur la suivante, Les Jupes. Nous sommes en lien avec L’Alambic, une structure à Saint-Pierre de La Réunion. Souffle  est un travail sur la communauté et les tempêtes qui nous bousculent. Elle a observé les gens face aux cyclones : Comment se regroupent-ils et resserrent leurs liens ? Nous nous sommes coordonnés avec certains de nos partenaires, dont l’Opéra de Limoges et l’Odyssée à Périgueux, pour lui permettre de travailler pendant un mois et demi sur notre territoire. Elle travaillera en même temps sur tout un programme d’éducation artistique et culturelle. 

Stephan Lauret  : Dans le cadre de notre partenariat avec les PSO, Petites Scène Ouvertes, nous présentons For You / Not for you  de Solène Wachter. Nous avons découvert cette chorégraphe en tant qu’interprète dans Infini  de Boris Charmatz et elle propose ici un dispositif qu’elle manipule en bi-frontal où le public ne voit pas tout à fait la même chose et donc la même pièce. Ce sera présenté à la Chapelle. C’est aussi original que Cocœur  de la compagnie La Grive qui nous parle du muscle cardiaque avec son rythme à travers une gestuelle développée à partir de là, autant que des aspects émotionnels, symboliques, voire spirituels.

Lise Saladin : Deux autres formats tissent des liens avec la recherche. La conférence dansée de Hortense Belhôte, performeuse plutôt issue du champ théâtral, traverse l’histoire de l’art et en particulier celle de la performance, à l’aune de ses figures féminines. C’est aussi loufoque que pointu. On propose ça à l’université de Bordeaux, en collaboration avec leur service culturel. Et on vous invite à découvrir Luísa Saraiva, une Portugaise que nous avons rencontrée via le Teatro Municipal de Porto avec lequel nous travaillons en partenariat. Elle est une artiste véritablement pluridisciplinaire, avec un rapport au corps très puissant. Mais elle travaille la voix et la musique comme une musicienne, tout en développant un travail plastique. Le gouvernement portugais la soutient en tant que plasticienne et le théâtre de Porto en tant que chorégraphe et l’Allemagne pour la musique ! Elle présente un travail sur les chants traditionnels espagnols et portugais qui ont subi la répression par Franco et Salazar, démontrant comment ces chants ont été balayés. Le titre, Bocarra, signifie « grande gueule » en portugais. Elle sera en résidence à la Chapelle et on donnera la pièce en mai 2024 à La Manufacture. 

DCH : Quelles sont les perspectives pour le CDCN au-delà de la saison qui commence ? 

Stephan Lauret Il y aura une rénovation totale de La Manufacture. Le financement a été validé. C’est une opération qui va être menée par la ville de Bordeaux et financée également par le Ministère de la Culture, la région Nouvelle Aquitaine et le département Gironde. Les travaux devront débuter dans les premiers mois de 2025 et le projet devra être achevé en 2026. Le budget : entre 10 et 12 millions d’euros. Ça va concerner la totalité du bâtiment, donc plus de 2000 m2 qui sont à rénover. On va refaire la scène, augmenter la jauge et créer un deuxième studio de danse pour avoir un studio de création supplémentaire. 

Lise Saladin : Pendant la période de travaux nous programmerons donc encore plus de spectacles chez nos partenaires, et ils en sont d’ores et déjà très contents ! 

DCH : De notre côté on vous remercie de ne pas céder à la tendance générale de proposer partout des spectacles en lien avec le sport et les Jeux Olympiques ! 

Stephan Lauret : En effet, nous ne programmons pas de pièces en lien ni avec le rugby ni avec l’athlétisme ni autre événement sportif. Même si artistiquement de tels spectacles peuvent être tout à fait intéressants…

Propos recueillis par Thomas Hahn, mai 2023

La programmation complète 

Présentation de la saison 2023/24 : 3 octobre à 18h30 - Chapelle Saint-Vincent , La Rochelle - Entrée gratuite sur réservation 

Image de preview : Underdogs - Anne Nguyen © Patrick Berger

 

 

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