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Immersion Danse à Vélizy : L’Onde qui vient de loin

D’une facture particulièrement onirique, les propositions de l’édition 2023 questionnent notre rapport à l’inconscient, au passé et au futur. 

Partir d’un pays pour s’installer dans un autre, quitter un corps pour en retrouver un autre… Chercher en soi les traces laissées par des histoires familiales sur des générations entières… Retrouver les fragments de la grande histoire entre ses petites histoires personnelles ou bien identifier les traces laissées dans un corps de danseur vieillissant pour les confronter aux bouleversements de l’adolescence… 

Voilà quelques-uns des cheminements intérieurs qui innervent la nouvelle édition d’Immersion Danse, festival qui inonde chaque année L’Onde de Vélizy-Villacoublay. Aussi s’ouvre cette fois tout un réseau de voies pour creuser en soi-même et en son corps les traces des césures et autres traumatismes qui peuvent marquer le cours d’une vie et parfois infiltrer, insidieusement, les générations futures d’une lignée familiale. 

Reconstruction et reconquête

Dès son ouverture, Immersion 2023 affiche sa volonté d’enquêter sur nos divers modes et états mémoriels, avec une soirée partagée entre les créations de Wanjiru Kamuyu et Gaëlle Bourges. Les deux chorégraphes s’emparent, chacune à sa façon, des lambeaux du passé qui occupent le territoire mental et parfois celui du corps, tout en se dissimulant derrière l’envie de vivre au quotidien. Si Kamuyu, artiste associée à L’Onde, plonge dans sa propre histoire familiale comme si on lisait un roman faisant le récit des grands déplacements, Bourges aborde les souvenirs d’enfance et les traumatismes de ses sept interprètes à la manière du roman de W.G. Sebald (1) dont le protagoniste – il se nomme Austerlitz – remonte le fil de l’histoire à travers ses propres souvenirs, affrontant ses souvenirs enfouis pour tenter une reconstruction intérieure. 

Kamuyu, fille d’une mère afro-américaine, est chez elle autant au Kenya qu’aux Etats-Unis. Mais elle vit aujourd‘hui en France. Elle a questionné cette double, voire triple identité dans son solo An Immigrant’s Story  et poursuit son enquête avec Fragmented Shadows. Suite à une résidence aux Etats-Unis, dédiée aux recherches sur les traces de sa mère africaine et américaine, elle s’intéresse à ce que le corps garde en lui en matière de signes et de souvenirs enfouis : « Les histoires sont imprimées dans nos corps, qui sont, à l’image d’une bibliothèque d’archives, des espaces de stockage pour nos histoires, qu’elles soient douloureuses ou joyeuses. Comment pouvons-nous utiliser le corps comme espace de libération ? » Car c’est bien de cela qu’il s’agit pour elle : « Se libérer de l’enchevêtrement des histoires héritées » et « reconquérir nos récits de vie ». 

Générations et âges de la vie

A toutes ces mémoires inconscientes s’ajoute, chez le danseur, celle du corps. Une mémoire professionnelle, en quelque sorte, que Fabrice Ramalingom met en évidence en provoquant la rencontre entre deux hommes, deux danseurs, deux générations. D’une part Jean Rochereau, emblématique interprète de l’époque fondatrice de la nouvelle danse française. En 1972 il fut engagé par Jean Babilée au Ballet du Rhin et deux ans plus tard chez Béjart, avant de rejoindre Dominique Bagouet. En lui, en son corps est donc inscrite une belle part de l’histoire de la danse. D’autre part, Hughes Rondepierre. « Ce jeune homme, d’à peine 23 ans, est sidérant. Il transpire la liberté. Il entre dans la vie avec confiance », dit de lui Ramalingom, non pour la première fois son chorégraphe. 

Et puis, dans la même soirée, débarque la grande vedette madrilène, l’incontournable Marcos Morau. On vient tout juste de découvrir sa version,  pour un public adulte, de La Belle au bois dormant, et le voici avec Firmamento, où  pour la première fois, il s’adresse avec une création au public jeune et adolescent. En tout cas, il plonge dans leur univers, peuplé d’avatars et d’autres sphères où se mélangent le réel et le virtuel. C’est plein de symboles de notre monde, de références scientifiques, de rêves et de technologie. Pour Morau, c’est un saut à la fois vers sa propre jeunesse et vers l’avenir. 

Rythmes

En guise de conclusion, Lotus Eddé Khouri et Christophe Macé, bien connus sous leur nom de duo d’artistes qui les désigne comme Structure-Couple, vont s’asseoir sur deux chaises, écouter le « presto » de L’Été  des Quatre saisons  d’Antonio Vivaldi avec ses cordes frottées, pour le réinventer en se frottant, main par main, aux structures, au vent, au temps et aux tempos. Voilà exactement ce qu’on attend d’un ballet des mains, sans forcément s’attendre à une rencontre avec Vivaldi. Bien joué donc, et pour finir en beauté, Jann Gallois invite à une block party. Kesako ? Le block anglo-américain désigne un pâté de maisons dans un quartier donné, où soul, rap ou funk peuvent animer les rues. Tout le monde peut venir, voisins ou non. Cette fois c’est vous qui dansez, même si vous n’avez que trois ans ou déjà cent-trois… Quand le Hip Hop émergeait dans les ghettos américains, la block party était l’apanage de la jeunesse. Ici elle est ouverte à tous. Et ça, ce n’est pas old school, c’est faire bloc en dansant. 

Thomas Hahn

1) W.G. Sebald, Austerlitz, 2001

Immersion Danse du 9 au 17 novembre 2023

L’Onde, Théâtre Centre d’Art à Vélizy-Villacoublay

Image de preview : "Firmamento" - Marcos Mauro © La Veronal

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