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Groupe Grenade « D’Est en Ouest »

L’excellence des jeunes danseurs de Josette Baïz se confirme, en dansant Crystal Pite, Akram Khan, Eun-me Ahn et autres. Un bain de jouvence !

Il est désormais inutile de faire l’éloge des soirées composées d’extraits du répertoire contemporain, conçues par Josette Baïz pour les jeunes du Groupe Grenade ou les professionnels de la compagnie. Depuis un bon moment, ces programmes passent régulièrement dans les lieux les plus prestigieux. L’idée-même a surgi au moment où Grenade fêta ses vingt ans en 2011, avec un programme Preljocaj / Bel / Gallotta / Decouflé / Maillot / Kelemenis.

Depuis, plusieurs programmes mixtes ont vu le jour et chacun a été placé sous un thème: Pour la compagnie professionnelle, c’étaient les écritures au féminin dans Welcome (2014) et les variations sur l’amour dans Amor (2017). Pour les jeunes du Groupe Grenade, Baïz a créé Guests, dans deux versions (2014 et 2015), la seconde incluant une création de Lucinda Childs. Ces programmes ont confronté les jeunes interprètes aux énormes contrastes entre les univers d’une Trisha Brown et d’un Hofesh Shechter ou encore entre ceux de Dominique Bagouet et Emanuel Gat. Ce fut aussi un voyage dans l’histoire de la danse contemporaine, sous le regard de la création actuelle.

Energies tribales

Créé au Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence) et coproduit par le Théâtre de la Ville, D’Est en Ouest ne dévoile son vrai sujet qu’au fil des extraits. Le titre indique certes la direction, mais c’est la dimension tellurique de ces danses et leurs racines qui sont ici le véritable sujet.. Certes, on passe de  l’Australie (Lucy Guerin) au Canada (Crystal Pite), en croisant sur la route la Corée du Sud (Eun-me Ahn), le Bangladesh (Akram Khan), Israël (Barak Marshall) et la Belgique (Wim Vandekeybus). Mais la dramaturgie de la soirée ne suit pas le fil géographique, mais une inspiration énergétique. Sinon, on aurait très bien pu croiser sur cette route des écritures très différentes (Yasmeen Godder en Israël, De Keersmaeker en Belgique, Songsoo Ahn en Corée...).

Les choix opérés par Baïz sont galvanisants. Ce qui fait la force phénoménale d’Est en Ouest est d’avoir trouvé un lien énergétique fort entre tous ces univers, d’Eun-me Ahn à Lucy Guerin, en mettant le curseur sur une énergie tribale débordante, sur l’hymne à la vie, à la fête et à la révolte. Le collectif puise son énergie dans la terre et se laisse pousser par des rythmes liés à la fête et aux rites.

Khan, Marshall et Guerin font monter les enjeux entre explosivité du geste personnel et unissons. Cette tension soude les danseurs, mais aussi les univers. D’un bout à l’autre de la planète, la danse contemporaine puise dans les racines des communautés. C’est irrésistible. Sur le plateau se succèdent la fougue juvénile des plus jeunes et la maturité des plus âgés, créant une fusion avec la salle comme on en voit rarement en danse contemporaine.

Clubbing coréen

D’Est en Ouest commence par un clubbing coréen par les plus jeunes (9-13 ans), en tenues scintillantes déployant un déluge de couleurs sur des rythmes pulsionnels et doux à la fois. On marche comme des modèles en défilé ou bien à quatre pattes, les fesses en l’air. Parmi ces jeunes-là, il y a déjà certains miracles de précision et de fulgurance gestuelle à retenir. Et la lecture de cette pièce d’Eun-me Ahn (Louder ! Can you hear me de 2006) change en faveur d’un énorme appel d’avenir.

Chez Akram Khan (extrait de Kaash) et Barack Marshall (extrait de Monger), la rigueur a rendez-vous avec des danses à la fois combatives et jubilatoires. Les robes noires de Kaash et les jupes en couleur terre des filles dans Monger ajoutent une touche d’art plastique soulignant la présence de forces régissant cosmos ou microcosmes. La gestuelle des bras des jeunes (12-15 ans) dans Kaash est bluffante. S’y ajoute chez ceux de Monger (13-18 ans) une belle capacité à alterner entre scènes dansées et vignettes théâtrales.

Rites et rébellions

L’extrait de Monger s’achève sur un geste de rébellion qu’on retrouve, dans une ébullition à tout emporter, à la fin de l’extrait d’Attractor de Lucy Guérin. Inspiré de danse Haka et expiré tel un rite de passage, ce tableau final voit arriver sur le plateau l’ensemble des trente interprètes qui forment d’abord un énorme cercle et finalement une sorte de volcan humain, déversant un déluge de gestes et de cris, pourtant toujours finement orchestré.

Si des programmes comme Amour, Welcome ou Guests ont mis l’accent sur la diversité de la danse contemporaine, D’Est en Ouest vient en célébrer l’énorme vitalité. C’est pourquoi Baïz renonce ici aux intermezzi humoristiques, privilégiant la continuité et l’énergie. Là où il est nécessaire de faire passer de brefs changements de costumes, les jeunes reviennent pour de petites parades loufoques dans l’esprit d’Eun-me Ahn, ce qui est parfaitement judicieux. Et on ne peut qu’être étonné par l’aplomb des plus jeunes (9 ans à la création) dans leurs solos sous l’égide de la chorégraphe coréenne.

A une époque où tant de dirigeants misent sur la division entre les humains, D’Est en Ouest  est un fabuleux rappel chorégraphique de notre humanité partagée et de ce qui nous relie à travers la planète. Inutile de dire que ça tombe à pic.

Thomas Hahn

Spectacle vu le 3 novembre 2018, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Extraits de: Louder, can you hear me d’Eun-Me Ahn ; Kaash d’Akram Khan ; Monger de Barak Marshall ; Speak low if you speak love… de Wim Vandekeybus ; Grace Engine de Crystal Pite ; Attractor de Lucy Guerin et Gideon Obarzanek

Interprètes : 30 danseurs du Groupe Grenade

En Tournée :

14 décembre : Les Quinconces-L’espal, Le Mans (72)
18, 19, 20 décembre : Comédie de Clermont-Ferrand (63)
14, 15, 16 février : MC2: Grenoble (38)
14, 15, 16 mars : Maison des Arts de Créteil (94), en partenariat avec le Théâtre de la Ville
13, 14 avril : Odyssud, Blagnac (31)
27 avril : Les Salins, scène nationale de Martigues

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