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« Des pas sur la neige » de Véronique Albert

Été comme hiver, qui dit Avignon dit Jean Vilar. Grâce à la maison qui porte son nom, il nous a été donné de découvrir la création de Véronique Albert intitulée Des pas sur la neige, programmée dans le cadre des Hivernales.

Quelle était la couleur de la robe du cheval blanc d’Henri IV ? « Grise », dit-on étrangement dans le jargon de l’art équestre. Et celle de l’Antigone de Jean Vilar ? Blanche ou noire ? Grise ou mauve ? Et d’abord, de quelle Antigone ? De l’Antigone antique, la v.o., de Sophocle, créée par Jean Vilar en 1960 au TNP, reprise en 1961 à Avignon, avec Catherine Sellers dans le rôle-titre et Georges Wilson dans celui de Créon ou bien celle, en v.f., de Jean Anouilh, mise en scène par André Barsacq en 1961 à Vienne avec cette même Catherine Sellers, moderne de son temps, existentialiste ou tout comme ? Pour des raisons que l’on ignore, la robe de 1960, signée Gustave Singier, de violet vira à blanc en 1961, comme en attestent les photos avec Catherine Sellers au côté de Christiane Minazzoli, vêue d’un semblable costume et les reportages en 35mm gardés par l’INA. Passant d’une couleur qui symbolise un temps liturgique catholique à une valeur neutre plus laïque, Vilar voulut-il demeurer sur le seul plan du rituel théâtral ? Ce violet absent en 61 est la couleur du coupon de tulle que tient dans ses bras Véronique Albert lorsqu’elle fait son entrée en scène côté cour. Et qu’elle emporte dans le vrai jardin situé à droite, à la fin de sa prestation. La soyeuse matière rappelle celle des tutus d’antan, du voile habillant la mariée entr’aperçue cet après-midi de printemps précoce devant la mairie avignonnaise, de l’autre côté de la place de l’Horloge. Sans parler du voile métonymique, symbole de perte de l’être aimé, que caressait ambigument Nijinski dans L’Après-midi d’un faune.

Le titre de la pièce de Véronique Albert se réfère à un autre fameux prélude de Claude Debussy : Des pas sur la neige. Pour introduire ce prologue, la chorégraphe diffuse un extrait d’entretien radiophonique du philosophe émérite et pianiste amateur Vladimir Jankélévitch qui se demande notamment : « De quoi le prélude est le prélude ? » et y répond aussitôt : « justement, si le prélude ne préludait à rien ? Si son essence même n’était pas de préluder en général ? ». Véronique enchaîne et illustre et les propos du sage et sa variation dansée en faisant entendre à l’assistance l’interprétation du prélude de Debussy par Arturo Benedetto Michelangeli qui est, selon elle, au plus juste tempo. Danse, musique et discours fusionnent ainsi sereinement, trois-quarts d’heure durant, dans le beau salon de l’Hôtel de Crochans transformé en auditorium, éclairé par la lumière du soleil avec l’appoint de celle, artificielle, tombant des projecteurs fixés à des portiques en aluminium installés par l’équipe technique du festival. 

Le troisième élément du triptyque qui structure la performance est fait de réflexions sur la modern et la postmodern dance. De renvois au couple Cage-Cunningham à Simone Forti, Deborah Hay, Trisha Brown. À Lisa Nelson, la compagne de Steve Paxton, récemment disparu, auquel Véronique Albert dédiera sa pièce en s’adressant directement au public à l’issue de la (re)présentation. Cette partie autoréférentielle permet à la danseuse de rendre hommage à Laurence Louppe, dont elle avait jadis suivi le séminaire à Aubagne et dont on entend la voix aiguë dès l’entame du solo. Il est aussi question d’une danse oubliée, que la chorégraphe essaie de ressusciter en faisant appel à la mémoire du corps. Et de jardin, non de celui qui jouxte le salon, ici et maintenant, mais de celui de Ryoanji, du temple bouddhiste de Kyoto dont les pierres inspirèrent jadis à John Cage une subtile composition aléatoire et de magnifiques dessins.

Galerie photo © Thomas Bolh

Véronique Albert participa d’ailleurs à l’hommage à Cage rendu entre autres par Pierre Albert Castenet et Joëlle Léandre à l’Arsenal de Metz en 2009 – soit trois ans avant la pièce Cinq Ryoanji d’Olivia Grandville. Pour la chorégraphe, la danse « se confectionne dans des opérations plastiques, des métamorphoses, des procédures d'assemblages ou de fragmentations pour former un ensemble à la croisée du réel et de l'imaginaire ». 

Nicolas Villodre

Vu le 24 février 2024 à la Maison Jean Vilar d’Avignon.

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