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« Cover » de Maud Pizon

Au festival Artdanthé Maud Pizon invente, avec Cover, une nouvelle forme d’irrévérence à la danse.

Un « cover » en musique reprend une chanson qui a déjà été interprétée (et souvent rendue célèbre) par quelqu’un d’autre. Bien sûr, il est possible de l’arranger « à sa sauce » mais pas trop. Car l’auteur original a un droit de regard sur son œuvre et, théoriquement, il faut son autorisation pour la modifier. Alors quelle est la différence entre un « cover » et une interprétation ? Généralement, un « cover » concerne de la musique non écrite, il ne se réfère donc pas à une partition dont un interprète peut s’emparer pour la revoir à sa façon. C’est bien là où l’on se rapproche de la danse, car le mouvement dansé est, le plus souvent, une partition non écrite. Et le « cover » lui apporte l’incarnation nécessaire à son existence, comme les reprises en live ou en album, permettent de restituer la voix ou les sons d’un chanteur ou un groupe disparu. Maud Pizon apporte une touche supplémentaire à cette définition en lui prêtant « une liberté avec laquelle les musiciens reprennent les titres d’autres artistes en jouant le jeu de proposer une version la plus éloignée possible de l’œuvre originale ». Mais alors, pourquoi ne pas parler justement d’interprétation ?

Car justement Maud Pizon se situe dans un entre-deux pas si facile à tenir entre la référence et la distance, l’histoire et sa réactivation dans notre monde d’aujourd’hui. De même que Cover est à la fois une œuvre chorégraphique mais aussi musicale avec une sorte de rock band féminin (guitare, basse, batterie/voix) dans une scénographie inspirée du concert, où Maud Pizon elle-même tient le rôle de la soliste.

Se déroule alors tout un programme, comme un album, où s’enchaînent les soli emblématiques de l’histoire de la danse du XXe siècle, mais aussi de répertoires populaires comme Désenchantée de Mylène Farmer ou Musica da Lagoa du film Sinfonia do Alto Ribeira de Ricardo Lua. 

Bien sûr, chaque solo attaché à l’histoire est archi-connu – en tout cas de ceux qui s’intéressent à la culture chorégraphique – mais Maud Pizon a pris le parti de la disfiguration plutôt que de la transfiguration. Cette déformation mettant en lumière, et en scène, ce qui nous sépare de l’époque de leur création. Ainsi de cette Mort du cygne (d’après Fokine, 1905) virevoltante et maladroite, ou de The Mother d’Isadora Duncan (1921) sur la musique de Scriabine, qui semble si peu moderne et encore moins révolutionnaire, contrairement à ce que ses contemporains ont pu en dire. C’est un peu la même chose pour le Hexentanz (Danse de la Sorcière d’après Mary Wigman, 1914) qui n’effraie plus vraiment. D’autres tiennent mieux la route comme Le Sommeil extrait d’Atys– mais qui est dès le départ un cover de cover puisqu’il s’agit d’une œuvre de Lully chorégraphiée par Beauchamp et Pécour en 1676, reconstituée par Francine Lancelot en 1987, puis reprise par Béatrice Massin en 2011, et pour cette nouvelle occasion, déchiffrée sur une partition en cinétographie Laban retranscrite par Béatrice Aubert en 2012. De même pour la « Danse Sacrale » qui est extraite de Sacre #2,soit une réinvention plus encore qu’une « recréation » de Dominique Brun de 2014 d’après Le Sacre du printemps de Nijinski (1913) dont il ne reste quasiment aucune trace. D’autres encore semblent simplement choréraphiées par Maud Pizon comme le Clapping Music de Steve Reich. Les musiciennes ne sont pas en reste, et leur vision de ces morceaux d’anthologie tient plus souvent de la recréation – notamment pour Le Sacre du printemps, par exemple – que de la reprise. 

Mais peu importe. Car le spectateur, simple curieux venu voir une pièce de danse contemporaine, ne sait rien de tout ça, et ses origines lui paraissent bien obscures. Ce qu’il peut discerner malgré tout, c’est un concert tout ce qu’il y a de plus actuel avec une sorte de dynamitage du stéréotype de l’être dansant. Car toutes ces reprises historiques ont quelque chose d’un vêtement mal coupé, qui serre aux entournures. Et d’une certaine façon, c’est exactement ça que font ressortir ces Cover de Maud Pizon. Cette image de la femme ou de la danseuse qui nous gêne, que Maud Pizon ne peut « enfiler comme un gant »  ou que nous n’acceptons plus comme telle parce qu’inadaptée à notre vie d’aujourd’hui. 

Et finalement, avec sa bande de filles, Yuko Oshima à la batterie, Christelle Séry à la guitare et Olivia Scemama à la basse, elle nous délivre un hymne à la liberté, une permission d’interpréter ou plutôt de ne pas interpréter mais de s’approprier le passé ou l’histoire comme on veut, comme on peut, ou comme on ne peut pas… Et cette irrévérence à la référence fait du bien.

Agnès Izrine

Vu le 21 mars 2024 à Artdanthé, Théâtre de Vanves.

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