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« Clan » d'Herman Diephuis

« Clan est l'histoire d'un groupe qui s'acharne à exister dans un univers festif et refuse la possibilité que tout pourrait se terminer comme s'il dansait sur un volcan ». Au moment de découvrir Clan, la dernière pièce d'Herman Diephuis, on avait omis de lire cette phrase qui figure en tête de sa brève note d'intention. Laquelle évoque encore la façon dont ce groupe est « en présence d'une fin iminente », et « oscille entre l'aveuglement et la lucidité en risquant d'aller droit dans le mur ».

Il y aurait donc eu une dimension prémonitoire, à traiter de tels enjeux, alors que l'histoire la plus récente, la plus barbare, s'est chargée de donner une signification qu'on ne voyait plus trop, au fait d'être jeune, de sortir le soir, s'attabler en terrasse, aller à un concert, danser en discothèque. Note lue, ou pas, ce contexte soudain grave aura imprégné notre regard, porté sur une pièce qui du premier coup d'œil pourrait sembler simplement aimable.

En apparence, avec ses allures pop, Clan semble se contenter d'aller puiser des mouvements sur un dance floor de soirée dansante entre jeunes festifs, et de les restituer de façon toute décontractée. Mais déjà, d'un point de vue strictement artistique, voilà un défi redoutable en fait, que de parvenir à opérer la transmutation poétique, en situation de spectacle devant un public, de danses dont l'écriture rudimentaire rabat la raison d'être sur le seul fait de les éprouver par soi-même au cœur d'une fête.

Herman Diephuis aura déployé son habituelle délicatesse de regard humain, investi dans la rencontre, pour que les six interprètes de Clan opèrent cette métaphorisation. Au départ, on les découvre très lentement, alignés en fond de plateau, plus ou moins déshabillés. S'extrayant de la pénombre, on peine à discerner parmi eux qui est garçon ou fille, qui est plus ou moins dénudé du bas ou du haut, qui se montre de dos et qui de face, qui se trouve assis, debout, ou à moitié couché.

Ce serait une fin de fête, au moment d'aller s'allonger, et la première action sera leur patient rhabillage – non sans référence à quelque tâche performative tirée de ce geste quotidien qu'est d'enfiler correctement ses habits. De là, on pénètrera à rebours dans le déroulé plus ou moins lucide, en quoi consiste une soirée abandonnée à la danse et la fête. L'indétermination du tableau d'ouverture donne la tonalité de l'ensemble, toujours très ouvert, au partage très égal dans les performances de genre (trois filles, trois gars), entre condensations solistes passagères et fluctuation générale de groupe.

La temporalité de même, qui paraît poreuse, traversée, au fil d'une accélération très progressive, où prime une sensation de densification (non de frénésie). La musique, du reste, emprunte à des tonalités blues, ou jazzy, qui ne sont pas celles des soirées les plus déchaînées. Toutes les relations de ce groupe qui se cherche, s'éprouve, parfois s'emballe, trament une conjugaison très plastique, parfois voisine d'une idée de danse contact, de don de matière-corps partagée et reprise. On le verrait comme un pogo  au troisième degré, superbement détaché. Avec des soutiens, ses pertes, et pas mal de tendresse.

Depuis les gestes insouciants, désinvoltes, d'une jeunesse en fête, Clan opère par prélèvements, pour extraire des essences. Celles-ci sont mises au bouquet de toutes les sensations qui s'éprouvent en ces circonstances, où chacun engage un fond de soi, vraiment, dans un jeu qui, pour rester plaisant, n'a finalement rien d'anodin. Clan n'effectue jamais de pauses, s'obstine, s'auto-soutient, défie la fatigue jusqu'à y céder en s'épuisant au sol, finissant dans un tas entremêlé de matière humaine, en quoi se dénoueront toutes les destinées.

C'est assez grave, mais sans omettre l'excellente nouvelle que ces frissons, décidément, méritent fort d'être vécus.

 

Gérard Mayen

 

Spectacle vu le soir de sa première (création), le 17 novembre 2015 à l'Espace des Arts (Chalon-sur-Saône) dans le cadre du festival Instances.

En tournée

5 décembre 2015 : CCN d'Orléans

28 et 29 mai 2016 : Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

 

 

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