« We were the future » de Meytal Blanaru
Le titre de la pièce (pour ne pas changer, en anglais !) est intrigant. C’est que le paradoxisme – au sens de Pierre Fontanier – de l’expression « We were the future », pour ne pas dire l’oxymore, est riche de sens. On peut l’interpréter de façon différente, voire contradictoire. Au pied de la lettre : nous étions et ne sommes plus le futur, nous situant au présent. Avec nostalgie et vague à l’âme : nous représentions l’avenir – d’un pays, d’une nation, du monde entier, à un moment donné et ne sommes plus rien aujourd’hui. Après un constat d’échec : les promesses faites par notre génération n’ont pas été tenues et le contrat n’a pas été rempli.
La danseuse Meytal Blanaru développe depuis plusieurs années ce qu’elle a appelé le « Fathom high », une version perso de la méthode Feldenkrais – une technique toujours très en vogue dans le milieu de la danse contemporaine qui à l’origine avait des visées réparatrices au même titre que le Pilates, la méthode « jazz » de Luigi, les gymnastiques rythmique, suédoise, douce, correctrice, etc. Le fondateur, Moshé Feldenkrais, ceinture noire de judo, l’associa à la pratique des arts martiaux. Mis à part, peut-être, le locking de Don Campbell, les mouvements cunninghamiens droit issus des exercices grahmiennes, les démembrements de Michael Jackson qui empruntèrent aussi bien aux numéros de mime qu’aux routines scéniques d’un James Brown, les dislocations virtuoses qui ont enrichi ou élargi le vocabulaire de la danse sont celles d’un Steve Paxton et d’un William Forsythe, lesquels ont reconnu leur dette envers Feldenkrais.
Dans We were the future, Meytal Blanaru ne cherche pas à en mettre plein la vue. Son « Fathom high » la conduit à un minimalisme absolu. Donc à l’anti-spectaculaire, l’anti-virtuose, l’anti-étourdissant. Elle nous invite non à la danse mais au silence.
Musicalement parlant – après un début assez planant joué à la guitare, en direct, par Benjamin Sauzereau, le vibrato lui-même s’estompe. Graduellement. Gestuellement aussi. À l’immobilité succède, fort heureusement, le dégel du mouvement. Au bout d’un temps, il faut bien le reconnaître. Et partiellement. Dans la partie centrale de la pièce, la notion de ralenti est alors explorée – le final sera plus tendu, survolté, convulsif. N’étaient les moyens de production somme toute modestes pour ce qui est des costumes, de l’éclairage et des dépenses en scénographie, on pourrait comparer la démarche de Meytal Blanaru à celle d’une Myriam Gourfink. Chez cette dernière, ce n’est pas la technique Feldenkrais mais le yoga qui régit et l’entraînement des danseuses et le rendu final sur scène – pour ne pas dire sur le plateau, comme on a tendance à le faire couramment. Le graal quêté par Gourfink semble être le mouvement perpétuel, le maintien du flux continu. Chez Blanaru, ce serait plutôt le discret et l’irrégulier qui importent et l’emportent.
Elle et ses deux danseurs associés, Gabriela Ceceña et Ido Batash, mettent donc en valeur les articulations ; en évidence le tranchant de la main ; en crise la coordination ; en branle les tensions, les palpitations, les crispations. La rupture n’est jamais loin. Ni la cassure. Ni la fêlure. Le regard d’aveugle jeté par Ido à ses partenaires de jeu est à cet égard signifiant. On ne saura rien de ce que ressent l’interprète, visiblement ailleurs. On n’en apprendra pas plus du souvenir-écran de la chorégraphe qui dit avoir puisé dans son vécu les motifs agencés sur le tapis de sol immaculé de l’ancien relais de poste des Hauts de Belleville. Les trois danseurs, après une longue période de solitude, finissent par former trio. Le pas de trois, dès lors, tient du jeu des quatre coins. Les appuis pourtant feutrés et filtrés produisent un léger crépitement sur le plancher tout juste refait.
Lors d’une variation de la chorégraphe, on croit entendre – l’a-t-on rêvé ? – le bruit d’ailes du cygne pavlovien à ses derniers moments. Les accords de guitare rappellent ceux, au piano, du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns.
Nicolas Villodre
Vu le 10 avril 2019 au Regard du cygne.
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