Error message

The file could not be created.

Thierry Malandain : La Chambre d’amour et la transition

À Biarritz, Martin Harriague prendra le relais à la tête du CCN, installé dans la Gare du Midi, à partir de janvier 2027. Dans notre entretien, Thierry Malandain évoque la situation de ce Centre Chorégraphique National, son avenir et ses projets personnels.

DCH : Avec la reprise de La Chambre d’amour, vous bouclez une boucle puisqu’il s’agit de votre première grande création pour le CCN de Biarritz. Serait-ce aussi votre dernière grande œuvre pour le Malandain Ballet Biarritz ?
Thierry Malandain :
Tout à fait. Tout au plus, pourrait-on imaginer une petite forme. Mais normalement, au jour d'aujourd'hui, c'est ma dernière grande pièce. Je ne pense même pas pouvoir mener à terme mon projet initial. Car ma dernière création devait être Le Songe d’une nuit d’été. Nous avions déjà commencé à travailler sur les costumes et le décor. Mais à l’automne 2024, j’ai subi un cataclysme émotionnel puisque ma mère est décédée [lire notre précédent entretien]. Et nous avons décidé de marquer mon départ en bouclant la boucle de mon mandat biarrot, par un retour au commencement.

DCH : Comment avez-vous procédé pour cette reprise ? Quels documents aviez-vous à disposition ?
Thierry Malandain :
Nous avions des vidéos, et Giuseppe Chiavaro qui avait participé à la création, est maintenant l’un de nos maîtres de ballet. D’autres danseurs de la distribution originelle sont venus aux répétitions, mais ce ballet ne s’est pas tellement inscrit dans leur mémoire corporelle. Nous ne l‘avions donné que neuf fois ! Ce qui était une autre raison de le reprendre. Mais le travail s’est avéré plus compliqué que prévu. Le premier problème, était que nous ne trouvions pas de plan large. Mais nous avons fini par le trouver dans une cassette VHS que nous avons fait transcrire. Mais la pire difficulté était le rapport à la musique, de retrouver les comptes et de replacer la danse sur la musique.

DCH : Un élément très présent du décor sont les rochers mobiles. Avez-vous pu les retrouver ?
Thierry Malandain :
On a dû les refaire, pour une raison triste. A un moment donné, notre dépôt avait subi une inondation et nous avons tout perdu.

DCH : Et votre style chorégraphique ? N’a-t-il pas évolué depuis La Chambre d’amour ? Comment avez-vous vécu la rencontre avec cette pièce d’il y a un quart de siècle ? Je pense notamment à cette touche humoristique que vous avez su affiner à Biarritz.
Thierry Malandain :
En six ans en région parisienne et six ans à Saint-Étienne, j'avais déjà exploré ce que je pouvais créer avec les moyens que j'avais. L’humour était déjà présent dans mes créations. La différence est dans ma manière de travailler. Avant, je montrais des mouvements aux danseurs, et ça allait à toute vitesse. Mais en vérité j'avais mal à la hanche depuis l'âge de 20 ans et je dansais avec de l'aspirine. Ce n’est qu’avant la pandémie que j’ai enfin été opéré. Mon langage chorégraphique a en quelque sorte été le reflet de ce que mon corps était capable de soutenir. Et depuis quelque temps je chorégraphie plus avec la tête qu’avec le corps.

DCH : Vous passez donc le relais à Martin Harriague qui devient votre successeur, début 2027. Allez-vous rester à Biarritz ? Comment voyez-vous votre vie après le CCN ? Pensez-vous écrire beaucoup, puisque vous en avez fait une activité très régulière ?
Thierry Malandain :
Je vis à Anglet et vais y rester, en effet. Je ne sais pas encore à quel degré la danse va me manquer et je pourrais en effet continuer à écrire. Quand je commence une activité, j’en suis assez obsédé. Jusqu’ici j’écrivais la nuit, après ou avant ma journée de travail. Mais je ne me considère pas comme un écrivain.

DCH : Comment avez-vous préparé, ou allez préparer le CCN à la succession ?
Thierry Malandain :
Le CCN va faire face à des défis considérables, et je suis prêt à soutenir Martin Harriague. L’un des défis est lié au fait que la transition a lieu en fin d’année et pas en fin de saison. Donc certains danseurs vont peut-être choisir de partir à la fin de la saison 25/26 ou en fin d’année. Si ensuite Martin Harriague préfère embaucher des danseurs plus contemporains, la compagnie aura un problème pour danser mon répertoire, qui jusqu’ici lui permet de subsister. Les tournées représentent une partie très conséquente de nos recettes. D’autres Ballets peuvent payer les danseurs, qu’ils dansent ou qu’ils ne dansent pas. Pas nous…

DCH : Quelle est la situation du Malandain Ballet Biarritz aujourd’hui ?
Thierry Malandain :
Normalement, je devais terminer mon mandat en décembre 2024, mais la nouvelle maire de Biarritz, Madame Maider Arosteguy ne souhaitait pas que je parte et, par son intermédiaire, j’ai pu obtenir deux ans de plus. Surtout, nous sortions de la période Covid, et n’ayant pu assurer les représentations nécessaires à l’équilibre financier du CCN, nous étions désargentés. Jusque-là nous avions parfois présenté un petit déficit, comblé lors l'exercice suivant. Et toutes les tutelles se disaient : A Biarritz, ils se plaignent, mais ils s'en sortent tout le temps, alors que pendant 25 ans, nous avons toujours demandé d'avoir des moyens convenables pour fonctionner. Mon dernier mandat de quatre ans était conditionné au même montant de subventions que le précédent, malgré l’augmentation des coûts. Ce qui nous a sauvé pour ainsi dire, c’est le mécénat, et en particulier l’aide apportée par Mme Aline Foriel-Destezet, une grande mélomane, l'une des mécènes les plus importantes de la musique classique en France. Nous sommes je crois la plus petite structure qu’elle soutient.

DCH : Martin Harriague est bien connu du public de la région, sa danse est aimée et puisque le public aime aussi le néoclassique, il pourrait très bien inviter des chorégraphes pour créer des pièces avec la troupe.
Thierry Malandain :
Cela fait partie de son projet, mais cela a un coût. J’aurais peut-être préféré un chorégraphe néoclassique comme successeur, quelqu’un qui perpétue ce style chorégraphique, dans un pays où on lui donne peu d’espace pour exister. Mais quand on m'a dit qu'il fallait que je parte, j'ai tout de suite proposé Martin Harriague pour la succession, puisque nous le connaissons parfaitement, et inversement, entre autres puisqu’il était artiste associé au CCN après avoir été primé au Concours de Jeunes Chorégraphes de Ballet à Biarritz. Car pour moi, le critère principal est le talent. Et Martin a cette chose rare et singulière qui est le talent. En plus, il a un atout particulier, à savoir qu'il est natif de la région. Mais que les choses soient claires : tenu à l’écart du recrutement, même si j’ai fait en sorte de lui donner une visibilité en lui confiant la chorégraphie du Sacre du printemps, ou en le programmant régulièrement au festival Le Temps d’Aimer, c’est bien le jury composé des tutelles du CCN qui a élu son projet à l’unanimité. Maintenant, comme n’importe quel chorégraphe appelé à me succéder, il n'aura pas dans l’immédiat cent représentations par an et va devoir réinventer le modèle économique du Ballet. Nous aurions pu, par exemple, diviser la compagnie et tourner avec des formats plus petits, pour jouer dans deux villes en même temps. Mais je voulais préserver l’identité du Ballet Biarritz qui veut que le public voie, le plus possible, l’ensemble de nos danseurs.

DCH : Vous dirigez aussi le festival Le Temps d’aimer la danse qui a cette particularité de donner à voir les compagnies du Pays basque, qu’elles se réfèrent aux traditions de la région ou qu’elles travaillent dans un style complètement contemporain.
Thierry Malandain :
Pour le festival, nous travaillons en équipe, avec Yves Kordian et Arnaud Mahouy, ce qui m’a permis de réduire mon implication personnelle. Quant à la danse basque, je me suis toujours refusé à faire des ballets « basques ». Et au début, quand la compagnie s’est installée à Biarritz, certains milieux trouvaient dommage que ce ne soit pas un Basque qui prenne la direction du CCN. Mais nous avons donné une place à la danse et à la création basques, soit traditionnelle, soit revisitée de façon contemporaine. Martin Harriague qui a déjà créé Gernika pour le formidable Collectif Bilaka est très au fait de ce puissant particularisme régional. Et comme il est plein d’imagination et aime croiser les genres, il surfera certainement sur cette vague riche d’avenir. Et nous espérons qu’il continuera au mieux l’énorme travail souterrain que nous faisons à longueur d’année sur la santé des danseurs, l'écologie, un programme transfrontalier qui implique 1 500 enfants, etc.

Propos recueillis par Thomas Hahn
Biarritz, le 9 septembre 2025

Catégories: 

Add new comment