Rebecca Journo en plein « Bruitage »
L’Atelier de Paris a présenté la première d’une nouvelle création de Rebecca Journo, avec l’artiste sonore Mathieu Bonnafous qui semble animer le personnage mécanique incarné par la chorégraphe. Membres du collectif pluridisciplinaire La Pieuvre, les deux artistes explorent des zones ambigües entre geste et imaginaire sonore.
La Pieuvre est de retour, et elle a des yeux exorbitants. Elle porte un canevas ficelé dans le dos, sort et retire sa langue à grand bruit, marche au pas lourd et grince des pupilles. Intrigante, potentiellement menaçante quand elle avance en direction du public. Avec son Bruitage, Rebecca Journo reprend là où elle avait quitté la peau de L’Epouse et de La Ménagère, ses figures féminines surréelles, gestuelles et sonores.

Automate mécanique au visage grimé de blanc, elle nous transporte dans le temps des premiers humanoïdes, peut-être même de Frankenstein, si ce n’est le fameux Edward aux mains d’argent, et tranchantes. Cette figure-là est allègrement fantasmagorique et on est en droit de questionner ce qui peut bien l’animer.
Et si c’était les drôles de sons que l’on voit se produire en fond de scène ? Un étrange foley, l’artiste sonore Mathieu Bonnafous, autre bras du collectif La Pieuvre, manipule des objets indéfinissables. Et il le fait dans une boîte transparente aux allures d’aquarium, comme si tous ce bruitage émanait paradoxalement du monde silencieux des poissons. Mais ses bras rentrent, par le fond et du côté, dans ce castelet sonore et on ne peut s’empêcher de songer aux tentacules de la pieuvre. A moins qu’on y voie un incubateur , conçu pour donner vie au protagoniste automate…

Journo, serrée dans sa combinaison en latex d’un autre temps, pourrait sortir d’un musée forain ou de jouets du XIXe siècle. Ainsi affublée d’une seconde peau presque animale, elle crée des espaces imaginaires dans lesquels les sons semblent émaner d’invisibles objets. Entre ses mains, par exemple. Elle semble bien, elle aussi, manipuler quelque chose, mais cette chose n’existe que par le son. La vie se crée dans l’espace entre elle et Bonnafou en tant que créateur sonore.

Foley il est, mais pas tout à fait. La performance de Journo n’a rien d’un film à sonoriser par des objets qui n’ont rien à voir avec les corps ou objets qu’on voit à l’écran. Cette démarche-là, issue de la tradition du cinéma, avait été exploitée avec beaucoup d’humour par Ioanna Paraskevopoulou dans MOS [notre critique]. Dans Bruitage, l’effet s’inverse. Ici les sons créent des objets imaginaires, voire les gestes-mêmes du personnage automate.
Où va-t-il ? Sans nom, il traverse la scène, sans but apparent. Son existence se justifie entièrement par le rapport aux sons. Et pourtant, on l’imagine dans diverses aventures, à l’instar d’Astérix ou de Tintin. On aimerait voir ce personnage affronter des univers divers et porter son regard décalé sur le monde. Un jour, peut-être. Pour l’instant, il vient de naître, encore tenu par le cordon ombilical sonore de l’incubateur.
C’est sans doute la raison pour laquelle la créature s’essouffle un peu vite, et on espère la voir grandir rapidement. Lors de sa première sortie, une fois les relations entre les sons et ses organes explorées, elle s’est mise à faire les cent pas en attendant on ne sait quoi. Mais on la sent prête pour de grandes aventures.
Thomas Hahn
Atelier de Paris, le 10 octobre 2025
Recherche, création et interprétation : Rebecca Journo, Mathieu Bonnafous
Conception et construction de la boite et création lumière : Jules Bourret
Création costume : Coline Ploquin
Regard extérieur : Vera Gorbacheva, Véronique Lemonnier
Administratrice de production et image : Véronique Lemonnier
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