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Nina Laisné, François Chaignaud et Nadia Larcher : « Último Helecho »

Deux énigmatiques créatures surgissent de la terre et de la pierre, se laissant porter par six musiciens vers un voyage à travers les musiques ibériques, argentines et péruviennes. Entre danse, chant, musique et arts plastiques, dans un équilibre parfait des langages artistiques, Nina Laisné et François Chaignaud poursuivent leur collaboration commencée par Romances inciertos  et invitent sur le plateau une grande figure de la musique argentine.
A voir du 28 au 30 novembre au Théâtre de la Ville - Sarah Bernhardt en coréalisation avec Chaillot - Théâtre national de la Danse.

Le secret le plus évident d’Último helecho  réside dans le « ne... pas... » Car la création de François Chaignaud, Nina Laisné et Nadia Larcher ne ressemble pas à un spectacle de danse au sens académique de la chorégraphie contemporaine. Porté par six musiciens et deux artistes chorégraphiques, dont deux chanteurs (sic), Último helecho  ne ressemble à rien d’autre, sauf à la création précédente signée Laisné/Chaignaud, le fameux Romances inciertos. Serait-ce donc encore Un autre Orlando  qui s’arrache ici à la terre, dans un ailleurs artistique des plus utopiques ? On retrouve le bandonéon, la latinité, le romantisme et la romance, l'opulence visuelle des décors et des costumes, le goût des émotions fortes, la beauté des instruments de musique anciens...

Quand la vie songe à l’utopie

Et cette fois, Chaignaud s'est trouvé un alter ego qui arrive tout droit de Buenos Aires. Nadia Larcher danse et chante, mais elle est avant tout, comme son nom français ne l'indique pas, une compositrice argentine de musique populaire qui baigne dans la culture traditionnelle locale depuis sa tendre enfance. Aussi a-t-elle pu porter conseil à Nina Laisné dans la construction d'un univers musical où fusionnent musiques et paroles péruviennes du XVIIIe siècle, ses propres vers, le XVIe siècle catalan, de grands compositeurs ou chanteurs latino-américains du XXe siècle (Chico Buarque, Atahualpa Yupanqui), le tango, l'Espagne...

Sur le plateau se dessine donc un rêve romantique où la musique, le geste, le chant, les costumes et la scénographie participent d'une même utopie, où la vie est un songe créant une réalité plastique et musicale qui devrait traverser plusieurs époques. Par la musique, bien sûr, puisque chaque tableau de ce concert chorégraphique pourrait faire partie d'un opéra, mais aussi par la danse. Et même si la Biennale de la Danse a présenté Último helecho à l’Opéra de Lyon, cet effet du chant et des costumes devrait jouer dans tous types de salles, théâtre lyrique ou non.

Le Nymphe et la Faune (sic)

Nichée sur son rocher, la Nymphe Larcher s'éveille lentement, découvrant le Faune Chaignaud – sauf que c'est plutôt la nymphe qui prend le rôle du Faune. Se développe entre eux une passion romantique qui enlace le tragique, où l'un épouse l'autre comme dans les vers de Yupanqui, premier chant de la soirée: « A qui je peux raconter qu'un de mes amis est mort? / .../ Je vais inventer un poème,  peut-être que ça l'aidera à partir. »

Leurs peaux se sont transformées, sont devenues minérales autant que végétales, créant des corps-paysages ou des corps-jardins où l’idée du Faune est rejointe par un soupçon de Bakst. Et bientôt se dessine une touche de baroque flamboyant, comme pour fantasmer sur tout l’or des Amériques. Au-dessus d’eux comme sous leurs pieds, s’étendent les vestiges d’un palais que le temps a transformé en grotte. On monte et on descend un grand escalier en courbe qui ferait honneur à toute revue de Broadway, relayant un plateau qui semble flotter en l’air, soutenu par une colonne de style incertain, entre art nouveau et arbre fossilisé.

C’est tout en haut qu’apparaissent au début les trois sacqueboutiers, et c’est en bas que les six instrumentistes – il y a le théorbe, la sachaguitarra, le tambour traditionnel et autres instruments sud-américains – vont terminer leur voyage dans une farandole festive, alors que la chanteuse clame : « Autour de moi la terre se meurt / Elle / … / m’ensevelit jusqu’à la dernière fougère », en espagnol : Último helecho. D’où le titre.

Enchantement mutuel

Deux effets de surprise vont bouleverser les ambiances. On préservera ici l’impact de la première pour n’en révéler que la seconde, très visuelle, qui transforme la scénographie en silhouette surréaliste à la Dali, paysage soudainement aérien, où Larcher et Chaignaud vont faire résonner leurs bottes en frappant le sol à la manière des gauchos. Et à la manière des plus charismatiques, leur présence en soi est à couper le souffle.

Avant ce point d’orgue final, le couple de saltimbanques tragiques aura défié les limites de l’équilibre corporel dans une série de danses pleines de délicatesse, à l’inspiration argentine et péruvienne. Ils auront joué avec les codes du baroque dans une série de poses au parfum de Commedia dell’arte, de Pierrot voire de cartes de Tarot, traversées par le cabaret et même, dans leur état minéralo-végétal, par une idée de butô. Au final, ils seront drapés de somptueux ponchos faisant le lien, grâce à des lumières scintillantes, entre tradition populaire et l’or sculpté des Incas, tant convoité par les conquistadores.

Ce récital folklorique et chorégraphique, en sa parure sud-américaine et baroque, replace l’humanité dans un enchantement originel entre le végétal, le minéral et le charnel, entre union avec les éléments et raffinement humain. Il danse la condition humaine tel un chant panhispanique et relie l’Europe à l’Amérique du Sud par l’émotion et la beauté, histoire de s’enrichir et s’enchanter mutuellement au lieu de nourrir des ambitions coloniales. En somme, cette Dernière fougère  est une splendide histoire d’amour, non seulement entre deux revenants, mais avant tout entre des artistes d’exception et leur public.

Thomas Hahn
Biennale de Lyon, Opéra de Lyon, le 17 septembre 2025

Du 28 au 30 novembre 2025 Théâtre de la Ville- Sarah Bernhardt
En coréalisation avec Chaillot - Théâtre national de la Danse

Direction musicale, scénographie et mise en scène Nina Laisné
Chorégraphie, collaboration artistique et performance François Chaignaud
Conseil musical, collaboration artistique et performance Nadia Larcher
Musiciens :
Rémi Lécorché : Sacqueboute ténor, Serpent et flûte
Nicolas Vasquez : Sacqueboute ténor
Cyril Bernhard : Sacqueboute basse et Wacrapuco
Jean-Baptiste Henry : Bandonéon
Daniel Zapico : Théorbe et sachaguitarra
Vanesa Garcia : Percussions traditionnelles
Chorégraphe associé : Néstor ‘Pola’ Pastorive

En tournée :
1er au 3 octobre, Strasbourg, Le Maillon
5 octobre, Mulhouse, La Filature
14 et 15 octobre, Besançon, Théâtre Ledoux
28-30 novembre, Paris, Théâtre de la Ville (avec Chaillot Théâtre national de la danse et le Festival d’Automne)
14 janvier, Angers, Le Quai (avec le CNDC)
6 et 7 février, Reims, Le Manège (festival Faraway)

 

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