« Imminentes » de Jann Gallois
Force tranquille, Jann Gallois livre ici l’une de ses meilleures pièces, une synergie douce qui unit six danseuses d’une énergie peu commune. Créé à la MC2 Grenoble, le public francilien pourra la découvrir dès le 21 novembre au festival Immersion Danse à l’Onde de Vélizy-Villacoublay.
Évidemment, une création de la nouvelle co-directrice de L'Agora-Montpellier-danse ne peut passer inaperçue, pour autant, Imminentes se place surtout dans le droit fil du parcours de Jann Gallois et l'intérêt de cette pièce très réussie apparaît d'autant que reliée à l'ensemble des pièces de cette chorégraphe qui devient de plus en plus importante. Et en plus, c'est doux !
Depuis la création de P=mg (2013), premier solo et coup de tonnerre, récompensé par neuf prix internationaux, dont le Prix Paris Jeune Talent et le Prix Beaumarchais-SACD, puis Diagnostic F20.9 (2015), solo moins abouti formellement mais particulièrement ambitieux dans son exploration des symptômes de la schizophrénie, le parcours météoritique de la chorégraphe à laquelle tout a semblé réussir, qui cumule les résidences, les partenariats, les co-productions, en a fait la figure de référence nationale en matière d'artistes émergents.
Et aujourd'hui pleinement émergée : nommée le 10 avril 2025 à la co-direction de l'une des plus importantes institutions chorégraphiques d'Europe, Jann Gallois mettra sa compagnie Burn Out (fondée dès 2012) en sommeil et ses contrats montpelliérains commenceront dès le 1er janvier 2026 ; d'où l'enjeu de cette création… Et il suffit de compter les co-producteurs (20 !, même compte tenu de la diminution du montant moyen des co-production, le chiffre est exceptionnel) pour mesurer que cette création constituait un événement.

Mais, loin de toute pompe, la pièce commence doucement – la notion aura son importance – avec l'entrée successive de deux interprètes qui se retrouvent, tournent ensemble, se touchent comme on souffle sur une peau fragile et l'on peut penser à l'aphorisme de Paul Valéry "ce qu'il y a de plus profond dans l'homme, c'est la peau" (L'Idée fixe, 1933). La musique originale de Patrick De Oliveira va arriver et occuper beaucoup de place et, dès les premières notes, va se construire un crescendo saisissant, distillé par six danseuses qui occupent sans relâche l'espace scénique. Les têtes effleurées par les mains, ce geste délicat, comme une caresse de l’esprit, permet de rendre l’instant plus intime, plus précieux. La danse se fait douce et fluide, tension relâchée sur les corps. Jann Gallois qui se revendique du bouddhisme comme un bien-être de soi et des autres, « comme philosophie et croyance » explique-t-elle, manifeste cette influence par cette recherche de paix intérieure, d’harmonie dans la répétition et dans l’engagement corporel. Les gestes s’imbriquent dans un cycle répétitif, mais chaque variation, chaque mouvement additionnel, amène avec lui un supplément de sens et d’énergie tout en douceur. À l'occasion, cela remet la désignation hip-hop qui colle à la chorégraphe en jeu : « je voudrais arracher l'étiquette que j'ai sur le front ! Je ne renie rien et surtout pas d'être passée par le hip hop, mais je n'y suis pas limitée. Je n'en suis plus là ! » Et l'on comprend surtout, car la gestuelle présentée part bien de la taxonomie hip hop, qu'il s'agit surtout de ne pas s'y borner, ce que va montrer la suite.

Car la pièce se déploie en grandes séquences entrelacées qui s'enchaînent sans jamais s’interrompre, formant une progression à la fois physique et mentale et dès la seconde séquence, la gestuelle explore une matière nouvelle. À la manière d'une spirale qui prend corps sur le plateau, les séquences gagnent en intensité, en vitesse et en vigueur. Les gestes, d’abord modestes, se transforment en une danse plus emportée, presque agitée, alors que les danseuses, connectées entre elles, s’abandonnent progressivement. L’un des motifs les plus marquants de la pièce est sans doute l’usage constant du cercle, ou plutôt de la ronde. Ce motif fait évidemment écho au célèbre La Danse de Matisse (pour mémoire, lorsque le peintre « revient » à sa Danse, en 1932, pour la troisième version de l'œuvre, plus de vingt ans après sa première réalisation* il intègre – au moins dans son esquisse inachevée – six danseurs contre cinq pour les versions antérieures).

Une ronde de corps en mouvement, mais ici, la forme devient à la fois un acte de rassemblement et d'introspection. Les six danseuses s’unissent sans heurt, se tiennent par les mains, se rejoignent dans une sorte de communion féminine, mais sans revendication. Leur sororité n’est pas une démonstration militante, elle n’a pas la force d’une revendication, mais plutôt la douceur d’un lien presque spirituel, un engagement partagé dans l’intime qui visuellement évoque le thyrse, bâton enlacé, emblème de Dionysos, ou un huit en longueur, symbole de l'infini. Chacun choisira.

Les mouvements s'accélèrent, et pourtant, il semble qu'il n'y ait aucune volonté de précipitation. Le rythme est là pour nourrir une montée en puissance, d’une lenteur infinie vers un point culminant, un final frontal où les corps se mesurent dans une subtile confrontation sans compétition. Cette force de la douceur tient de la revendication – surtout si l’on pense aux fameuses origines hip-hop de la chorégraphe. Au départ, la chorégraphe n'avait pas envisagé une distribution uniquement féminine, mais au fil des auditions et des essais, elle conclut à la nécessité de chorégraphier pour des femmes afin que la recherche de douceur ne s'encombre pas des sous-entendus de la séduction. Pour mémoire, à l'occasion de Reverse, en 2019, elle avait choisi une distribution exclusivement masculine et cette pièce, qui n'a pas eu de chance, apparaît comme l'autre volet d'une manière de diptyque involontaire.

Imminentes, pièce qui témoigne d'une maturité assumée chez la chorégraphe, évite ces écueils : autant ceux de la niaiserie benoîte (« tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ») que les sous-entendus plus ou moins maîtrisés du « peace and love ». La lente montée vers le final frontal sonne métaphore de l’évolution des corps, mais aussi des âmes, porté par une volonté de fluidité et de partage, mais certes pas comme une facilité.
Philippe Verrièle
Vu le 05 novembre 2025 à la MC2, Grenoble.
À voir le 21 novembre 2025 à L’Onde Théâtre – Centre d’Art, en partenariat avec le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines dans le cadre du Festival Immersion Danse, Vélizy-Villacoublay.
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* versions de 1909-1910
Distribution
Direction artistique et chorégraphie Jann GALLOIS
Interprètes Anna Beghelli, Carla Diego, Melinda Espinoza, Fanny Rouyé, Amélie Olivier, Agathe Tarillon et Serena Pedrotti (doublure)
Musique originale Patrick De Oliveira
Création lumières et régie générale
Florian Laze
Costumes Sara Sanchez
Regard extérieur Frédéric Le Van
En tournée
25 novembre 2025 au Théâtre d’Orléans, Scène nationale d’Orléans
2 décembre 2025 au CDA – Centre des Arts, scène conventionnée, Enghien-les-Bains
4 au 6 décembre 2025 à la Maison des Arts et de la Culture, Scène nationale de Créteil.
18 décembre 2025 à La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc
7 janvier 2026 à l’Espace 1789, Scène conventionnée, Saint-Ouen.
9 & 10 janvier 2026 au Festival Suresnes Cités Danse, Théâtre Jean Vilar de Suresnes
14 janvier 2026 aux Quinconces – L’Espal, Scène Nationale, Le Mans.
22 janvier 2026 au Grand R, Scène nationale, La Roche-sur-Yon
24 & 25 janvier 2026 au Théâtre ONYX, Saint-Herblain.
28 janvier 2026 au Champ de Foire, Saint-André-de-Cubzac
5 & 6 février 2026 à Châteauvallon-Liberté, Scène nationale, Ollioules
4 au 6 mars 2026 au Trident, Scène nationale, Cherbourg.
10 mars 2026 aux Espaces Pluriels, Scène conventionnée, Pau
13 mars 2026 au ZEF, Scène nationale, Marseille.
21 mars 2026 au Théâtre La Coupole, Saint-Louis
24 mars 2026 au Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec.
26 & 27 mars 2026 au Théâtre 71, Scène nationale, Malakoff
1 avril 2026 au Château Rouge, Scène conventionnée, Annemasse
28 avril 2026 au Théâtre, Scène nationale, Saint-Nazaire.
19 mai 2026 à L’Escale, Tournefeuille
28 mai 2026 au Théâtre Jean Lurçat, Scène nationale, Aubusson.
Série en cours…
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