Huitième édition de Tours d’Horizons
Avec cinq créations à l’affiche, des performances inédites et une quinzaine de compagnies invitées, le festival de danse de Tours a célébré le centenaire de la naissance de Merce Cunningham avec trois anciens danseurs de la prestigieuse Merce Cunningham Dance Company et Andrea Sitter a dévoilé sa dernière pièce irrévérencieuse, Juste au corps, Salomé.
Dans le splendide cloître de la Psalette, Cheryl Therrien et Ashley Chen ont présenté Ritual, une performance inspirée de la manière spécifique de bouger de Cunningham dans ses soli. Se regardant continuellement, les deux danseurs ont déambulé dans le cloître dans une danse intuitive et généreuse où il suffit de deux doigts levés, d’un coude légèrement en arrière, d’un genou plié, d’un déhanchement… pour signifier la diversité de la nature comme dans Nature Sutides. Puis, c’est le coté désorganisé ainsi que l’animalité du danseur et chorégraphe américain qui furent représentés avec une pureté, un humour et une esthétique indéniables. Une pièce magnifique qui mérite d’être reprise tant la danseuse et le danseur offrent un univers délicieusement décalé et parfaitement bien maitrisé. Un pur moment de plénitude et de bonheur !
Galerie photo © Tour d'Horizons - CCN Tours
Quant à Foofwa d’Imobilité il a tout d’abord présenté le film d’une interview de Merce Cunningham qu’il a réalisée en 2000. On y voit le jeune danseur poser de nombreuses questions au chorégraphe sur sa façon de penser la danse, sur la transmission et son héritage. Très simplement, Merce y répond sans ambages. « La danse peut durer seulement trois minutes et exprimer de nombreuses choses alors qu’il faut trois heures avec le théâtre… J’ai déplacé le centre d’équilibre du corps afin de faire bouger différemment et de donner plus de liberté au torse, à la tête et aux bras… » Puis, au prieuré Saint-Cosme, le danseur suisse a déambulé avec Dancewalk, Forward Cunningham dans les très beaux jardins qui entourent la demeure de Ronsard. Une performance inédite qui explorait le travail de Cunningham en tant que matière pédagogique, théorique et métaphorique.
Juste au corps, Salomé est une création irrévérencieuse d’Andrea Sitter qui l’interprète et en signe la conception et la chorégraphie. « Pour décrire et donner une sensation et quelques informations sur mon nouveau solo, je pourrais évoquer la forme d’un grand triangle. La ligne de base : la danseuse, cabarettiste et écrivaine Valeska Gert. La ligne de gauche : la légendaire Salomé. La ligne de droite : la philosophe et théoricienne Hannah Arendt » explique la danseuse. Au milieu de ce triangle, trois citations prennent la lumière : « Nous ! Les Sorcières ! » / « Je veux la tête de Jochanaan ! » / « Je n’adhère pas ! I don’t fit ! ».
Tout le corps et le visage recouverts d’un justaucorps jaune légèrement transparent, la danseuse apparait perchée sur un escarpin à très haut talon et sur un chausson de pointe. Cet équilibre étonnant, certainement très difficile à maintenir, crée déjà une certaine ambigüité des personnages qu’elle désire dessiner. Ceci d’autant plus qu’au bas de sa taille, pend un objet mou qui ressemble très nettement à un sexe d’homme.
Par le biais des trois angles d’approche afin de bien analyser qui était Salomé, une princesse juive du 1er siècle, fille d’Hérodiade et d’Hérode, Andrea Sitter décrit tout le long de sa pièce cette tentatrice sensuelle qui a inspiré bon nombre d’illustres peintres et d’auteurs pour finalement devenir un mythe littéraire.
De l’antisémitisme à l’histoire de l’abominable, de la cruauté extrême à la nymphomanie, la magnifique danseuse ose tout afin de traiter ces monstruosités. Elle ose même créer un double de Salomé par le biais d’une vidéo qui complète le personnage en plusieurs épisodes. Ceci lui permet de l’insulter « salope de danseuse stripteaseuse, nymphomane, courtisane, sulfureuse, pipeuse, profiteuse, allumeuse, faussaire faussée, infecte insecte ». Et entendre cette femme si distinguée, si fine et si belle employer de tels termes aussi crus avec tant d’autorité, est un pur plaisir. Et elle ne s’arrête pas là, tout d’un coup, alors qu’elle parlait à un âne, elle pose la question au public : « qu’est ce qui fait le plus mal au cul de la poule ? » Comme bien entendu personne ne répond, elle réitère sa phrase, puis s’approche d’un spectateur du premier rang et lui donne la solution : « quand elle passe du coq à l’âne ! » Hurlement de rire de la salle, car Andrea peut tout se permettre, même énoncer une grossièreté sans jamais paraître vulgaire. Ces instants d’humour sont salvateurs.
Dans la vidéo, on la voit porter des pierres, être recouverte en douceur d’une peinture jaune qui fait songer à du sperme, se filmer nue et aussi provoquer des gros plans qui parachèvent l’intrigue.
Andrea Sitter pousse au maximum tous les paramètres de la transgression et termine son solo nue sous une magnifique robe transparente.
Arrogante, insolente, inconvenante, spirituelle, délicieuse, puissante, violente… la danseuse aux bases classiques invente un style très personnel du mouvement tout en abordant par le verbe des thèmes sur les monstruosités de l’Homme.
Juste au corps, Salomé est une création extrêmement bien interprétée et bien pensée. Un bijou fracassant, audacieux et éblouissant.
Sophie Lesort
Spectacle vu à Tours d’Horizons le 8 juin 2019
Juste au corps, Salomé chorégraphie, conception texte et interprétation : Andrea Sitter.
Lumière : Flore Dupont
Costumes : Andrea Sitter et Michel Ronveaux
Voix off : Ivan Mérat-Barboff
En tournée : à l'Echangeur de Bagnolet les 4, 5, 7 et 8 octobre 2019 ; à Poitiers, le 18 janvier 2020 ; La Rochelle (janvier 2020), au Vélo Théâtre, à Apt (février 2020),
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