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François Alu

Premier danseur surdoué, François Alu clôt sa saison sur la création de Forsythe au Palais Garnier. Rencontre.

DCH : Vous venez de participer à la création de Blake Works I de William Forsythe. Est-ce la première fois que vous travaillez avec lui sur une création ?
François Alu :
C’est la première fois que je travaille en studio avec lui. Je l’avais déjà rencontré après Thème et Variations, cet automne. Il m’avait dit « J’espère qu’on travaillera ensemble » et rien que ça avait suffit à me transporter. Il était également venu voir une répetition de 3e étage le groupe de Samuel Murez, composé de danseurs de l’Opéra, avec lequel je collabore car il nous a donné les droits du quintet de Limb's Theorem et nous a fait travailler alors qu’il était résident à l’Opéra. Une heure très intense et exceptionnelle. Tous les danseurs étaient conquis. Quand j’ai vu à la rentrée que mon nom était affiché pour la création, j’étais vraiment heureux.

DCH : Comment cela s’est-il passé ?
François Alu :
Depuis le début de cette création jusqu’à ce jour, ce n’est que du bonheur. Je me répète tous les jours à quel point c’est génial de travailler avec lui. C’est un chorégraphe très ouvert qui s’adapte à l’interprète qu’il a en face. Il nous permet de proposer des idées, et j’ai eu une liberté immense. Il nous remercie même pour nos propositions, c’est incroyablement généreux de la part d’un aussi grand chorégraphe. Il a pleinement conscience de la place de l’interprète et c’est suffisamment rare pour être souligné.

Il est très bienveillant, très positif, hyperdynamique et direct. J’apprécie énormément ses figures de style chorégraphique : le contrepoint, les « causes à effets », il a un vocabulaire d’une richesse inépuisable. Il peut sembler adopter une gestuelle académique mais la revisite, la restructure avec une rare intelligence.

DCH : Par exemple ?
François Alu :
Il peut exacerber certains passages de ports de bras en les transférant. Par exemple, les bras de La Sylphide, croisés sur la poitrine, sont déplacés vers le haut, et les mains couvrent les oreilles, ou bien étendre un passage classique en couronne vers l’arrière de la tête… ses idées sont innombrables ! Nous avons eu trois semaines de workshop et, à travers les concepts qu’il a proposés, chacun a adapté sa façon de prendre le mouvement. Du coup, on a créé ce ballet ensemble, même si bien sûr, c’est lui qui structure et crée la chorégraphie. Mais chacun d’entre nous sait que nous avons posé notre petite empreinte dans cet édifice signé William Forsythe. Il nous a fabriqué un costume sur-mesure. Nous avons les indications et l’authenticité, l’essence du mouvement. Les assistants sont également formidables. Forsythe est très intelligent, son but est de servir une idée et il ne prétend jamais avoir la meilleure… même si, de fait, c’est souvent le cas. Son ouverture d’esprit cumulée à son sens de la rigueur fait que l’œuvre fonctionne. Pour tout le monde, ça a été une rencontre extraordinaire. Nous n’arrivions pas à le laisser partir. Comme lorsqu’on quitte ses parents la première fois.  Nous nous sommes tous mis à pleurer. Il a su créer une véritable équipe. Le soir on se réunit tous sur le plateau avant de commencer et on fait une sorte de Ola. Je trouve que c’est formidable, car l’an dernier, la tendance était plutôt à la division. En tout cas, j’ai eu l’impression qu’il avait touché à ma sensibilité, j’ai pu m’exprimer en tant qu’individu. Il m’a même dit, « si tu as envie de modifier quelque chose pour n’importe quelle raison, fais-le. You have the costume, you have the key ! » Et je me suis dit, c’est vrai, c’est juste notre responsabilité. Au final, ce sont les interprètes qui sont jugés. Pas le coach ou le copain qui nous a fait travailler !

François Alu improvise pour "Blake Works I" de William Forsythe.

DCH : Vous vous êtes vous-même essayé à la chorégraphie. Voir travailler un chorégraphe comme Forsythe ouvre des perspectives ?
François Alu :
J’ai commencé à chorégraphier avec deux petites pièces, et travailler avec Forsythe m’a appris énormément. C’est un génie. La façon dont il construit sa chorégraphie est passionnante. Par exemple dans le duo avec Léonore Baulac il nous a indiqué pur commencer de marcher simplement en bougeant les bras. Il observe. Ensuite, il nous demande de faire la même chose, en ajoutant un petit pas en marchant. Puis nous devons ajouter la combinaison de bras aux petits pas. Et là c’est parti. En fait, il a une danse complexe. Même si la complexité n’est pas une valeur artistique en soi, souvent, elle comporte plus de détails, plus de profondeur à regarder, est plus stimulante. En créant avec lui, on a l’impression de voir son cerveau travailler. Il a des milliers de possibilités dans la tête. Il en choisit une, en ajoute une autre, puis encore une… Il nous a fait par exemple exécuter un exercice impossible où l’on imagine quatre couleurs différentes sur quatre segments différents du corps. On doit nommer la couleur à chaque fois que le segment bouge. Mais, à chaque tour, les couleurs changent de segments. Par exemple, le rouge, attribué à l’épaule droite, passe à la hanche droite et ainsi de suite. C’est un excellent exercice de visualisation et de coordinnation. Lui, y arrivait parfaitement, il a une coordinnation fascinante. Nous c’était autre chose. Certains danseurs ont un peu réussi ! Il peut modifier le rythme des phrases, accélérer le mouvement, le ralentir, il est très friand de tout ce qui est détail et aime être supris. Il a un œil particulièrement acéré pour tout voir. Mais je crois que ce qu’il aime par dessus tout, cest que les danseurs soient heureux.

DCH : Et en tant que chorégraphe, quelle est votre motivation ?
François Alu :
J’ai chorégraphié deux petites œuvres, La Sylphide, un duo de six minutes avec Léonore Baulac, il y a deux ans et un duo Les Sorcières avec Takeru Coste. Les deux sont empreints d’un univers onirique assez évocateur, mais j’aimerais m’essayer à des chorégraphies plus narratives.

DCH : Pourquoi ?

François Alu : Je suis persuadé quel que soit son métier, consultant en communication, peintre, danseur, réalisateur que le plus important c’est de raconter une histoire. Des œuvres abstraites, il en faut, mais je suis plus touché par une histoire bien réalisée. J’ai, par exemple, adoré le film de Richard Aoyade The Double, d’après Dostoïevsky. C’est formidablement réalisé, tellement bien fait que l’imaginaire prend facilement le relais. Je dois dire que le cinéma a toujours été pour moi un moteur émotif. C’est pourquoi j’aimerais, dans les années à venir, réaliser un court métrage. Je vais sans doute me lancer avec Lydie Vareilhes et Simon Leborgne. J’ai envie d’apprendre.

DCH : Vous avez incidemment organisé la venue de la Compagnie 3e Étage à Bourges, votre ville natale…
François Alu :
Oui, c’était un beau moment. j'étais très content de pouvoir produire diriger et danser dans mon propre spectacle à Bourges. En effet, le plateau ne se prêtait pas à la danse. Non seulement, il pouvait causer des problèmes de réception sur des sauts assez hauts, mais de plus, il amplifiait tous les bruits. Du coup, j’ai eu la chance de rencontrer Patrick Lesage, directeur européen des grands comptes d'Harlequin, qui a accepté de nous fournir un plancher et un tapis de danse. On l’a testé, on l’a posé ! Il était génial, il rebondissait juste ce qu’il faut. Le son était parfait. Les danseurs m’ont remercié d’avoir cru en ce projet.

François Alu dans "Le Pas des vendangeurs" de "Giselle"

DCH : Qu’est-ce qui vous motive le plus, en tant qu’interprète ?
François Alu :
La raison pour laquelle j’ai commencé la danse, c’était pour l’aspect physique. Je voulais être le meilleur, le meilleur physique, les meilleurs tours, les meilleurs sauts. Aujourd’hui, c’est ce qui m’intéresse le moins.

Maintenant, je crois que je fais ce métier pour la connexion avec les autres. Ça fait un peu cliché, mais c’est honnête. J’aime vraiment les gens, et même j’apprécie d’aller parler avec ceux qui ne me plaisent pas. Quitte à me prendre de bec avec eux. À l’Opéra, on a la chance de croiser de très nombreux corps de métiers tous les jours sans même connaître leur nom. Il y a peu, je n’osais leur demander et engager la conversation. Depuis que je le fais, ça donne lieu à des échanges passionnants.

DCH : Quels ont été pour vous les temps forts de la saison qui se termine ?
François Alu :
J’ai adoré dansé Solor dans la Bayadère, et  j’ai vraiment été séduit par Thème et Variations. Physiquement, ce n’est pas facile, mais il y a du style. Avec Valentine Colasante, nous avons formé une bonne équipe, nous poussions à 100% de nos possibilités. J’ai également beaucoup apprécié d’avoir le rôle de Mercutio dans Roméo et Juliette, c’est un personnage clef, un détonnateur du drame. Il a un côté clownesque et émouvant. J’ai aimé l’interaction avec les autres personnages et le Corps de ballet qui m’ont énormément soutenu.

DCH : Vous avez obtenu récemment un gros succès avec le Pas des vendangeurs de Giselle
François Alu :
Le public était enthousiaste, et ça m’a fait plaisir. Mais plus égoïstement, j’aurais aimé qu’on me distribue dans Albrecht. Il y a un vrai rôle à défricher, c’est un personnage à facettes. L’entrée du 2e acte est sublime, la musique, magnfique. J’espère que ça arrivera une prochaine fois.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Portrait © Julien Benhamou

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