Festival Le Temps d’Aimer : Malandain et Harriague ouvrent la 35e édition
À Biarritz, le festival Le Temps d’Aimer ouvre avec deux directeurs : l’actuel et le futur et présente deux pièces contrastées : L’une ancrée dans l’actualité (AMERICA de Martin Harriague), l’autre tissée dans le passé et bouclant la boucle de la présence de Malandain à Biarritz.
En effet, La Chambre d’Amour, présentée lors de l’ouverture du festival est aussi la première créée lors de son arrivée à Biarritz en tant que directeur du tout nouveau Centre Chorégraphique National qui allait devenir le Malandain Ballet Biarritz.

Après 90 ballets et 40 ans de carrière dont 27 à Biarritz cette chorégraphie a le charme d’un parfum retrouvé. Celui d’une époque où l’on n’hésitait pas à commander une œuvre symphonique à un compositeur et à la faire jouer par l’Orchestre Régional Bayonne Côte Basque avec Marina Pacowski au piano ! Le temps où un très jeune chorégraphe engageait quatorze danseurs permanents dans un CCN – ce qui paraissait normal.
Galerie photo : Stéphane Belllocq
Aujourd’hui fort de 22 danseurs, le CCN Malandain Ballet Biarritz reprend avec brio cette légende racontant la mort de deux amants Ura et Ederra (eau et beauté en Basque) engloutis dans les flots lors de leurs étreintes. Mais cela ne suffisait pas à Thierry Malandain, et pour faire danser Eros et Thanatos, il a convoqué Adam et Eve, Abel et Caïn, Othello, Iago et Desdémone, Roméo et Juliette, Didon et Enée, Orphée et Eurydice, chacun de ses duos étant accompagnés par l’ensemble du ballet.

Œuvre de jeunesse, il n’empêche que tout le vocabulaire de Malandain est déjà là : des lignes claires, directes et collectives, des girations étonnantes, des portés lyriques à souhait. Mais – est-ce dû à Biarritz et son environnement maritime – le chorégraphe développe des unissons océaniques, ondulants et fluides. On retrouve également ce souci spirituel, matérialisé par les corps élancés, les bras qui s’élèvent, et une certaine retenue dans la virtuosité qui est certainement l’une des marques de fabrique de Malandain. Et bien sûr, dans le thème même de la chorégraphie qui fait de l’amour une forme de rédemption face à la mort.
Galerie photo : Stéphane Belllocq
La symphonie concertante créée donc pour l’occasion de Peio Çabalette, est non seulement audacieuse, dans la mesure où composer pour un orchestre symphonique est un défi en soi, mais aussi d’une grande qualité, avec ses différents plans qui se chevauchent dans une écriture très ciselée, développant une richesse orchestrale qui sert d’écrin au piano , pour lequel il compose une partition à la fois très contemporaine et classique.
AMERICA de Martin Harriague est une œuvre qui prend sa source dans notre actualité la plus brûlante, même si le chorégraphe explore la figure de Donald Trump depuis longtemps et à travers une douzaine de pièces. Une première mouture d’AMERICA avait d’ailleurs été créée en 2019 lors de la première mandature du President of the United States en 2019 pour le ballet de Leipzig. Là, il s’agit d’une version réactualisée, sa première création pour le Ballet de l’Opéra Grand Avignon en 2024. Il est même tellement obsédé par ce potentat, showman sans limite, qu’il part assister le 28 octobre 2024 à son meeting au Madison Square Garden à New York !
Galerie photo : Stéphane Belllocq
D’où certainement cette sorte de ballet au scalpel, extraordinairement informé, avec ses phrases sourdes ou éructées appartenant au leader MAGA, ces vidéos qui racontent une autre histoire de l’Amérique, violente, avec l’Indian Removal Act, la Ruée vers l’Or, les esclaves des champs de coton, le Ku Klux Klan, et qui finit par les fusées d’Elon Musk.
Mais surtout, Martin Harriague a un sens formidable de la condensation dans les images qu’il produit. Ainsi du début où les douze danseurs en noir se tiennent immobiles puis s’étoilent et se rassemblent au centre devant les « stripes » rouge et blanc du drapeau des USA et induisent un « effet croix gammée » alors qu’il n’y en a pas.
De même le tableau suivant dans lequel s’enchaînent et se fondent des gestes mécaniques évoquant à la fois les dessins animés, la comédie musicale Hollywoodienne, ou les antiques « Black Face » avec un soupçon de Charlot. La gestuelle emprunte alors aussi bien aux danses animalières d’origine afro-américaines, que l’industrialisation genre Temps Modernes… Le reste est à l’encan, avec un sens de la chorégraphie tirée au cordeau.
Galerie photo : Stéphane Belllocq
Alternant le groupe et les individus sans jamais le souligner. Ensuite apparaît le Président des États d’Amérique sous toutes ses formes, tous ses avatars pourrait-on dire, dans des chorus line d’un nouveau style, le slowmotion, et le mickey mousing gestuel, très bien réglés, sur fond de paroles trumpiennes de plus en plus délirantes et agressives, rappelant les discours d’Hitler, comme la première image le laissait pressentir. C’est à fois formidable, parfaitement interprété par les danseurs et danseuses du Ballet de l'Opéra Grand Avignon. Mais il est sage que Martin Harriague ait décidé de passer à autre chose ainsi qu’il l’affirme dans le programme. Car à trop parler du loup…
Agnès Izrine
Le 5 septembre 2025. 35e Festival le Temps d’Aimer la danse. Théâtre du Casino de Biarritz et Gare du Midi.
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