Entretien avec Mourad Merzouki
Mourad Merzouki lance la 11e édition du festival Kalypso en région parisienne. Un pari qui n’était pas gagné d’avance mais qui s’avère être une réussite totale. Nous l’avons rencontré.
Danser Canal Historique : Vous avez quitté récemment le CCN de Créteil, comment s’organise la compagnie désormais ?
Mourad Merzouki : Quitter un Centre chorégraphique national n’est pas facile. Il faut pratiquement tout reprendre à zéro et reconstituer une équipe dans son ensemble, cela prend beaucoup de temps. Il faut aussi très vite s’entourer de partenaires publics ou privés. Aujourd’hui, la compagnie est hébergée à Bron dans l’Est lyonnais, la ville nous prête des locaux, elle est un soutien important ! Je travaille également avec la ville de Saint-Priest, bienveillante également, sur la création d’un lieu de répétition. C’est capital pour l’avenir de la compagnie.
DCH : Ce sera un site dédié à la compagnie Käfig ?
Mourad Merzouki : Oui, en grande partie, car pour répéter les pièces que je crée aujourd’hui il faut tout de même un espace conséquent. Le répertoire mobilise une quarantaine de danseurs, ce qui suppose un grand studio, et la prochaine création par exemple compte quinze danseurs au plateau. Il est aussi toujours compliqué de répéter de manière vagabonde, au cours de petites résidences, suivant les structures qui nous accueillent. Ça épuise et, surtout, ça coûte très cher, car les prêts de salles et même les montants de coproduction ne couvrent pas toujours le logement, les voyages et les défraiements des danseurs. Or, j’ai souvent de grandes équipes et du décor. De plus, tout en travaillant sur cette nouvelle organisation, il faut diffuser, il faut créer. D’où l’importance de s’installer sur ce site à Saint-Priest appelé la Ferme Berliet, une vraie ferme où vivaient des animaux, créée dans la cité ouvrière de Saint-Priest par la famille Berliet qui y avait ses usines. La ferme sera abandonnée faute d’exploitation suffisante. Ironie du sort, 30 ans plus tôt mon père travaillait pour les usines Berliet chez Renault véhicule industriel. La boucle est bouclée...
DCH : Vous dites avoir l’espoir que ça aboutisse. Qu’est-ce qui pourrait bloquer ce projet ?
Mourad Merzouki : C’est plutôt bien parti. La mairie de Saint-Priest me met à disposition la ferme de 3 000 m2 pour un euro symbolique, il s’agit d’un bail emphytéotique de quatre-vingts ans. La rénovation est à notre charge. Ce lieu est vraiment formidable, il me permettrait d’avoir les conditions idéales pour la compagnie avec deux studios, la possibilité de stocker les décors, d'installer des bureaux, d'accueillir du public pour partager des étapes de travail et transmettre, de mener des projets sur le territoire de l’Est lyonnais, d'inviter d’autres artistes... À ce jour, la ville de Saint-Priest et la région Auvergne-Rhône-Alpes se sont engagées pour l’investissement, l’État devrait bientôt me confirmer son soutien et j’ose espérer que la Métropole nous rejoindra ! Sans le soutien des collectivités, sa réalisation risque d’être fragilisée...
DCH : Pour autant tout en vous installant dans la région Lyonnaise, vous avez réussi à conserver le festival Kalypso en région parisienne. Un sacré défi, pour vous...
Mourad Merzouki : Oui, ce n’était pas gagné, d’autant que le festival Kalypso a été financé en grande partie par les recettes de mes tournées. Je suis donc très heureux de pouvoir maintenir ce festival dont c’est la 11e édition. Je le dois à la fidélité des théâtres partenaires, de la DRAC Ile-de-France et de la ville de Créteil qui poursuivent à nos côtés ce rendez-vous incontournable pour la danse hip-hop. C’est aujourd'hui devenu un événement identifié par les Franciliens qui s’inscrit sur plusieurs semaines et a dénombré l’an dernier un taux de remplissage de + de 80%. Cette année, dix nouveaux partenaires nous ont rejoints, comme le Musée d’Orsay ou encore le 13e Art, théâtre privé parisien qui va nous accueillir pendant un mois et ainsi nous permettre d’accueillir davantage d’artistes et de publics. Le festival va aussi pour la première fois collaborer étroitement avec Suresnes Cités Danse. Avec la nouvelle directrice, nous travaillons en complicité pour valoriser l’artiste lauréat du « label passerelle ». Cette année, c’est la compagnie Poisson/Buffle de François Lamargot que nous avons choisi, la compagnie sera programmée dans nos festivals respectifs.
Enfin, le festival Les Trans’urbaines de Clermont-Ferrand rejoint, à partir de cette année, Karavel et Kalypso. Trois festivals, trois mois de danse, dans trois villes, quadrillent les territoires d’un élan vital et créatif. Un rendez-vous pour le hip-hop qui devient donc national. Comment ne pas voir avec fierté l’amplification des énergies et des talents d’année en année d’une culture que certains avaient déjà condamnée il y a 40 ans !
DCH : Quel est votre axe pour cette 11e édition ?
Mourad Merzouki : Nous continuons à travailler sur la question de la transmission, notamment avec les master-class et les ateliers, très développés cette année. Nous proposons la danse là où l’on ne l’attend pas, par exemple au Musée d’Orsay avec de petites pastilles chorégraphiques, des formes légères et adaptées au lieu. Le 13e Art va aussi nous permettre de diffuser des spectacles en série et plus intimistes, comme Phénix pour quatre danseurs et une viole de gambe, ou des soirées partagées.
Nous reconduisons les Hip Hop Games, le battle hors norme de Romuald Brizolier et, bien sûr, nous conservons notre fidélité à des artistes comme Kader Attou, François Lamargot, Marion Motin, les Wanted Posse, Blanca Li ou encore Soria Rem et Mehdi Ouachek qui ont œuvré à ce festival pendant des années. Plusieurs de nos partenaires comme la Ville de Melun, Nemours ou encore la Ville de Bagneux ont également pris l'initiative de créer de véritables temps forts hip-hop au sein du festival. Au-delà des programmations, notre soutien permet aussi aux jeunes compagnies d’être repérées, de présenter leurs créations dans de meilleures conditions et, surtout, d’être diffusées de manière plus large.
DCH : Vous avez initié une nouvelle partie consacrée aux arts visuels, photos, vidéos, intitulée Autres regards. En quoi cela consiste-t-il ?
Mourad Merzouki : Ce sont des événements pour découvrir la danse et la culture hip-hop autrement que sur la scène. Les photographes et vidéastes talentueux invités partagent leur regard singulier sur le corps et le mouvement. Des moments de rencontre ou des expositions permettent d’explorer les coulisses de la création chorégraphique. Nous l’avions expérimenté déjà à Créteil. Depuis, la façon de filmer la danse a tellement évolué, les dispositifs sont beaucoup plus précis, plus qualitatifs, que certains documentaires ou films ont été présentés dans des grandes salles de cinéma devant un public de plus en plus nombreux.
Bien sûr que ça ne remplacera pas le spectacle vivant, mais c’est une bonne manière de faire partager la danse à un public élargi !
Agnès Izrine
Image de preview © Julie Cherki
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