Born to be a live, les dix ans
Créé par Bruno Lobé en 2016, le festival Born to be a live réunit engagement chorégraphique et rassemblements festifs. L’édition anniversaire engage une réflexion sur notre rapport aux identités queer à travers un détour sur les années marquées par l’épidémie du sida, et réunit un artiste chorégraphique congolais avec sa mère.
Born to be Alive : Le tube de Patrick Hernandez fêtera bientôt ses cinquante ans. Et incarne bien l’esprit du festival, organisé par Le Manège, la scène nationale de Reims. « Le festival est l’événement le plus intergénérationnel de notre programmation, très attendu. Et il y a toujours une fête les deux samedis du festival, c'est devenu une vraie coutume », se réjouit Bruno Lobé qui dirige la scène nationale depuis novembre 2015. La popularité de Born to be a live tient aussi à sa politique tarifaire, où le plein tarif est de sept euros la place. « Après, il y a des tarifs sociaux, pour étudiants etc. qui sont à quatre euros. » Avec un effet particulier : « L'idée est de passer un contrat avec le public, on vient découvrir quelque chose à Born to be a live, plutôt que de choisir un spectacle en particulier. L'histoire est de voir des choses qui ne sont pas forcément attendues. On ne va pas faire des places à vingt euros pour faire découvrir quelque chose de totalement inconnu ! »
L’édition 2025 s’ouvre par des échanges entre artistes, chercheurs et professionnels du spectacle sous la thématique de l’altérité. Penser les autres, et ce à travers une thématique apparemment rétro : Danse et sida : poétique et politique d'un choc.1 Histoire, justement, de penser l’autre. Car si la bataille contre le sida semble gagnée en Occident, Lobé rappelle que le HIV continue à faire des ravages « dans les pays qui n'ont pas accès au traitement et aux thérapies ». Et même chez nous, « le sida est encore dans le corps de pas mal de personnes, il existe encore sur des visages, et surtout dans nos mémoires, celles des hommes de 50-60 ans. » Et de rappeler aussi « comment des minorités et notamment communauté LGBT ont été stigmatisées à ces époques-là. » Car il faut aujourd’hui vacciner les esprits contre l’épidémie de la stigmatisation qui recommence à sévir sur les terres trumpiennes, sous Victor Orban et autres, et risque de ressurgir dans la politique française.

Logiquement, c’est Roderick George qui créera à Born to be a live, en première mondiale, The Grave’s Tears, une pièce de groupe inspirée de l’impact durable de la pandémie du sida, d’oppressions systémiques, de décennies aussi féroces que foudroyantes pour la communauté LGBTQIA+. « Il a eu vraiment envie de créer cette pièce comme un manifeste », explique Lobé. Qui est Roderick George ? « Ancien danseur de Forsythe, il vient de la communauté LGBTQA+ de New York et est afro-descendant. Il a eu envie de créer sa propre compagnie et ses propres projets. Forsythe l’a accompagné un peu dans cette création. Il a vu des répétitions et en quelque sorte validé le travail. Le propos, la scénographie et la création musicale sont très contemporains, alors que le travail chorégraphique reste dans des codes techniques proches de Forsythe. » Lobé espère offrir à ce travail une visibilité qui permettra une tournée au cours de la saison prochaine.
Lobé espère aussi obtenir le visa pour la mère d’Yves Mwamba. Il s’agit de Joséphine Diyoyi, née au Kasaï en République Démocratique du Congo. « La mère d’Yves Mwamba est danseuse traditionnelle et Yves a beaucoup travaillé en krump et en danse contemporaine. Il a été embauché dans plusieurs compagnies en tant que danseur, notamment chez Jérôme Brabant. On le connaît aussi parce que Anne Nguyen a écrit pour lui le solo Hip Hop Nakupenda. » Mais sans le visa pour la mère, auprès de laquelle le jeune Mwamba pratiquait la danse Mutuashi, le spectacle ne pourra avoir lieu. Car il s’agit dans ce duo au titre de Ce qu’il me reste d’un « échange de mère à fils, aussi bien sur le lien familial que sur la porosité entre toutes ces danses ». Histoire d’évoquer aussi l’histoire de la RDC. Lobé reste confiant : « Notre équipe y travaille. »
Born to be a live 2025 prend ensuite d’autres tournures, d’abord via un pas de côté avec le théâtre d’objet pour Voler le feu, un conte contemporain qui aborde la vie après une transition de genre. Où Jenny Victoire Charreton signe une pièce à quatre mains, avec Daphné Demaison, tissée de poésies, créations plastiques, marionnettes, témoignages, signes et musique live. Tout aussi pluridisciplinaire est Exit, un théâtre musical de Julia & Charles Robert. S’y crée un paysage visuel et sonore en perpétuelle transformation, tout en percussions suspendues, chants et mantras. Julia Robert s’était distinguée avec Fame, et Charles Robert est en fait Charlie BeatBox. Mais Exit joue aussi la carte de l’apaisement entre récit et mouvement, car cet « anti-opéra » est aussi inspiré de bouddhisme.
Entre danse et musique, on rencontrera l’énigmatique Takemehome de Dimitri Chamblas et Kim Gordon, fondatrice du groupe Sonic Youth, pièce post-punk pour neuf solistes dont Salia Sanou, cinq guitares électriques et cinq amplis. Une méditation sur les oubliés de nos agglomérations urbaines, inspirée des ambiances à Los Angeles. Et ce n’est pas tout, car Dimitri Chamblas invite le public à participer, en amont, à un atelier danse convivial qui permet de s’immerger dans l’ambiance de la pièce ! Et en écho à la représentation, on pourra découvrir le film Dancing in A-Yard de Manuela Dalle, documentaire témoignant d'un projet mené par Chamblas auprès de personnes en détention.
Chamblas n’est pas le seul à proposer un atelier danse. Si c’est Roderick George qui donne le coup d’envoi du festival avec son propre atelier, on peut plus tard se déhancher « sur un air latino », en l’occurrence la lambada, avec le Collectif ÈS, autre pilier de cette édition. Le collectif à la tête du CCN Orléans a créé ce type d’atelier pour « faire le lien entre les danses latines et la création contemporaine », et il va de soi qu’il le propose aussi à Reims où il débarque avec son spectacle About Lambada [lire notre critique]. Où Émilie Szikora, Sidonie Duret et Jeremy Martinez interrogent d’éventuels liens entre le tube qui a lancé cette danse au succès planétaire et la libération qu’a été la chute du mur de Berlin, les deux ayant marqué les années à partir de 1989. Fondé, lui, en 2011, le Collectif ÈS franchit allègrement la frontière entre spectacle scénique et fête populaire.
En guise de conclusion, Bruno Labé propose ensuite la troupe Les Douze Travelos d'Hercule avec un Cabaret Drag pour six artistes irrévérencieux, drôles et engagés. « Ce sont de formidables musiciens, chanteurs et artistes de lip-sync. Ils sont drôles, créatifs et politiques. Je les ai déjà fait venir cette année avec, mais il y aura dans ce programme beaucoup de nouveaux numéros. Avec eux on n'est pas dans le côté flamboyant des drag queens mais plutôt dans la création de personnages très bien marqués, par exemple une fille un peu fofolle à la Britney Spears et un garçon complètement allumé avec un accent un peu allemand. »
Rien ne freine l’enthousiasme de Lobé, même pas les restrictions budgétaires. Qui ne sont, dans son cas, pas de coupes brutales, mais avant tout une érosion progressive, en absence de toute augmentation depuis dix ans. Rien ne compense donc la hausse des tarifs en tout genre, des salaires au frais de transport et d’hébergement, sans parler des frais de chauffage ou d’électricité : « On accompagne la pénurie, mais dès la saison prochaine, on va devoir retravailler la construction du budget et réduire un peu la programmation pour retrouver des capacités de coproduction. Car c'est bien beau de faire une bonne brochure mais si on n'aide pas les compagnies à créer, le renouvellement s’appauvrit. Et aujourd’hui on en est là. » Aider à embarquer sur le manège, au lieu d’obliger à sauter du manège, voilà tout l’enjeu d’un festival qui est fait pour fêter la vie.
Thomas Hahn
Born to be a live Reims, Le Manège scène nationale
Du 1er au 15 novembre 2025
1. Penser les autres,Danse et sida : poétique et politique d'un choc. Le 3 novembre à 18h. Avec Michel Briand (helléniste, chercheur en danse à l’Université de Poitiers, militant pédé/anti-sida), Mark Tompkins (chorégraphe, chanteur, danseur) et Christophe Haleb (chorégraphe et danseur) Modératrice Agnès Izrine (critique, rédactrice en chef de Danser Canal Historique).
Entrée libre sur réservation indispensable. À Sciences po campus de reims, 1 place Museux, Reims
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