Error message

The file could not be created.

Andréya Ouamba : « J’ai arrêté de croire au futur… »

Très belle surprise que cette courte pièce du Congolais Andréya Ouamba présentée cette semaine au Théâtre des Abbesses à Paris. Surprise, car Sueur des Ombres, le précédent opus du chorégraphe présenté il y a bientôt deux ans sur cette même scène, avait laissé un sentiment d’inachevé en dépit de ses qualités de sincérité et d’engagement. Il en va tout autrement avec cette création totalement maîtrisée, au propos fort et à la scénographie magnifique, conduite jusqu’au bout sans répit ni temps mort.

Galerie photo : Antoine Tempé

L’artiste, qui vit à Dakar où il a fondé sa compagnie 1er Temps, s’y interroge une fois encore sur l’avenir d’un continent africain livré aux appétits de tous les prédateurs de liberté, à commencer par ses propres dirigeants. Le titre, dans son pessimisme affiché, donne d’emblée la réponse : tant que le peuple, au nom duquel sont commis tous crimes, tolèrera à sa tête les politiciens corrompus qui le gouvernent, l’Afrique sera, pour reprendre le titre d’un essai célèbre, « mal partie ». Discours déjà hélas entendu cent fois, mais auquel le dispositif imaginé par Andréya Ouamba donne une résonance nouvelle.

Galerie photo : Antoine Tempé

L’artiste a en effet passé commande à l’acteur et auteur camerounais Wakeu Fogaing d’un texte que ce dernier – formidable ! – déclame une heure durant, après un court prologue muet où seuls les corps présents sur scène plantent le décor. Véritable chef-d’œuvre de rouerie et manipulation politique, ce discours pourrait être mis dans la bouche de n’importe quel chef d’État du continent africain.

Suffisamment cynique pour mettre à nu la violence dictatoriale qui le sous-tend, et juste assez habile, dans sa capacité à endormir les consciences, pour être vraisemblable. Terrible illustration du pouvoir des mots, qui finissent par tenir lieu d’actions concrètes sans cesse promises et remises à demain. En faisant ainsi une large place à la parole politique pour mieux en souligner la terrifiante vacuité, Ouamba prenait un risque : celui de déséquilibrer son propos chorégraphique, au détriment des gestes de ses cinq danseurs.

Galerie photo : Antoine Tempé

Il n’en est rien, heureusement, grâce à l’intelligence d’une réalisation scénique qui fait des interprètes les figures incarnées du contrechamp à la logorrhée sonore. Tour à tour passifs, indifférents, soumis, complices, torturés, disloqués ou révoltés, leurs corps disent, avec une force égale à celle des mots, l’insurrection sourde des consciences. La danse nerveuse, heurtée et aiguë d’Andréya Ouamba leur offre le terrain d’une résistance muette à l’embrigadement des esprits. Même figés au début du spectacle en silhouettes prenant la pose, ils démontrent, par leur seule présence physique, combien les êtres vivants sont irréductibles à tous les mensonges.

Galerie photo : Antoine Tempé

Ils sont, ils existent, ils bougent, ils vivent. Troisième acteur essentiel du projet, le trompettiste Aymeric Avice assis à l’avant du plateau interprète une composition jazz saisissante, dont l’amplification est par moments brouillée à dessein par des effets de saturation sonore aussi insupportables que le discours en boucle du Big Brother en tenue kaki.

La phrase sinueuse de son instrument creuse les lignes d’un espace scénique sans cesse reconfiguré, à l’aide de draperies rouge sang étalées au sol ou suspendues à un portant. Avec un simple banc de bois, un escabeau et une chaise, ces bouts de chiffon sont les seuls attributs d’un pouvoir dont ils soulignent la vacuité. Lorsqu’au bout d’une heure quinze, les – très belles ! – lumières s’assombrissent, et qu’une partie des asservis d’hier s’est transformée en bourreaux masqués complices de l’ignominie, seul un couple résiste et marche encore. Jusqu’à quand ?

Isabelle Calabre

Jusqu'au 18 octobre, Théâtre de la Ville Les Abbesses

J'ai arrêté de croire au futur
concept & mise en espace Andréya Ouamba
compositeur & musicien Aymeric Avice
scénographie Jean-Christophe Lanquetin
création lumières Cyril Givort
costumes Hélène Meyssirel
assistant scénographe Ikhyeon Park
avec Clarisse Sagna, Fanny Mabondzo, Aicha Kaboré, Marcel Gbeffa Jean-Robert Koudogbo
& le comédien et auteur Wakeu Fogaing

Catégories: 

Add new comment