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"Roméo et Juliette" de Massimo Moricone par le Ballet de l’Opéra National de Bordeaux

Cette version créée par le Northern Ballet en 1991 fait une entrée remarquable au répertoire de la compagnie bordelaise. Fidèle à la tradition esthétique du ballet britannique, le chorégraphe italien Massimo Moricone insuffle un élan dramatique où le travail d’acteur fait jeu égal avec la danse.

Il y a peu de chefs-d ’œuvre dans le ballet académique. Le genre magnifié par Marius Petipa souffre à de rares exceptions de livrets indigents et de partitions qui ne sont guère audibles. Il fallut attendre l’émergence des Ballets russes sous la houlette de Diaghilev pour redonner de la vigueur et une modernité à un genre menacé d’être pétrifié dans une vision muséale et patrimoniale. La création de Roméo et Juliette en 1941 à Leningrad par le chorégraphe Léonide Lavrovski sur la musique de Serge Prokofiev – une version toujours représentée au Mariinski, un record de longévité ! - constitue un tournant dans l’évolution de la danse académique. C’est une renaissance pour le ballet narratif avec l’émergence d’une nouvelle manière de concevoir la danse classique. Foin de la pantomime au profit d’un jeu d’acteur qui vient enrichir et compléter la chorégraphie. Deux éléments majeurs sont à la clef de ce succès : un livret adapté d’un chef-d’œuvre de Shakespeare et une partition exceptionnelle qui est un tube du répertoire. Il fallut pourtant attendre une tournée du Bolchoï à Londres en 1956 pour que Roméo et Juliette franchisse le rideau de fer comme le rappelle dans le programme l’historienne de la danse Sylvie Jacq-Mioche.

Galerie photo © Agathe Poupeney

Le ballet est désormais dansé par toutes les compagnies classiques. Trois chorégraphes remarquables se partagent le marché : John Cranko, Kenneth McMillan et Rudolf Noureev ont écrasé la concurrence. Peu nombreux sont les chorégraphes qui se sont risqués à livrer leur propre version. Eric Quilleré soucieux d’enrichir le répertoire de la compagnie mène un travail minutieux pour dénicher des productions inédites en France. C’est à Stratford-upon-Avon, la ville de Shakespeare que le directeur du Ballet de Bordeaux a découvert cette version signée Massimo Moricone. Formé chez Maurice Béjart et Rosella Hightower à Cannes et passionné par le théâtre, le danseur et chorégraphe italien s’est facilement inscrit dans cette tradition du ballet dramatique pour créer cette version commandée par le Northern Ballet en 1991. Succès immédiat avec captation par la BBC, un déluge de prix et de très longues tournées en Grande-Bretagne.    

Cette rédaction resserrée est une bonne pioche : elle élimine les scènes et les personnages qui n’ont pas de portée dramatique ou nuisent à l’action pour se concentrer sur l’essentiel. Le décor gigantesque de Lez Brotherston emprunte à une imagerie antique composée de hauts murs gris amovibles qui figureront successivement une place de Vérone, la chambre de Juliette et la crypte où les deux amants succomberont.  

Le rideau s’ouvre sur une image prémonitoire puissante : Roméo et Juliette de face, chacun sur un balcon, tentant en vain de se rejoindre alors que les murs se rétractent vers les coulisses. Il n’y a pas d’effet de surprise dans cette histoire que tout le monde connait et c’est davantage le chemin qui nous mène vers le tragique dénouement qui fait le sel d’une production. Et Massimo Moricone ne déçoit pas. Il soigne tout particulièrement les scènes de comédie des deux premiers actes. Il dispose pour ce faire d’un danseur remarquable, l’Etoile Riku Ota qui incarne un Mercutio majuscule. On connaissait sa technique irréprochable. On découvre un comédien convaincant. Hauteur de saut stratosphérique  et engagement physique impeccable, il se joue de la chorégraphie exigeante de Massimo Moricone qui mélange langage académique à des séquences plus athlétiques et une danse au sol aux accents contemporains. Riku Ota est la star absolue du deuxième acte… que l’on voit mourir à regret !

Galerie photo © Agathe Poupeney

En Roméo, Tangui Trevinal, nouveau soliste de la compagnie fait une prise de rôle sans bavures. Doté de lignes idéales, il peut compter pour l’épauler sur Mathilde Froustey qui a déjà interprété Juliette de nombreuses fois à San Francisco. Au sommet de sa carrière, l’Etoile du Ballet de Bordeaux parcourt magnifiquement cette évolution de la jeune fille à la femme amoureuse. Droite sur ses pointes, d’une musicalité absolue, elle touche juste à chaque étape de son personnage et emmène son partenaire dans les tourments du rôle. Il faut encore parfaire le partenariat qui manque d’intensité dramatique au premier acte dans le pas de deux du balcon mais il s’affinera au fil des représentations. Le superbe écrin que constitue le grand théâtre de Bordeaux se prête parfaitement à l’évolution du drame. Il permet de discerner toutes les nuances d’expressions des interprètes, du sourire juvénile de Mathilde Froustey lors de sa scène initiale aux pas de deux ultime des amants que la passion interdite dévore. Tangui Trevinal donne dans cette coda toute la mesure du personnage qu’il incarne alliant force, détermination avant de fondre dans le désespoir. Il est bouleversant.

La chorégraphie de Massimo Moricone fait la part belle aux seconds rôles essentiels dans la progression dramatique. Charlotte Meier est une nourrice d’anthologie. Rien n’est surjoué et le chorégraphe a voulu qu’elle chausse les pointes pour la scène comique de la remise de la lettre de Juliette à Roméo. Elle compose avec Riku Ota un duo burlesque irrésistible. Marina Kudryashova est une Lady Capulet implacable qui impose un charisme maléfique dans ce rôle de caractère. Et Oleg Rogachev qui sera Roméo dans une autre distribution danse avec son aisance coutumière un Tybalt vigoureux.

Galerie photo © Agathe Poupeney

Il émane du plateau une jeunesse et un plaisir de danser qui contamine la salle, sublimés par la baguette d’Ermanno Florio à la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine qui nous gratifie de cuivres somptueux, essentiels dans la partition de Prokofiev.  La présence du chorégraphe à Bordeaux n’y est pas pour rien. Très souvent, le ballet académique est transmis par des répétiteurs. Quelles que soient leurs qualités, ils ne sauraient faire jeu égal avec celui qui a conçu le ballet et peut ainsi expliciter ses intentions et donner une profondeur de champ à l’interprétation. Massimo Moricone a participé aux répétitions et cela lui permet de faire revivre un grand ballet narratif comme si c’était une création. On découvre alors ce Roméo et Juliette avec une candeur retrouvée.

Jean-Frédéric Saumont
Vu au Grand Théâtre de Bordeaux le 5 décembre 2025 – jusqu’au 31 décembre 2025.

Distribution :
Chorégraphie : Massimo Moricone
Mise en scène : Christopher Gable
Scénographie et costumes : Ler Brotherston
Interprétation :
Juliette : Mathilde Froustey 

Roméo : Tangui  Trevinal

Mercutio : Riku Ota

Tybalt : Oleg Rogachev

Benvolio : Simon Asselin

Pâris : Kylian Tilagone

Dame Capulet : Marina Kudryashova

Le Seigneur Capulet : Kohaku Journe 

Le Seigneur Montaigu : Federico Labate

La nourrice : Charlotte Meier.

 

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