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Entretien avec Joanne Leighton : Créer des formes qui nous rapprochent du vivant
Après son passage remarqué lors du dernier festival June Events (notre critique) Joanne Leighton nous parle de The Gathering qu'elle présentera au Théâtre de la Ville à partir du 12 novembre.
DCH : Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer The Gathering ?
Joanne Leighton : Cette pièce s’inscrit dans la continuité d’un cycle que j’ai entamé avec 9000 pas, Songlines et People United. J’avais envie de prolonger cette recherche, mais en nous emmenant cette fois dans la forêt, au plus près du vivant. Mon désir était de créer des formes poétiques qui nous mettent en proximité avec la nature, avec ce qui nous relie.
DCH : Vous évoquez souvent les songlines. Quelle place occupent-elles dans votre travail ?
Joanne Leighton : Je suis née en Australie, et cette notion de songlines m’accompagne depuis longtemps. Ce sont des lignes chantées qui traversent le territoire, des chemins de mémoire et de transmission. Elles ont nourri Songlines, bien sûr, mais elles continuent de traverser mes créations, y compris The Gathering. Elles incarnent pour moi une manière de faire chemin ensemble, de relier les corps, les lieux, les récits.
DCH : Pourquoi avoir choisi de travailler avec dix danseurs ?
Joanne Leighton : Je tenais à une équipe intergénérationnelle, avec des interprètes très expérimentés et des plus jeunes. J’aime cette diversité, elle reflète le monde tel qu’il est. Ce sont les rencontres avec les danseurs qui nourrissent mes thématiques. Dix corps sur scène, c’est une force, une densité, une manière d’incarner le collectif.
DCH : DCH : Comment avez-vous abordé la gestuelle ?
Joanne Leighton : Le rythme est au cœur de la pièce. Il commence comme un battement de cœur et traverse toute la création. Il structure le groupe, donne une pulsation commune. Nous avons commencé le travail en résidence dans la forêt, à l’Essieu du Batut, en Aveyron. Là-bas, nous avons improvisé, filmé, collecté des pierres, des branches. Ce contact très physique avec la matière, avec le sol, a nourri la gestuelle. Certaines pierres sont même présentes sur scène, comme une mémoire du processus.
DCH : Vous avez aussi travaillé à partir de textes. Comment cela s’est-il intégré à la pièce ?
Joanne Leighton : Comme souvent, j’ai apporté une petite bibliothèque en début de création. Nous avons lu à haute voix des extraits de Dans l’œil du crocodile de Val Plumwood, ou des textes de David Abram, et bien sûr de Walden d’Henry-David Thoreau. Ces lectures circulent dans l’espace, chuchotées par les danseurs à l’entrée du public. Elles ouvrent un imaginaire commun, une pensée du vivant qui irrigue la pièce.

DCH : Et la musique ?
Joanne Leighton : La musique, composée par Peter Crosbie ne précède pas la danse, elle en émane. C’est un tissage organique, très riche. Je collabore avec lui depuis longtemps. Il ne vient jamais avec une bande-son toute faite, il écrit sa partition en lien étroit avec les danseurs. Il capte des sons, des frottements, des voix, des chants de femmes, des bruits de forêt. Il tisse une matière sonore qui naît du plateau, des improvisations, des rythmes. C’est une musique concrète, vivante, qui accompagne et prolonge le mouvement.
DCH : La scénographie semble très présente…
Joanne Leighton : Elle est essentielle. Avec Romain de Lagarde, nous avons imaginé un “mur vivant” tissé de tissus suspendus, que les danseurs manipulent et déploient. Elle accueille aussi les images vidéo de Flavie Trichet-Lespagnol, qui passent du noir et blanc argentique à une saturation de couleurs. Tout cela compose un environnement sensoriel, jamais didactique, mais toujours en dialogue avec les corps.

DCH : La pièce porte-t-elle une dimension écologique ?
Joanne Leighton : Je ne cherche pas à faire passer un message militant, Mais je me sens profondément concernée par la fragilité du vivant. Mon désir est de créer des formes qui nous mettent en proximité avec la nature, qui réveillent peut-être en nous l’envie de la protéger. Il y a beaucoup de douceur dans cette pièce, dans les gestes, dans les relations entre les danseurs. J’espère que cela touche, que cela laisse une trace sensible.

DCH : Le motif du chemin revient souvent dans votre travail…
Joanne Leighton : Oui, c’est une notion essentielle. Je marche beaucoup, c’est une pratique réelle et imaginaire. Le chemin relie, transforme, fait corps. Dans The Gathering, il devient dramaturgie : un parcours commun, une manière de tisser du lien entre les corps, les matières et le monde. Dans The Gathering, chaque danseur a son histoire, son âge, son parcours. Mais sur scène, ils forment un groupe, un chœur. Il ne s’agit pas d’uniformiser, mais de faire coexister les singularités. C’est un geste politique, au sens le plus simple : comment être ensemble, comment faire lien.
Propos recueillis par Agnès Izrine le 9 octobre 2025.
du 12 au 15/11/25 à 20h - Théâtre de la Ville, Les Abbesses, Paris (75)
le 18/11/25 au Figuier Blanc, Argenteuil,
les 20 & 21/11 à l’Espace 1789, Saint-Ouen,
les 15 & 16/01/26 au Théâtre du Beauvaisis, Scène nationale,
le 19/02/26 au Théâtre Cinéma, Choisy-le-Roi,
le 06/05/26 au Théâtre Liberté, Châteauvallon-Liberté, Scène nationale,
le 22/05/26 à Malakoff scène nationale - Théâtre 71,
le 28/05/26 au Quai des arts, Argentan / Chorège CDCN Falaise Normandie
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