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Hommage à Ravel de Thierry Malandain et Johan Inger par le Ballet de l’Opéra national du Capitole

Pour le 150e anniversaire de sa naissance, le Ballet toulousain célèbre le compositeur français avec l’art et la manière.

Beate Vollack qui dirige désormais la compagnie avait tout lieu de se réjouir d’une soirée qui unit toutes les forces artistiques de cette prestigieuse maison : le corps de ballet et ses solistes mais aussi l’excellent orchestre et le chœur du Capitole. Il n’en fallait pas moins pour rendre hommage au génie de Maurice Ravel dont la vie musicale a croisé la prestigieuse histoire du ballet à de multiples occasions. Il est on le sait l’auteur d’un des plus grands tubes de la musique classique, son Boléro que connaissent aussi bien les mélomanes que les profanes. Créé à l’origine à la demande d’une des grandes stars des Ballet Russes, Ida Rubinstein, c’est Bronisalava Nijinska qui en livra la version princeps dont il ne reste hélas que de rares images. C’est pourtant la chorégraphie de la sœur de Nijinsky qui inspira la version incontournable de Maurice Béjart créée en 1961. Son pouvoir d’attraction hypnotique a quelque peu effrayé les chorégraphes. Il faut en effet un certain culot pour se mesurer à ce monument dansé dans le monde entier et par d’innombrables compagnies.


Il reste pourtant beaucoup à dire et à danser sur cette musique. Thierry Malandain s’y est risqué avec succès et son Boléro (2002) parcourt toujours le monde. Plus récemment, Mats Ek a imaginé pour le Ballet de l’Opéra de Paris une version déjantée et humoristique (2019) qui divisa le public et la critique.
Johan Inger s’est lui aussi lancé dans cette aventure en 2001 pour le Nederlands Dans Theater dont il fut chorégraphe résident et sa version est entrée au répertoire du ballet du Capitole en 2012. Il faisait alors le pari de ‘’gommer le cliché de la dimension érotique qui est trop souvent liée au Boléro de Ravel.’’ Fasciné par une captation du chef roumain Sergiu Celibidache et sa gestuelle extrême et échevelée, Johan Inger faisait le pari de montrer la folie qui sous-tend la musique entêtante de Maurice Ravel.

D’où le titre Walking Mad et cette citation de Socrate qui l’a inspiré : ‘’Les plus grands bienfaits nous viennent de la folie’’. Mais que veut nous dire Johan Inger dans ce Boléro déconstruit au point de casser abruptement la musique au milieu de la partition, puis de remplir ce silence par un écho du Boléro avant que l’orchestre ne reprenne le fil de la musique ? Ce faisant il tacle le crescendo voulu par Ravel pour lui substituer son idée du Boléro.

D’un bout à l’autre, Johan Inger refuse en connaissance de cause la musicalité que lui imposerait la musique. Les trois danseuses et six danseurs semblent en fait comme déconnectés de ce qui se joue dans la fosse. L’élément central de la scénographie est un mur amovible qui d’emblée repousse le danseur étoile Ramiro Gomez Samon, costume avachi et chapeau melon, surgissant du premier rang pour rejoindre la scène. Johan Inger installe immédiatement cette atmosphère inquiétante amplifiée par le jeu des portes qui s’ouvrent, se referment sur un vide angoissant, claquent et où les danseurs semblent perdus dans une course sans fin et sans but.

Ce voyage improbable dans un espace qui se plie et de déplie à loisir est scandé par une gestuelle dont on perçoit qu’elle est influencée par Mats Ek, et pourquoi pas ! Le maître suédois fait évidemment référence dans la recherche d’une danse théâtrale qui s’assume comme telle. Cela produit des mouvements où les couples manipulent le corps de l’autre comme s’il était inerte et un jeu incessant avec ce mur sur lequel s’échouent brutalement les danseurs. Ces pas de deux très "à la manière de" Mats Ek alternent avec des ensembles loufoques soulignés par les chapeaux rouges pointus dont les danseurs sont parés. Le fil du récit est très ténu mais on discerne que Johan Inger met le relation hommes/femme au centre de sa pièce dans une vision où domine la peur ou la timidité, la violence parfois. Ramiro Gomez Samon, danseur de haut-vol, offre l’acmé de Walking Mad dans un trop court solo où se déploie une danse moelleuse sollicitant le corps entier jusqu’au bout des doigts. Le danseur cubain, pilier de la compagnie, dégage un charisme implacable et démontre une virtuosité qui éblouit. Walking Mad, œuvre de jeunesse, porte en germe les qualités de l’écriture de Johan Inger et élargit le spectre de lecture du Boléro de Ravel. Fallait-il pour autant ajouter cette coda sur la musique du compositeur contemporain Arvo Pärt, génial mais usé jusqu’à la corde par trop de chorégraphies contemporaines ?

Galerie photo © David Herrero

Alors que Johan Inger semble mener un combat avec la partition du Boléro, Thierry Malandain fait preuve comme toujours d’une musicalité superlative dans sa proposition de Daphnis et Chloé, créée pour le Ballet du Capitole en 2022 à l’invitation de l’ancien directeur Kader Belarbi. Couplé à l’origine à L’Après midi d’un Faune sur la musique de Claude Debussy, cette soirée était comme une reconstitution de celle de 2012 où ces deux pièces étaient à l’affiche simultanément des Ballets Russes au Théâtre du Châtelet.

En brillant historien et archéologue de la danse, Thierry Malandain s’inscrit dans cet héritage et avec une géniale humilité raconte cette histoire désuète mais charmante qui narre sur fond de pastorale l’éveil amoureux de deux adolescents. Trois longues colonnes de tissu blanc campent le décor en référence au roman grec antique dont est issu le livret. Jorge Gallardo, fidèle collaborateur de Thierry Malandain a dessiné des costumes unisexes où garçons et filles portent vaillamment des jupettes et des bustiers qui changent de couleur au fil de l’histoire.

Galerie photo David Herrero

Thierry Malandain fait partie de ces rares chorégraphes qui maitrisent à la perfection les vastes ensembles. Il bâtit pour les vingt quatre danseuses et danseurs sur scène une implacable géométrie dans l’espace composée d’alignements, de rondes qui se referment, de traversées en diagonales réglées avec une précision d’orfèvre. Le chorégraphe n'hésite pas à faire adopter des poses empruntées à l’imagerie et la statuaire antique grecque. Maître du style néo-classique, Thierry Malandain raconte cette histoire avec une totale limpidité. La compagnie se fonde avec bonheur dans cette esthétique et les deux Etoiles Ramiro Gomez Samon et Natalia de Froberville reprennent les rôles-titres qu’ils interprétaient lors de la création il y a trois ans.  Mention spéciale pour Alexandre De Oliveira Ferreira qui vole le show dans le rôle de Pan tel le grand ordonnateur de cette bagatelle amoureuse.

Galerie photo © David Herrero

Mais l’autre star de la soirée, c’est l’Orchestre du Capitole, exceptionnel dans le répertoire français. Victorien Vanoosten dirigeait pour la première fois une version scénique de Daphnis et Chloé. Le chef français est aussi un compagnon de route de Thierry Malandain avec lequel il a collaboré pour L’Oiseau de Feu et le Boléro. Le dialogue entre la fosse et la scène est d’une rare intensité : ‘’Mais au fond le chef d’orchestre n’est-il pas un danseur lui aussi ? se demande Victorien Vanoosten, son métier c’est de transformer l’abstraction musicale en mouvement’’. Mission accomplie.   

Jean-Frédéric Saumont
Vu le 18 octobre 2025 au Théâtre du Capitole de Toulouse. Jusqu’au 26 octobre 2025.

Distributions :

Boléro
Chorégraphie, décors et costumes : Johan Inger.
Lumières : Erik Berglund.
Avec : Solène Monnereau, Kayo Nakazato, Juliette Itou, Ramiro Gomez Samon, Philippe Solano, Minoru Kaneko, Jérémy Leydier, Lorenzo Misuri, Aleksa Zikic.

Daphnis et Chloé
Chorégraphie : Thierry Malandain.
Décors et costumes : Jorge Gallardo.
Lumières : François Menou.
Avec : Natalie de Froberville (Chloé), Ramiro Gomez Samon (Daphnis), Alexandre De Oliveira Ferreira (Pan), Rouslan Savdenov (Dorcon), Tiphaine Prévost (Lycénion) et le Corps de Ballet.

Chœur de l’Opéra national du Capitole dirigé par Gabriel Bourgoin.
Orchestre national du Capitole sous la direction de Victorien Vanoosten.

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